Comment l’alcool a impacté la Révolution française?
Publié le 01/12/2021, mis à jour le 30/10/2024
Choses à savoir culture générale
Comment l’alcool a impacté la Révolution française?
6 min de lecture
Les deux visages de la Révolution française
Nous pouvons tout oublier de nos cours d’histoire, mais pas la Révolution française de 1789.
A travers nos symboles nationaux (hymne, drapeau, journée nationale), cette Révolution fait partie de notre conscience collective.
La Révolution possède deux visages. Celui, lumineux, du moment libérateur et fraternel. Et le ténébreux, celui d’une tuerie sanguinaire et sauvage.
Encore aujourd’hui, le déroulement précis de la Révolution laisse quelques énigmes et incohérences notamment entre les discours, les intentions et les événements.
Par exemple, les bourgeois et nobles réformateurs conspirateurs de la Révolution l’imaginaient avec un minimum de violence.
Il n’en fut rien. Tout a dégénéré. Et ce décalage entre volonté et réalité se retrouve à plusieurs moments de la Révolution.
Pour participer à l’éclairage de ces mystères, Michel Craplet, médecin alcoologue, passionné d’histoire et de littérature, se propose de relire la Révolution sous le prisme de l’alcool.
Cette lecture suppose tout simplement de se plonger dans les écrits des individus ayant vécu à l’époque, et y déceler les passages où l’alcool est mentionné.
Ces écrits sont essentiellement des correspondances et des journaux intimes ayant appartenu aux nobles, artisans ou journalistes.
Et que nous révèlent-ils ?
Et bien par exemple qu’à l’occasion des nombreux pillages qui ont eu lieu au cours de la Révolution, les caves n’étaient jamais oubliées.
La prise de la Bastille et des caves
Les ivresses de la Révolution
Chercher l’alcool durant la Révolution, c’est vite le trouver.
Nombreux sont les témoignages, à différents événements et moments, où il est fait mention du vin, de l’eau-de-vie, de liqueurs et de soldats, d’hommes et de femmes complètement ivres.
En voici deux exemples :
Dans la nuit qui précède la prise de la Bastille, le 13 août 1789, un abbé nommé Morellet aperçoit « des hommes de la plus vile populace armés de fusils, de broches, de piques, se faisant ouvrir les portes des maisons, se faisant donner à boire, à manger, de l’argent, des armes ».
Un journaliste royaliste analyse durant la même nuit : « on ne peut se dissimuler que la populace ne se soit portée à des excès trop répréhensibles, elle s’est enivrée des vins et des liqueurs qu’elle a trouvés dans les caves et a brisé et saccagé ce qu’elle a rencontré. »
En 1792 eu lieu la prise des Tuileries, qui fut l’un des plus grands carnages de la Révolution.
Le comte de Fersen osant sortir après le carnage, raconte : « Les caves ont été enfoncées et plus de dix mille bouteilles de vin, dont j’ai vu les débris dans la cour, ont tellement enivré le peuple que je me suis pressé de terminer une enquête assez imprudemment entreprise, au milieu de deux mille ivrognes, ayant des armes qu’ils maniaient très maladroitement. »
L’écrivain Mercier décrit quant à lui comment « on a marché pendant plus de quinze jours sur les débris d’innombrables bouteilles, et que les fragments en étaient tellement semés dans le jardin des Tuileries, qu’on eût dit qu’on avait voulu faire des routes de verre pilé. »
L’alcool au cœur des violences
Ces quelques épisodes et témoignages se retrouvent tout au long de la Révolution. A chaque émeute ou grande journée révolutionnaire, ces mêmes scènes se reproduisent.
Mais pourquoi tant de beuverie ? Le peuple français était-il à ce point désemparé pour faire le choix de décompresser dans l’ivresse et la violence ?
La réalité est toute autre. Les Français ne sont pas en pleine décompression, mais en pleine découverte. Car, à cette époque, pour la majorité d’entre eux, l’alcool est un produit de luxe rarement accessible.
Boire de l’alcool, une expérience révolutionnaire
Une découverte pour le peuple
Dans la France des années 1780, le vin et les autres boissons alcoolisées sont des produits rares et chers. Seule une petite élite composée de la noblesse et du haut-clergé peut se permettre de consommer quotidiennement du vin et autres liqueurs.
Le vin, plus que les autres alcools, a une image particulière dans l’esprit du peuple. Il est la chasse gardée des privilégiés.
Ainsi, en forçant les caves et en vidant les bouteilles, le peuple et les bourgeois s’approprient ce privilège.
Seulement, en découvrant pour la première fois l’ivresse au beau milieu d’une autre forme d’ivresse qui est celle de l’émeute collective, on peut comprendre que beaucoup aient perdu pied.
D’autant plus que selon, Michel Craplet, une fois que l’on a commencé à boire et à y prendre goût, on augmente sa consommation d’alcool.
C’est ce qui expliquerait que loin d’être traumatisée par une gueule de bois, la population n’a cessé de piller les caves des châteaux et monastères et autres domaines.
Une armée en roue libre
Par ailleurs, les soldats aussi sont des hommes du peuple. Pour eux non plus, l’alcool n’est pas un produit quotidien.
Et l’on comprend donc pourquoi, en étant à la fois amadoués et invités à boire de l’alcool chez les bourgeois, les royalistes et gens du peuple, ils se soient retrouvés à changer de camp, à fraterniser avec le peuple et à trahir tous leurs devoirs et allégeances.
L’épisode de l’arrestation du roi est édifiant à ce sujet. Les soldats du roi qu’on imagine être de solides gaillards, ont comme officiers des adolescents de 18 ans.
Quelle réelle autorité peuvent avoir ces ados face à plusieurs bonhommes échauffés par les événements et l’alcool ? Aucune.
Alors les bourgeois en profitent. Ils cherchent le roi et invitent les soldats à boire pour les faire parler. Ces derniers ne se font pas prier, d’autant plus qu’aucune autorité ne les retient.
Quand la berline du roi arrivera après plusieurs heures de retard, tous les soldats seront ronds.
Cet épisode rappelle que l’alcool n’est pas uniquement un vecteur de violence, il est aussi un outil de séduction, de rapprochement, voire de réconciliation.
Pendant la Révolution, boire ensemble deviendra un acte républicain convivial. Un gage d’égalité et de fraternité pour les paysans et bourgeois. Et, pour les nobles, un moyen comme un autre d’amadouer ceux qui en veulent à leur vie.
Louis XVI, lui-même, adoucira une foule agressive en trinquant à la « santé de la Nation ».
En tant que grand buveur, Louis XVI était certainement plus aux faits des effets tranquillisants de l’alcool que ses sujets et concitoyens.
La descente de Louis XVI
Qui est Louis XVI ?
Au même titre que la Révolution, Louis XVI possède deux visages.
Le premier est peu flatteur. C’est un roi obèse, glouton, poivrot, paresseux, toqué (il s’amuse avec toutes les serrures du château), et impuissant avec la reine. Il n’arrive ni à dire non à ses caprices, ni à lui faire un enfant pendant 7 ans.
Le second visage, en revanche, présente un Louis XVI sensible, introverti mais curieux de tout et très cultivé. C’est d’abord un passionné de géographie, intéressé par la lecture, les sciences et la technologie (les serrures et l’horlogerie s’en rapprochaient le plus).
Les deux visages, sans totalement se valoir, se complètent.
Louis XVI était effectivement un homme intelligent et sensible. Mais c’était également un homme profondément malheureux et malade.
Sa couronne, c’est sa croix. Versailles, son héritage, son lieu de supplice. Les étiquettes et la mondanité le blasent tellement qu’il ne fait même pas l’effort de les appliquer. Quitte à provoquer l’ire de la noblesse et les reproches de son entourage.
Et puis, évidemment, les affaires et finances désastreuses du royaume n’arrangent rien.
Alors pour échapper à toute cette pagaille, Louis XVI s’enfuit autant qu’il le peut. Dans ses livres, ses cartes, ses parties de chasse, ses copieux repas et ses bouteilles de vin.
Louis XVI, roi alcoolique
Car oui, de nombreux indices dans les archives mettent en évidence l’alcoolisme du roi :
Plusieurs témoins rapportent avoir vu le roi rentrer de la chasse en état d’ébriété avancé.
Dans son journal intime, le comte d’Hézecques nous apprend que tous les soirs, Louis XVI se faisait amener dans sa chambre, du pain, deux bouteilles de vin et une carafe d’eau.
A Varennes, le roi est arrêté dans une auberge, attablé et saoul.
Les archives de la prison du Temple laissent suggérer que Louis XVI consommait entre 4 et 10 bouteilles de vin et champagne par jour pendant ses repas.
Un autre indice de l’alcoolisme du roi selon Michel Craplet est son infertilité de 7 ans.
Grâce aux correspondances entretenues entre Louis XVI et l’empereur d’Autriche Joseph II, le frère de Marie-Antoinette, on apprend que le roi est incapable d’éjaculer. Or, comme le note M. Craplet : « l'alcool retarde parfois l'éjaculation en diminuant la sensibilité génitale de l'homme. »
Cette explication semble être la bonne piste, puisque lorsque Joseph II suggère à Louis XVI de faire l’amour l’après-midi (où il est susceptible d’être plus frais) plutôt que le soir, la reine tombe rapidement enceinte.
Michel Craplet dévoile donc ici un 3e visage de Louis XVI, un roi effectivement malheureux, mais surtout alcoolique et malade.
A quel point les addictions de Louis XVI l’auront-elles handicapé dans ses décisions, ses prises de parole et ses actes ?
On vous laisse l'imaginer !
Ce qui est sûr, c'est que l'alcool est un protagoniste encore sous-estimé, voire toujours ignoré dans les livres d'histoire...
Source : Michel Craplet, L’ivresse de la Révolution, Grasset, 2021 image shutterstock: Boryana Manzurova
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