«La musique de Mozart est si pure et si belle que je la vois comme un reflet de la beauté intérieure de l’univers.»
Tel est l’hommage d’un génie, Albert Einstein, à un autre.
Pour le grand physicien, le tour de force du plus célèbre des Salzbourgeois a été d’avoir uni le terrestre au divin.
Si cela semble exagéré pour certains, vivre une expérience épiphanique au travers des plus grands compositeurs, et notamment de Mozart, est pourtant loin d’être rare.
Sa musique, légère et intense, est universelle. Elle a touché en son temps toutes les classes sociales. Des empereurs jusqu’aux roturiers.
Même aujourd’hui, une oreille peu accoutumée à la musique classique se laisse séduire, puis happer par Mozart.
La force de Mozart réside également dans son incroyable productivité et diversité. Le virtuose a écrit des compositions pour tous les instruments sans oublier naturellement la voix humaine.
Ludwig von Köchel, le célèbre musicologue qui répertoria et classifia toutes les compositions de Mozart en dénombre plus de 600. Il porta même ce chiffre à plus de 800 dans la sixième édition de son fameux Catalogue Köchel.
Enfin, le troisième aspect contribuant à la légende de Mozart est sa personnalité. Grâce à son abondante correspondance et au fameux film Amadeus de Milos Forman, Mozart nous semble plus familier que ses illustres collègues.
Mais si Mozart fascine, les ressorts de son génie restent pour le grand public mystérieux. Tout comme sa réelle personnalité.
C’est à ce mystère que s’est attelé Bernard Lechevalier, neurologue et organiste titulaire de l’église Saint-Pierre dans son ouvrage Le cerveau de Mozart (Odile Jacob).
Pour comprendre les ressorts du génie de Mozart, il faut d’abord se démettre de l’idée (assez répandue) qu’il aurait été un autiste surdoué.
Mozart était-il un autiste surdoué?
Les arguments en faveur de l’autisme discutés
En analysant les correspondances du Maestro, certains éléments laissent suggérer chez lui des similitudes avec la manière dont les autistes pensent le monde et y vivent.
Comme les autistes, il était capable d’exploits mentaux incroyables. A 14 ans, il avait ainsi reproduit le Miserere d’Allegri en ne l’écoutant qu’une seule fois. Et ce n’est pas une petite affaire tant l’œuvre est complexe et longue (plus de 15min).
Le second élément allant en faveur de cette thèse serait l’incapacité de Mozart à comprendre et à s’adapter à son environnement.
Effectivement, le compositeur avait du mal à s’acclimater aux codes et aux convenances aristocratiques.
Fier et sûr de sa valeur, il ne jouait pas aux courtisans et ne supportait pas le fait d’être traité comme un simple serviteur. Ce qu’il restait fondamentalement aux yeux des grands.
Or, face aux vexations, Mozart ne manquait jamais de rendre la politesse avec une répartie piquante.
Répartie qu’il mit au service de son esprit critique et dont il ne se privait pas d’utiliser pour juger le travail de ses collègues compositeurs. Une attitude qui ne lui apporta pas beaucoup d’amis…
Quant à ses autres lacunes, celles de gestionnaire et d’entrepreneur, elles s’expliquent par un défaut éducatif.
Léopold Mozart, son père, n’a malheureusement jamais eu la bonne idée de lui inculquer ses talents de stratège, d’organisateur et de publicitaire. Avec des moyens limités et dans une ville où il ne connaissait personne, Léopold savait organiser un concert en une semaine.
La réputation d’inadapté social de Mozart tient également à une autre légende. Celle d’un homme-enfant vulgaire aux tendances scatophiles. Des faits somme toute «grossis» par le film Amadeus.
La personnalité de Mozart
Certes, Mozart était un homme fougueux, sensuel, plein d’entrain et de vitalité comme sa musique l’en atteste.
Néanmoins, sa scatophilie se doit d’être très relativisée. Sur les 800 lettres laissées par le compositeur, seules trois ou quatre d’entre elles y font mention.
Par ailleurs, les remarques grivoises et vulgaires étaient monnaie courante dans les habitudes langagières de l’Allemagne du Sud et de l’Autriche d’alors. La propre mère de Mozart glissait des remarques de cette nature dans ses correspondances avec Léopold.
Si Wolfgang a hérité d’une telle réputation, l’hypothèse la plus vraisemblable tient à la déception de ceux qui l’ont approché. Il n’avait, effectivement, ni le physique ni la posture humble et sage que ces hommes et femmes du XVIIIème attendaient d’un génie.
Ce qu’il faut comprendre de la psychologie de Mozart est qu’il voulait être libre. Conditionné depuis tout petit par de fréquents et longs voyages, il a acquis très tôt ce désir.
Et ce goût de la liberté, conjugué à sa nature fougueuse et à la conscience de son génie, l’ont amené à sacrifier la bienséance et la sécurité financière.
Cela a commencé en quittant le prince-archevêque de Salzbourg avec qui l’entente était désastreuse. Puis en refusant des postes prestigieux, mais contraignants pour sa créativité, comme celui d’organiste de la Chapelle-Royale de Versailles.
Revenons maintenant à l’argument premier d’un autisme présent chez ce rebelle, à savoir ses dons exceptionnels.
Selon Bernard Lechevalier, deux capacités cérébrales exceptionnelles expliquent en grande partie son génie.
Quelles étaient les capacités cérébrales de Mozart?
L’oreille, la concentration et la mémoire absolues
Parmi les nombreuses capacités cérébrales de Mozart, Bernard Lechevalier en souligne les plus essentielles.
La première est son oreille absolue. A savoir la capacité à identifier un son musical sans l’aide d’un son de référence.
Longtemps considérée comme un don inné, les connaissances actuelles estiment qu’il s’agit plutôt d’une faculté acquise dès le plus jeune âge grâce à la pratique d’un instrument de musique.
A cette oreille s’ajoute sa facilité à s’isoler dans une bulle mentale pour composer. Tout entier à sa musique, rien ni personne ne pouvait le déconcentrer.
Des témoins racontent qu’il composait pendant que ses enfants chahutaient à ses pieds, que des visiteurs bavardaient à côté de lui ou que sa femme accouchait dans la pièce d’à côté.
La plus remarquable de ses capacités reste sa mémoire à moyen et long terme. Comme mentionné plus tôt, Mozart pouvait retranscrire une œuvre de 15min en ne l’ayant écouté qu’une seule fois.
Se construire une telle mémoire suppose du temps. Plus exactement, cela suppose 10 ans de pratique mémorielle. Or, notre virtuose étudie et pratique la musique depuis l’âge de 4 ans.
Au cours de cette décennie, la somme des connaissances construit dans le cerveau une base d’encodage puissant et précis. Grâce à elle, nous pouvons extraire une information rapidement de notre mémoire. Ou donner du sens à une nouvelle information en l’intégrant à notre savoir acquis.
La capacité à créer mentalement avant d’écrire
Selon une énième légende, il était aussi facile pour Mozart de créer une œuvre que de respirer. Contrairement à un Beethoven ou à un Maurice Ravel pour lesquels c’était une tâche laborieuse.
Cette légende s’explique par des capacités de stockage d’informations prodigieuses.
Mozart était capable de conserver dans un coin (un hangar) de sa tête tout un ensemble d’idées, d’images et de sons qu’il mettait en forme pour créer une œuvre.
Contrairement au commun des mortels, il n’avait absolument pas besoin de prendre des notes pour conserver ses idées.
Avant de jeter une œuvre sur papier, le Maestro n’écrivait donc rien. Il la créait intégralement dans sa tête avant de l’écrire sous «auto-dictée».
C’est ce qui explique pourquoi ses partitions manuscrites ne comportent (pratiquement) aucune rature ou aucune hésitation. Et c’est ce qui explique également sa créativité fulgurante pour certaines de ses œuvres.
Ainsi l’ouverture de l’opéra de Don Giovanni a été rédigée entre minuit et six heures du matin. De même, il rédigea la Symphonie 36, Linz, quelques heures avant la veille d’un concert.
Trois ans avant sa mort, il écrivit en six semaines ses trois grandes et dernières symphonies n° 39 (mi bémol), n° 40, en sol mineur, et n° 41, Jupiter, en ut majeur.
Il est entendu que ses capacités ne se développent pas comme par enchantement. Elles sont le résultat d’un environnement propice soutenu par un travail colossal.
Comment l’environnement de Mozart a façonné son génie?
Une famille aimante et musicale
Les différents environnements du virtuose ont énormément contribué à provoquer, nourrir et porter son génie.
Le premier d’entre eux est, naturellement, l’environnement familial.
Depuis son enfance, et même quand il était encore dans le ventre de sa mère, Mozart a baigné dans la musique. Léopold, compositeur déçu, recevait souvent des amis musiciens à la maison.
Sachant que le cerveau se façonne dès la vie intra-utérine, il n’est pas impossible que le petit Wolfgang ait développé des capacités cérébrales «musicales» avant même de voir le jour.
Mais c’est sans conteste grâce à son père que le petit prodige est devenu un géant.
Dire que la relation entre Léopold et Wolfgang était forte serait un euphémisme.
Léopold était intimement convaincu du génie de son fils et d’être investi d’une mission divine. Celle de le faire connaître au monde.
Quant au jeune Mozart, il adulait ce père qui lui apprenait tout ce que sa soif de savoir exigeait.
Père affectueux et brillant pédagogue, Léopold savait savamment doser son apprentissage. Et s’il mettait l’accent sur la musique, son enseignement comptait aussi les lettres, les langues, les sciences, les arts plastiques et les mathématiques.
N’oublions pas enfin, Nannerl, la grande sœur de Mozart, future compositrice, claveciniste et pianiste.
Nul doute qu’elle ait contribué à élever son génie de frère. Leurs échanges épistolaires ne cachent ni leur tendresse ni leur complicité.
A ce premier environnement chaleureux et musical s’ajoute l’influence de Salzbourg et des voyages.
Salzbourg et les voyages
Cela peut nous surprendre mais Salzbourg était au XVIIIème siècle l’un des plus grands bastions de la musique.
Il n’existait pas une rue où on n’entendait pas de musique. En plus de la floppée de concerts privés, elle investissait constamment les églises, les abbayes et le théâtre municipal.
Il s’y développa même un style musical typiquement salzbourgeois réputé vif et joyeux (cela ne vous rappelle personne?)
Outre Salzbourg, les Mozart ont voyagé dans toute l’Europe où Wolfgang a pu s’initier à tous les genres musicaux connus.
Il apprit ainsi la polyphonie de la Renaissance, la sonate classique, la fugue, les grands motets et le contrepoint de Bach. Il étudia tous les compositeurs célèbres, tous les chefs d’œuvres possibles et tous les instruments connus.
A tel point d’ailleurs que Mozart dit un jour: «il ne serait pas facile de trouver un maître célèbre en musique que je n’ai étudié avec application et souvent étudié à plusieurs reprises d’un bout à l’autre.»
C’est par cet apprentissage continu et assidu qu’il devint le génial compositeur ainsi qu’un immense pianiste, un excellent violoniste, un altiste et un brillant organiste.
Conclusion, le génie ne tombe jamais du ciel
Le génie ne tombe jamais du ciel.
Il est le produit d’un art de vivre, l’art de l’excellence, dont Mozart s’est emparé avec gourmandise et de façon totalement instinctive.
Il a non seulement sublimé une passion qui le faisait vibrer, mais il s’est également battu pour sa dignité et sa liberté. Nous pourrions estimer qu’il a échoué dans combat puisqu’il en est mort à 35 ans.
C’est mal connaître le rapport que les plus grands d’entre nous entretiennent avec la mort.
Dans une lettre adressée à son père malade, il écrit:
«Comme la mort est l’ultime étape de notre vie, je me suis familiarisé depuis quelques années avec ce véritable et meilleur ami de l’homme. […] Et je remercie mon Dieu de m’avoir accordé le bonheur de le découvrir comme clé de notre véritable félicité.»
Qu’on se le dise, seul un sage se cachant derrière son rire, et non un pitre vulgaire, pouvait devenir Wolfgang Amadeus Mozart.
Source: Bernard Lechevalier, Le cerveau de Mozart, Odile Jacob, 2003
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous