Agression sexuelle : la fiction comme exutoire à la souffrance
Publié le 06/04/2021, mis à jour le 30/10/2024
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Agression sexuelle : la fiction comme exutoire à la souffrance
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La caresse du loup, 1er roman de Catherine Robert
Professeur de lettres et de théâtre à Paris, Catherine Robert est également auteure depuis la sortie de son premier roman « La caresse du loup » paru aux éditions L’Iconoclaste.
La caresse du loup est l’histoire de Chloé agressée sexuellement par un ami de la famille alors que celui-ci est hébergé dans la maison familiale.
Chloé vient d’une famille joviale et aimante, les portes de la maison sont ouvertes aux amis et artistes. Elle a des frères et sœurs, dont une sœur jumelle Clara dont elle est très proche.
Durant des vacances au bord de la mer, un homme va briser à tout jamais le destin des deux sœurs pourtant inséparables. Un après-midi, il attire Chloé dans sa chambre, à 7 ans la voilà victime d’une agression sexuelle. N’osant l’avouer, elle s’emmure dans le silence et enfouie ce traumatisme au fond d’elle.
Chloé et Clara grandissent, quand la première efface toute trace de féminité, la seconde devient une jeune femme épanouie.
A l’âge adulte, le terrible secret explose au sein de cette famille, fortes de ce lien qui les attache l’une à l’autre, Clara décide de ramener Chloé à la vie.
Cette histoire racontée comme un conte, est quelque part la vôtre puisque c’est celle de votre grande sœur.
CR : Cette histoire est bien la nôtre. Suite à l’agression, il y a eu un silence voulu par ma sœur et mon silence, involontaire, car dû à une amnésie traumatique. Le souvenir de l’agression ne m’est revenu subitement qu’à 18 ans, puis il s’est écoulé encore beaucoup de temps avant que ma sœur ne me confie ce qu’il s’était passé. Même après cela, il y avait toujours ce silence pesant.
« Quand le silence déborde, c’est la mort » dixit Nathalie Papin
La fiction au service d’un réel douloureux
Ecrire pour rompre les silences
CR : Je ne supportais plus ce silence, je voulais voir ma sœur dans la vie et la lumière. J’ai commencé à écrire une sorte de témoignage, mais arrivée à la fin, j’ai senti que je n’avais pas réussi à dire tout ce que je voulais dire.
« J’ai eu le sentiment que pour parvenir au plus proche de la vérité, il fallait que j’écrive un roman. Le passage par la fiction, donc par le faux, m’a permis d’être au plus près d’une situation réelle. »
Votre sœur vous avait confié ses peurs au moment des faits, puis elle a tu son agression pendant de longues années. Ce n’est que 10 ans plus tard que les choses explosent.
CR : Un soir, au cours d’un dîner, mes parents ont prononcé le nom de l’agresseur de ma sœur. Une phrase est sortie de ma bouche sans que je la comprenne : « ce type-là, je le hais ». Puis, petit à petit des souvenirs me sont revenus dont celui de ma sœur en train de se cacher dans mon lit pour éviter d’être à nouveau emmenée par l’agresseur.
« Pendant plus de 10 ans, j’avais oublié cette scène. C’est un fait bien connu en psychologie, mais quand vous le vivez c’est assez vertigineux de se dire qu’un évènement aussi marquant va pouvoir être complètement enterré en vous. »
Mettre des mots sur les maux
CR : Au cours du repas, j’ai ensuite répété en boucle : « il voulait que Chloé aille dans sa chambre ». Mes parents ont reçu cette information sans la comprendre. Quant à ma sœur, elle était effondrée. Contrairement à moi, elle n’a pas eu d’amnésie traumatique, mais un souvenir traumatisant et présent à chaque instant. Un « goutte à goutte » de honte et de culpabilité qui a sali toute son enfance.
Votre roman décrit effectivement bien la situation et la souffrance de votre sœur qui est rongée par un serpent, la métaphore du mal. Ce serpent vous rongeait-il aussi ?
CR : Ce serpent est, pour moi, la traduction d’une colère, voire d’une rage face au silence et au fait d’être englué dans cette vie qui n’avance pas et reste dans le sombre et le pesant.
Votre livre dévoile également les émotions de tous les protagonistes et nous éclaire également sur quelque chose que la société ne comprend pas toujours : le mutisme de la famille.
CR : On entend dire souvent « vous vous rendez compte, ils savaient, et ils n’ont rien dit et rien fait ». Or, je crois qu’il faut prendre en compte que le cerveau humain se protège en commençant par refuser l’information. On en a tous fait l’expérience : quand on nous annonce quelque chose de très inattendu, la première réaction est toujours de se dire « ce n’est pas vrai ».
L’adulte est aussi une victime qui a besoin de temps pour réagir et dire.
Il faut comprendre avant de juger promptement. Mais aujourd’hui, à travers la libération de la parole, les adultes auront peut-être cette capacité à agir plus vite.
L’écriture, un substitut à une justice impossible ?
Aujourd’hui, la justice s’organise pour pouvoir être plus proche de cette réalité. Qu’en pensez-vous ?
CR : Ce qui m’inquiète c’est que la justice a besoin de preuves, or il n’y en a quasiment jamais aucune. On est face à des situations extrêmement délicates, avec des risques de diffamation et de calomnie. A mon sens, s’il y a autant de livres qui paraissent sur cette question, c’est justement pour apporter une réponse que la justice ne peut offrir. Camille Kouchner, l’auteure de La Familia Grande, l’a extrêmement bien exprimé : « ce récit, ce sont mes barreaux ».
« L’écriture est fascinante, car on découvre la valeur performative et active des mots. La libération dont je rêve tant pour ma sœur, je l’ai davantage atteinte par le biais de l’écriture qu’à travers la réponse des policiers qui nous ont reçus. »
Qu’est-ce qui a changé pour votre sœur depuis ce récit ?
CR : Une blessure reste toujours une blessure. Pendant longtemps, cela a été très difficile pour elle. Aujourd’hui, il y a quelque chose d’un peu apaisé, une construction est possible pour aller de l’avant.
La joie et l’amour étant le fil rouge du roman, vous nous offrez une belle leçon de résilience et une aide bienvenue pour sensibiliser nos enfants sur le fait qu’ils n’ont pas à se plier aux volontés d’un adulte.
CR : J’en suis très heureuse, car même dans les familles où il y a beaucoup d’amour et d’attention, il peut se passer des choses qui ne seront pas dévoilées avec de grandes déclarations. Il faut être attentif aux petits gestes, être à l’écoute des petites remarques et craintes.
Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
CR : Mon prochain projet d’écriture émerge. J’y consacre une partie de mon temps libre avec un plaisir immense !