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Publié le 24/10/2018, mis à jour le 19/06/2023
Relations professionnelles
Bullshit jobs : Pourquoi mon travail m’ennuie ?
Job à la con, ou le syndrome d’une société superficielle
Le concept de Bullshit Job ne vous est pas inconnu si vous avez parcouru les derniers articles de fond abordant la souffrance au travail. Ce terme est apparu pour la première fois en 2013 à l’issue d’un petit article de David Graeber, docteur en anthropologie et en économie à la London School of Economics, reconnu comme l’un des plus pertinents intellectuels pour décrire les réalités socio-économiques de notre époque.
L’effet produit par son article sur les Bullshit Jobs ( emplois totalement inutiles et superflues) fut celui d’une petite bombe. Pour l’économiste, ils sont le symptôme d’une société malade.
Sa définition étant exactement :
« un job à la con, si inutile, si superflu ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien que pour respecter les termes de son contrat, il soit contraint de faire croire le contraire. »
Concrètement de quels boulots s’agit-il ? Ils viennent en grande partie du secteur tertiaire de la finance, de la communication, du consulting, des RH.
Ce n’est pas un phénomène à prendre à la légère, encore moins quand, en parallèle, on assiste à une bullshitisation des emplois utiles. C’est-à-dire un accroissement des tâches à la con au fil des années. Aux USA, David Graeber rapporte que plusieurs infirmières ont indiqué consacrer près 80 % de leur temps aux tâches administratives.
En 2016, les employés de bureaux américains n’auraient consacré aux activités qui constituent le cœur de leur travail que 39 % de leur temps, contre 46 % en 2015. Enseignant à l’université, David Graeber s’est lui-même aperçu de la bullshitisation de son emploi. S
es journées étant de plus en plus dédiées à la gestion de la paperasse et aux réunions interminables. Comment en sommes-nous arrivés là et quelles en sont les conséquences à titre individuel comme collectif ?
Pour trouver les origines de cette dérive, nous devons d’abord remonter le temps.
Brève Histoire du travail
On prône le travail comme un épanouissement, une identité. Mais ce qu’on entend derrière ce mot évolue en fonction des époques et des lieux. Pour les citoyens Grecs, il était indigne de l’homme, il l’avilissait et l’empêchait de philosopher pour se connaître lui-même ou s’occuper de la cohésion de la Cité.
Le travail n’était donc bon que pour les femmes ou les esclaves. L’avènement du monothéisme via le Dieu de la Torah dans toute notre région nous aura fait changer d’avis.
Adam et Eve ayant été remerciés sèchement du jardin d’Eden, ils se sont vus condamnés pour l’une à accoucher dans la souffrance, pour l’autre à manger son pain à la sueur de son front. Ils vont dorénavant trimer. Comme Dieu avant eux, qui avait passé six jours d’affilée à travailler sur la création de l’univers.
Ce n’est pas pour rien qu’il se repose au 7ème jour. De notre héritage judéo-chrétien, on retient donc que le travail est à la fois une punition et un acte de création. Le protestantisme du XVème siècle, en particulier, fera une synthèse de ces deux aspects du travail : c’est dans la peine et le labeur que l’on devient un adulte sérieux et accompli.
Et chez les pays catholiques ? Durant le Moyen-Age, l’Eglise était au centre de la vie des populations. Toute la société était organisée par et pour elle. Et on ne travaillait pas tant que cela. Entre les 100 jours de fête de célébration des saints, et les périodes d’hiver où l’on restait au chaud, les paysans du Moyen-Âge ne nous envieraient pas nos congés payés.
Quelques siècles plus tard, le travail détrône l’Eglise du centre de notre société. Tout le basculement s’est opéré à la fin du XVIIIème siècle. Une ère de transition par excellence : la France, le centre de l’Europe donc de notre monde occidental, décapite un roi et proclame un nouveau régime : la République. Avec une nouvelle élite, les bourgeois.
L’avènement technologique et financier du XIXème siècle consolidera le pouvoir de ces nouveaux maîtres, et l’incroyable progression scientifique qui se déroule en parallèle détrônera l’Eglise de son piédestal.
Et le peuple dans tout ça ? C’est là que la théorie de David Graeber a fait grincer des dents. Ayant assisté aux premières loges de la fureur populaire dans l’éviction des nobles, les bourgeois ont estimé qu’il n’était pas très bon que le peuple ait autant de temps libre. Il est urgent de l’occuper, donc de l’envoyer bosser.
Ainsi, en lieu et place de la religion pour régenter leur vie et du culte du roi pour les faire tenir tranquilles, on instaure le travail et le culte de la Nation.
Gouvernements et chefs d’entreprise étant de connivence pour nous envoyer travailler. Toujours dans le but de nous faire tenir tranquille afin de pouvoir magouiller en paix. Depuis, le culte de la Nation a pris du plomb dans l’aile après deux guerres mondiales et la succession de gouvernements tous plus décevants les uns que les autres.
Heureusement, il nous reste le plaisir de consommer (toujours pour nous faire tenir tranquilles) et le travail pour régenter nos vies, nous donner une identité et une voie pour nous accomplir. Sauf que même le travail est devenu bullshit ! Et le problème ne fait que prendre de l’ampleur depuis les années 1970.
Pourquoi les bullshit jobs prolifèrent-ils ?
Pour David Graeber, la raison principale de la prolifération des bullshit Jobs est due à la financiarisation de l’économie dans les années 1970 par la fusion de la finance avec les hauts échelons supérieurs des bureaucraties d’entreprise dans n’importe quel secteur. Les PDG ont alors changé d’état d’esprit en n’étant plus attachés à une entreprise en particulier, mais en passant d’une boîte à l’autre et en se rémunérant en stock-options.
Sauf qu’en agissant ainsi, ils ont perdu leur lien avec les travailleurs, et ces derniers ne se sont plus estimés liés loyalement à l’entreprise. La suspicion s’est installée. Et comme le décrit David Graeber : « il a fallu à se mettre à les contrôler, à les administrer et à les surveiller de plus en plus près [engendrant] des hiérarchies interminables de seigneurs, vassaux et domestiques. »
Pour illustrer ce phénomène, David Graeber rapporte le témoignage édifiant d’Oscar, développeur à Hollywood. Aux dires du jeune homme, chaque scénario passe entre les mains d’une demi-douzaine de gestionnaires : administrateur délégué exécutif, administrateur des contenus et des talents internationaux, vice-président exécutif du développement, ou encore vice-président exécutif de la création télévisée.
Ce qui se passe à Hollywood, on le retrouve également dans le secteur bancaire, pharmaceutique, universitaire, et tout autre grande structure où s’est organisée une forme de féodalité managériale, selon les termes de David Graeber.
Résultat des courses ? Une société où les boulots au titre prestigieux et grassement payés sont pour une grande partie des bullshit jobs. En parallèle, les infirmières, les éboueurs, les coiffeurs et toutes les autres professions qui apportent un réel sens et créent une réelle valeur sont pour le coup beaucoup moins bien payés et reconnus socialement.
A l’échelle collective, notre situation est absurde. Et nous le savons, tout comme ceux qui ont des bullshit jobs savent que leur boulot est complétement con, ce qui les rend profondément malheureux.
Pourquoi les bullshit jobs nous rendent si malheureux ?
A titre individuel, si nous souffrons d’un job à la con c’est bien pour plusieurs raisons : nous sommes dans le flou, nous ne sommes pas l’origine de nos actes, nous ne nous sentons pas autorisés à souffrir (on a de la chance d’avoir du travail), ou encore nous savons que notre job va à l’encontre de nos valeurs.
Nous passons notre temps à brasser du vent dans notre coin, et quand nous jetons un regard autour de nous, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas seuls.
Des emplois inutiles superflus ou néfastes
Notre société brasse du vent et nous sommes en permanence dans le paraître : les boulots sont faux, les discours des politiciens sont faux, les vies postées sur les réseaux sociaux sont fausses. Et tout cela pouvant conduire au ressentiment, ou à un brown-out, une dépression due à l’absence de sens dans notre vie.
A titre collectif, l’accroissement de la bullshitisation du travail et de la société nous fait prendre conscience que nous vivons dans une société à la con. Ce qui peut encore arriver à nous réunir pour un petit temps de transcendance collective sont l’art et le sport.
Mais ce n’est pas suffisant pour la simple raison que ni l’art ni le sport ne sont au centre de notre société. C’est le travail.
Notre porte de sortie réside donc dans l’évolution de cette société du paraître à une société de l’être, où nous arrêterons de nous comporter comme des cons pour enfin revenir à l’essentiel. Nous pouvons attendre que les dirigeants nous prennent par la main, où nous pouvons d’ores et déjà revenir à l’essentiel par nous-mêmes et nous poser franchement la question : mais pourquoi je vais travailler ?
Source : David Graeber, Bullshit Jobs, Les liens qui libèrent, 2018
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Publié le 24/10/2018, mis à jour le 19/06/2023
mais il faut dire aussi que la satisfaction au travail est fonction de nombreux facteurs sur lesquels la gestion des ressources humaines peut agir : La multitude d’expérimentations et de pratiques empiriques en entreprise, s’accordent pour conclure que la satisfaction au travail est basée sur toute une série de conditions de travail favorables…