Quel est le point commun entre la jalousie et la dépression?
Il est assez étonnant d’aborder la jalousie sous un prisme positif tant ce sentiment est associé à nos plus bas instincts.
C’est pourtant ce à quoi se sont employés sept grands professionnels de la santé mentale lors d’une journée de débats organisée par le groupe de recherche en psychopathologie clinique.
Les réflexions de cette journée ont été publiées récemment dans l’ouvrage Les bienfaits de la jalousie (PUF) sous la direction des psychanalystes Catherine Chabert et Estelle Louët.
En introduction, Catherine Chabert rappelle que les psychanalystes partent du principe qu’il est normal d’être jaloux.
Selon la pensée freudienne, la jalousie apparaît malgré nous dès les premiers mois de la naissance. Elle surgit lorsque nous prenons conscience de ne pas être l’unique objet d’amour de la mère.
Par ailleurs, le titre choisi, Les bienfaits de la jalousie, est une référence aux Bienfaits de la dépression du psychanalyste et essayiste Pierre Fédida.
C’est une phase transitoire inconfortable, certes, mais non dénuée de possibilités. En elle et par elle se trouvent les ressources pour intégrer ses malheurs et aller vers un regain de vitalité.
Il en serait exactement de même pour la jalousie.
La jalousie serait à la dépression ce que le feu est à la glace.
La dépression ramollit le corps et l’esprit. Ce qui est loin d’être le cas quand on est jaloux. Les sentiments associés sont incandescents et nous poussent à agir, à nous battre, à lutter contre la mélancolie, la perte et le rejet.
La jalousie a donc ses bons côtés. Son absence, d’ailleurs, n’étant jamais très bon signe.
L’absence de jalousie est-elle toujours bon signe?
Estelle Louët évoque le cas clinique d’Alice, une jeune femme consciente de ses difficultés à comprendre et ressentir les émotions, dont la jalousie.
Alice raconte que son petit-ami va partir quelques jours en vacances avec son ex. Une amie d’Alice remarque qu’elle devrait être jalouse. Or, il n’en est rien.
Cette absence de jalousie indique soit une absence de sentiment amoureux, soit, et c’est la thèse de Louët, une «défaillance du moi dans le procès de qualification de l’affect».
Cela signifie qu’il y a un dysfonctionnement dans la manière dont Alice se perçoit elle-même et interagit avec le monde.
Ce dysfonctionnement est révélateur d’une intolérance à la souffrance émotionnelle. C’est une stratégie de «détachement de soi» pour se protéger de la réalité et de ses difficultés.
C’est par le récit d’anecdotes de vie et, surtout, par la prise de conscience de regards furtifs (parfois atterrés, parfois attristés) de sa psychanalyste qu’Alice prend conscience d’elle-même.
Incapable de se voir par elle-même, elle apprend à le faire grâce au regard de l’autre. Et avec la conscience d’elle-même suit la conscience de son désarroi, de sa jalousie et des autres émotions.
Cet échange de regards entre le thérapeute et le patient permet également de sublimer la jalousie.
Sublimer c’est faire œuvre d’alchimiste en transformant ce qui nous ronge en quelque chose de bien, de beau ou de grand.
Cette transformation s’accomplit lorsque les pulsions néfastes sont canalisées et détournées vers un but ayant du sens.
L’exemple typique étant celui qui canalise ses pulsions agressives grâce au sport. Il se sert de cette énergie pour se dépasser et, pourquoi pas, accomplir des exploits.
Or, comme l’agressivité et la frustration, la jalousie excessive peut elle aussi être sublimée. Et ce, grâce au transfert opéré durant la psychanalyse.
Comment sublimer la jalousie selon Freud et les psychanalystes?
Pour pouvoir sublimer sa jalousie, il faut d’abord en avoir conscience et ras-le-bol. Sentir que ce sentiment nous pourrit la vie et nous éloigne de la personne que nous souhaiterions être.
Ensuite, il faut pouvoir en comprendre les racines. C’est ce à quoi s’emploie le transfert.
Le transfert est une situation où le patient projette vers son thérapeute des émotions et des sentiments associés à son histoire.
Par exemple, un patient peut éprouver un sentiment de dépendance envers le thérapeute. Sentiment qui fait écho à celui qu’éprouve le patient pour son père ou sa mère.
Notons d’ailleurs que le transfert ne se limite pas aux relations thérapeutiques. Il peut également se produire dans une relation amoureuse, professionnelle ou amicale.
Le jeu du transfert révèle les causes et dynamiques inconscientes de la jalousie telles que:
Les motifs inconscients de la jalousie qui sont souvent la conséquence de blessures d’enfance.
Les mécanismes psychiques et les mouvements pulsionnels associés tels que:
La projection, qui est d’attribuer à autrui ses propres pensées, sentiments indésirables.
L’inversion d’affect qui est de transformer des émotions inacceptables en leur contraire.
Une personne qui ressent de l’amour pour quelqu’un mais ne peut pas l’accepter peut inverser cet amour en haine ou en rejet.
Freud avait observé que la sublimation pouvait s’opérer rapidement grâce à l’humour.
En laissant un patient lui décrire précisément les délires auxquels le poussait sa jalousie maladie, celui-ci eut d’un coup un déclic. Il prit soudainement conscience qu’il était ridicule et se moqua de sa jalousie. Ce qui accéléra le processus thérapeutique.
Qu’en est-il maintenant de la plus commune des jalousies? Quelles bonnes réactions adopter quand elle nous surprend? Autrement dit, comment sublimer la jalousie ordinaire pour en faire une jalousie constructive?
Elle peut être révélatrice de besoins insatisfaits et d’attentes. Ce qui peut être l’occasion de faire le point sur ses désirs, ses limites et d’amorcer des changements de vie bénéfiques.
La jalousie, dans un couple, peut renforcer la compréhension mutuelle et les liens. En prenant le soin d’expliquer ses inquiétudes et ses attentes, les non-dits, la frustration et les risques d’éloignement sont évités.
Enfin, et c’est certainement le plus grand bienfait de la jalousie (normale) connu mais tu de tous, à savoir qu’elle est un excellent moteur de motivation.
Un moteur beaucoup plus puissant que ne l’est le désir de suivre les pas d’une personne admirée comme l’a démontré une étude de l’Institut Tilberg (Pays-Bas).
Une conclusion, au fond, peu étonnante, tant il a été prouvé que la frustration joue une grande part dans la naissance du désir de faire et de devenir.
Soyons certains que les potentiels et les différentes facettes de la jalousie ne sont pas encore connus de nous.
Les psychanalystes réunis en sont plus que conscients. Il semblerait, par exemple, que l’expression de la jalousie maladive ne soit pas la même selon que nous soyons une femme ou un homme.
C’est un fait qui repose sur leur expérience personnelle et leur intuition, et qui n’a pas fait l’objet d’étude ou de statistique actuellement.
En dépit du désir de la voir s’effacer de nos vies, la jalousie est loin d’en avoir terminé avec nous.
Elle continue, et continuera encore longtemps de nous chatouiller et de fasciner les artistes.
Source: Les bienfaits de la jalousie, sous la direction de Catherine Chabert et d’Estelle Louët, Presses Universitaires de France/Humensis, 2023
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