Depuis bientôt un an, la pandémie et le confinement qui en découle ont bouleversé nos journées mais aussi nos nuits. Telle est la conclusion observée par une vaste enquête « Sommeil, rêves, et confinement », menée auprès de milliers de Français par Perrine Ruby et son équipe à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Il apparaît que 15 % des participants font plus de cauchemars dus à l’ambiance anxiogène du moment. Mais qu’également 7 % d’entre eux font davantage de plus jolis rêves, ces derniers leur servant d’échappatoire.
Autre donnée intéressante, ceux qui vivent en couple et connaissent une baisse de libido, ont aussi fait plus de rêves érotiques, ce qui serait une forme de compensation selon les chercheurs de l’Inserm.
Ce que l’on comprend de cette enquête, c’est qu’un rêve n’est pas juste une disposition aléatoire et nocturne de l’esprit. C’est un état de conscience modifié au cours duquel nous vivons des histoires ou scénarios liés à notre quotidien. Certains sont merveilleux, étranges ou inconfortables. Ils peuvent être, enfin, incroyablement réels quand ils sollicitent des sens autres que la vision.
Cela entendu, les rêves ne seraient-ils qu’un miroir déformé de nos états d’âme ? A quoi servent-ils concrètement ? Le Dr Patrick Lemoine, auteur à succès mais surtout psychiatre et docteur en neuroscience fait l’état des lieux des recherches consacrées au rêve dans son dernier ouvrage « Docteur, j’ai mal à mon sommeil ».
On y découvre que les rêves ne sont pas une coquetterie du cerveau, ils ont des fonctions très concrètes, si ce n’est indispensables pour une bonne santé mentale.
Le rêve, un accès à l’intelligence pure ?
Créer ou résoudre des problèmes est certainement la fonction la plus connue (et certainement incroyable) des rêves. Notamment, grâce à Albert Einstein qui racontait avoir découvert la théorie de la relativité suite à un rêve. De même, Paul McCartney expliquait avoir conçu la chanson Yesterday ainsi.
C’est également par ce biais que de nombreux autres artistes, scientifiques, ou n’importe quel quidam avec une tracasserie trouvent une réponse ou inspiration au réveil.
Que se passe-t-il donc au creux de nos nuits ?
Si notre conscience est dans les vapes, notre cerveau ne l’est pas. Il a juste cessé d’être en mode rationnel. Et à ce moment-là, des pensées et émotions compartimentées à l’état éveillé, s’embrassent, se lient, se juxtaposent pour nous faire accéder à une solution, un « eurêka », une prise de conscience ou un coup de génie.
Etymologiquement, l’intelligence signifie la capacité de faire des liens entre des éléments que rien ne lie au départ. Et puisqu’à l’état de rêve cette capacité est naturelle, on pourrait oser dire que les rêves peuvent nous faire accéder à l’intelligence pure.
Le rêve, un pilier de l’apprentissage social ?
Pour le Dr Lemoine, les rêves jouent un rôle nécessaire à la consolidation des apprentissages sociaux.
Il s’appuie pour cela sur une étude menée par Maurice Ohayon et Boris Cyrulnik qui consistait à donner des antidépresseurs à des chatons pour les priver du sommeil paradoxal, la 5e phase du sommeil où nous faisons les rêves les plus longs et marquants. Le but étant d’étudier les conséquences une fois adultes. Elles furent lourdes, puisque les chats s’avérèrent être tous des sociopathes.
Le Dr Lemoine étaie l’étude de ses collègues en observant que le rêve présente quelques points communs avec le jeu.
Tout comme lui, il est vecteur d’apprentissage et présente une certaine folie créatrice. Il suffit de regarder des enfants jouer ensemble pour s’en rendre compte. Ils sont capables de se lancer dans des histoires de vampires et d’extraterrestres improbables ou de faire des courses de voiture et dînettes épiques avec les peluches.
Ne nous trompons pas, ces jeux ne sont pas seulement l’expression d’un « joyeux délire », ils sont aussi l’indication qu’ils sont en train d’expérimenter et d’apprendre la vie sociale à leur façon.
Pour le Dr Lemoine, ce besoin viscéral d’apprendre est la raison pour laquelle les enfants rêvent énormément. « Plus on est jeune, plus on doit apprendre et donc, plus on rêve, y compris in utero ». Car l’aventure de la vie commence dès la conception, comme le présente Boris Cyrulnik dans son dernier ouvrage, « Des âmes et des saison ».
Le rôle du rêve dans la gestion des émotions et traumatismes
Pourquoi sommes-nous fébriles, agressifs, pour ne pas dire chiants, quand nous avons passé une mauvaise nuit ? Parce que rêver contribue au bon équilibre émotionnel.
Toutes les nuits, les rêves servent de dépotoirs pour nous décharger de nos grandes et petites joies, mais aussi de nos grands et petits chagrins, colères, peurs etc. Les cauchemars jouent ainsi le rôle de modérateur en apaisant les émotions fortes et en archivant les petits traumatismes du quotidien (comme une humiliation en public ou une dispute qui a failli en arriver aux mains).
Mais quand le traumatisme est vraiment grave, les cauchemars reviennent en boucle. C’est le signe que la violence de l’évènement a fait « disjoncter » le système cérébral et abouti à un stress post-traumatique.
Pour y faire face, le Dr Patrick Lemoine préconise un bon hypnothérapeute. D’autres techniques modernes et thérapies holistiques sont également possibles pour modifier sa perception d’un évènement traumatique, entrer en résilience et reprendre sa vie et ses rêves.
Source : Dr Patrick Lemoine, Docteur, j’ai mal à mon sommeil, éditions Odile Jacob, 2021
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