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Publié le 17/11/2021, mis à jour le 01/09/2022
Connaissance de soi
Comment développer son autonomie cognitive?
Guide de défense contre la manipulation mentale
Sommes-nous sûrs de savoir bien penser ? Non pas au sens moral, mais qualitatif.
Si la question est un brin provocatrice, elle est plus que justifiée à l’ère des fake news, du complotisme et des foires d’empoigne que sont devenus les réseaux sociaux et les chaînes d’information.
Très certainement, sommes-nous (plus ou moins) épargnés par ce tapage virtuel.
Mais le sommes-nous autant que nous le pensons ? Par exemple, échappons-nous complètement aux filets de la post-vérité, ce phénomène désolant où la considération de son opinion et de ses émotions l’emporte sur celle des faits réels ?
La réponse n’est pas si évidente pour Joëlle Proust, philosophe, directrice de recherche émérite au CNRS, membre de l’Institut Jean-Nicod et du Conseil scientifique de l’éducation nationale.
Son domaine de recherche principal est la méta-cognition, qui est la capacité de penser le contenu et l’organisation de ses pensées.
Son dernier ouvrage « Penser vite ou penser bien ? » (Odile Jacob, 2021) dévoile les mécanismes dont dépend l’action cognitive (un autre nom pour désigner le fait de penser) et comment celle-ci peut être socialement manipulée par la publicité, les discours péremptoires et nos proches.
Ces questions en amènent d’autres : comment éviter les pièges et retrouver de l’intelligence et de la pertinence cognitive ?
De façon plutôt simple : d’une part en comprenant les fameux mécanismes qui agissent sur l’action cognitive et, d’autre part, en s’initiant à quelques stratégies cognitives salvatrices.
Comment pensons-nous ?
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La théorie actuellement la mieux connue du grand public pour comprendre comment nous pensons, est la théorie dite duale.
Duale, parce qu’elle met en évidence deux modes de pensées distincts et complémentaires : le mode intuitif et le mode réfléchi.
La théorie mise en valeur par Joëlle Proust est la théorie du compromis entre efforts / bénéfices que nous retrouvons également dans l’action pure.
Sans que nous n’en soyons jamais conscients, tout ce que nous faisons et entreprenons résulte toujours d’un calcul rapide entre l’effort demandé et le coût rapporté. C’est ce même mécanisme qui agit sur l’activité cognitive.
Il existe trois types de compromis, autrement dit 3 types d’action cognitive :
- L’action cognitive impulsive, qui s’enclenche quand nous cherchons à combler une difficulté inopinée dans notre pensée. Cela peut être aussi bien de remédier à un oubli, une erreur de raisonnement ou de préciser sa pensée.
- L’action cognitive routinière qui s’enclenche quand nous cherchons à acquérir une information à faible coût. Ce que notre société technologique offre généreusement. Par exemple, en résolvant une équation en s’aidant d’une calculatrice, ou en allant sur Wikipédia plutôt qu’à la bibliothèque.
- L’action cognitive stratégique qui apparaît lors d’un véritable effort d’attention, de recherche et de travail de la pensée pour atteindre une compréhension profonde d’un phénomène, d’une situation ou d’une personne. Ecrire une thèse, mener une enquête, préparer un business plan ou réfléchir à son orientation professionnelle.
Ces actions cognitives sont associées à des sentiments méta-cognitifs. C’est-à-dire les sentiments et ressentis qui nous traversent pendant l’exercice de la pensée.
Ces sentiments jouent un rôle déterminant, puisque ce sont eux qui façonnent notre style de pensée, et par extension, nos comportements et choix de vie.
Pourquoi préférons-nous penser vite plutôt que bien ?
Les sentiments de la pensée
L’action cognitive, l’acte de penser, est essentiellement déterminée par des sentiments (méta-cognitifs) de fluence.
La fluence étant la facilité de traitement d’une information via notre mémoire, notre perception et notre raisonnement.
Quand le traitement est facile, on ressent des sentiments positifs de fluence. Quand il est difficile, on ressent l’inverse, des sentiments négatifs de fluence.
Ces sentiments particuliers sont :- Le sentiment de familiarité, de savoir /d’ignorer. «Tiens, ce nom me dit quelque chose. »
- Le sentiment de facilité / difficulté. « La Critique de la Raison Pure ? Pourquoi s’infliger ce pavé illisible ? »
- Le sentiment d’intérêt / curiosité ou d’ennui. « Je sens que cette pièce de théâtre va être passionnante ».
- Le sentiment d’incompréhension / compréhension et d’incohérence/ cohérence. « Je ne comprends plus rien, il y a 2 mois, le masque ne servait à rien. »
- Et le sentiment de confusion, d’incertitude/certitude. « Je ne suis plus sûre de ce que j’ai pu raconter hier. »
Ces sentiments agissent sur nos 3 styles de pensée, avec toutefois une différence. La pensée impulsive et routinière est essentiellement une pensée réactive, déterminée par l’émotion cognitive.
Ce qui n’est pas le cas de la pensée stratégique, qui est une pensée construite. La difficulté que nous rencontrons au quotidien est que rien n’est fait pour favoriser un tel style de pensée.
Les deux appuis de la pensée réactive
Tous les jours, nos sentiments sont excités. Tous les jours, nous sommes en réaction, à répondre du tac au tac, à nous (ré)conforter sur nos certitudes et croyances, à taper nerveusement sur notre clavier pour répondre à un tweet.
Pourquoi ? D’une part parce que notre cerveau est un partisan du moindre d’effort. Ce qu’il aime et recherche, c’est la facilité en toutes choses. L’activité cognitive ne fait pas exception.
Ainsi, plus, le traitement de l’information est facile et rapide (peu importe sa pertinence), mieux le cerveau se porte et nous remercie via des hormones de plaisir.
Or, qu’est ce qui est facile dans le champ de pensée ? De penser comme d’habitude et comme tout le monde. On se fait moins de nœuds et on ressent le plaisir d’appartenance à un groupe.
Ces tendances à la facilité sont d’ailleurs entretenues par les biais cognitifs que sont les biais sociocognitifs (l’adhésion aux paradigmes de notre environnement culturel et social), le biais de confirmation (rechercher des informations qui confortent notre pensée) et le biais d’égalité (mon opinion a la même valeur que celle des autres).
Par ailleurs, notre civilisation contribue également massivement à la paresse intellectuelle en réduisant les possibilités de penser stratégiquement à travers l'accélération du temps (prendre le temps de vivre, c’est aussi prendre le temps de penser). Et l’afflux continu d’informations, d’images, de sollicitations et d’incitation à donner son avis.
Le travail à faire sur soi consiste donc à développer un style de pensée stratégique, destiné à nous faire prendre du recul sur les injonctions sociales et messages au caractère urgent (donner son avis sur twitter) ou séduisant (comme celui des publicités).
Tout le but étant d’acquérir une autonomie cognitive, seule vraie garante de l’esprit critique.
Comment affiner ses capacités de raisonnement ?
Pour affiner, voire éduquer ses capacités de raisonnement, Joëlle Proust préconise deux principaux exercices :
- Travailler sa capacité d’attention à ce que l’on lit ou écoute en s’obligeant à restituer l’information à un tiers sous forme orale, écrite ou dessinée. Et surtout, se détacher autant que faire se peut des écrans.
Lire un texte à l’écran ou sur papier, même si son contenu ne change pas d’une virgule, change néanmoins grandement la qualité de compréhension de celui-ci.
Un tel décalage s’explique par l’usage abusif des médias numériques qui construisent des habitudes impulsives de traitement de contenu. En clair, on survole, on ne s’interroge pas sur ce que l’on lit. Et au bout d’un certain temps, l’habitude cognitive impulsive acquise derrière un écran s’étend aux livres et journaux.
- Apprendre à persévérer dans ses efforts en reconnaissant et distinguant ce qui sabote nos efforts de concentration et de raisonnement.
Cela peut être de garder son téléphone ouvert, la configuration de notre bureau, mais pas seulement : cela peut être également notre état d’esprit. Il est donc important de distinguer les sentiments extérieurs (bonne ou mauvaise humeur, fatigue etc.) des sentiments provoqués par le traitement du contenu lui-même.
Trois mots suffisent à résumer comment affiner son raisonnement :
- Le désirer. Changer ses habitudes cognitives demande un réel effort intellectuel, il s’agit donc de vouloir profondément ce but pour être en mesure de fournir les efforts nécessaires.
- Ralentir le flux des pensées. La méditation et la pleine conscience sont, à cet égard d’excellents outils.
- Persévérer. Ce n’est que par la répétition que de nouvelles habitues cognitives peuvent durablement s’ancrer.
L’effort est toujours vu comme une contrainte. Ce qui peut être un facteur décourageant. Néanmoins, cet effort a ceci de particulier qu’il est un des rares à apporter rapidement clarté et paix mentale.
Source : Joëlle Proust, Penser vite ou penser bien ? Éditions Odile Jacob, 2021
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