Est remarquable celui (ou celle) qui s’est distingué et a attiré l’attention sans forcément le vouloir. Ce dernier point le distingue de celui (ou celle) dont le but premier est d’attirer le regard des autres.
Il y a donc les personnes remarquées et les personnes remarquables, dont Benjamin Ferencz fait partie.
Si son nom est peu connu, cet avocat Américain a pourtant bien marqué l’Histoire. C’est à lui que l’on doit l’ouverture du 9ème procès de Nuremberg, le procès des Einsatzgruppen, et, en partie, l’existence de la Cour Pénale Internationale.
Les Einsatzgruppen étaient les « groupes d’intervention » composés de 3000 hommes, dont la mission consistait à exterminer tous les opposants réels ou supposés du régime nazi. Les Juifs en premier lieu. Les Einsatzgruppen sont les responsables des fusillades massives perpétrées dans toute l’Europe de l’Est.
Aujourd’hui, Ferencz a 101 ans. Son dernier livre « Ne jamais abandonner ! » (Dunod, 2021) est le résultat d’une conversation avec la journaliste Britannique Nadia Khomani.
Touchée autant par la personnalité joyeuse de l’homme que par son parcours de vie épique, Khomani incite Ferencz à se confier. Quel est le secret de son éternel enthousiasme, et quels enseignements a-t-il retiré de la vie et souhaiterait-il transmettre ?
Les savoirs être remarquables
Le savoir être opportuniste
L’école est partout
Né en 1920, Benjamin Berrel Firencz, est le fils d’immigrants juifs ayant été contraints de fuir la Transylvanie (ancien pays aujourd’hui réparti entre la Roumanie et la Hongrie) antisémite. Arrivés à New York, sa famille atterrit dans le quartier Hell’s Kitchen.
Aujourd’hui quartier chic et charmant, la cuisine de l’enfer méritait bien son nom à l’époque puisque c’est là où se concentrait la plus forte densité de criminalité du pays.
Le petit Benjamin grandit là, fréquente l’école du quartier mais apprend également dans la rue, au cinéma.
Au grès des rencontres et des endroits, il apprend à lire, compter, se battre, ruser, voler, gagner de l’argent, parler une autre langue. Les rencontres et les endroits deviennent des écoles de la vie.
De cette jeunesse pauvre, il retire sa première leçon qui porte sur l’éducation : « où que vous soyez, vous pouvez apprendre. Quand vous regardez un film, que vous lisez un livre, que vous marchez dans une rue, ou que vous discutez – ne soyez pas passif. Tout ce que vous faites peut-être l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, et vous ne savez jamais quand ces connaissances vous seront utiles. »
Ne mépriser aucune option
Elève insolent mais brillant, Ferencz intègre le City College, qui accueillait des enfants de milieux défavorisés gratuitement. Ce qui lui permet d’intégrer ensuite la Harvard Law School. Sans grand entrain ni grande conviction.
Entre les cours, Ferencz accumule les combines pour se nourrir et payer son loyer. Ayant entendu parler d’une allocation pour les assistants-professeur, il en déniche un qui l’accepte, Sheldon Glueck. Il charge Ferencz de résumer tous les livres de la bibliothèque d’Harvard consacrés aux crimes de guerre.
Une tâche fastidieuse qui ennuie l’étudiant mais qui changera sa vie, car c’est grâce à ces connaissances qu’il deviendra à 27 ans le plus jeune procureur de Nuremberg.
De ces aléas, Ferencz retient deux leçons :
« Il arrive quelquefois que se présentent à nous des échelles auxquelles nous ne voulons pas grimper – mais cela ne veut pas dire que nous n’en sommes pas capables, ou que nous n’aimerions pas la vue qui s’offrira à nous pendant l’ascension. Ne rejetez pas l’option qui s’offre à vous sous prétexte qu’elle n’est pas parfaite. »
« La vie emprunte des chemins qui peuvent être tortueux. Ils tournent, ils grimpent, ils plongent et sont semés d’ornières. Lorsque vous arrivez à entrevoir un sentier qui vous plaît, toutes les digressions traversées seront profitables à votre expérience, même si vous les détestiez à l’époque. »
Savoir être obstiné
« Ne pensez pas en opposant la facilité à la difficulté. […] Si vous avez un rêve, qu’il s’agisse de changer de carrière, de fonder une association caritative, de vous faire une condition physique, de postuler pour un nouvel emploi ou de gravir une montagne, ne vous laissez pas intimider par le fait que vos pairs ne l’ont jamais fait ou qu’il y a des obstacles sur le chemin. Avec le bon niveau de foi et d’engagement, vous pouvez réaliser tout ce que vous voulez. »
Ferencz avait-il un rêve d’enfant ? Cela ne transparait pas dans son récit. Sa vocation de défenseur de la paix naîtra durant la guerre, la vision d’horreur des camps de concentration et au moment des tribunaux de Nuremberg.
Alors qu’il finit ses études de droit, la Seconde guerre mondiale a éclaté. Ferencz est réquisitionné et envoyé au front. Il se confronte à ce que la guerre a de plus inhumaine et l’armée de plus idiote et d’absurde. Aucun héroïsme n’y est décrit.
Après la Seconde guerre mondiale, le gouvernement le sollicite pour participer à la préparation des procès militaires pour juger les nazis. Ferencz n’est pas motivé, mais ne trouvant désespérément pas de travail dans la vie civile, il accepte.
Ses investigations l’amènent à découvrir l’implication des Einsatzgruppen dans la Solution Finale. Ferencz veut leur coller un procès. On lui répond qu’il n’y a ni budget ni personne de disponible pour s’en occuper. Il rétorque qu’il s’en chargera. Le procès des Einsatzgruppen aura donc bien lieu.
Savoir être détaché
Les procès de Nuremberg ouvrirent les yeux à Ferencz. Les criminels de guerre et contre l’humanité ne peuvent plus rester impunis. L’idée de la création d’une Cour pénale International émerge.
« Au début des années 1970, j'ai abandonné la pratique commerciale du droit pour me consacrer plus pleinement à la cause de la justice internationale. J'ai écrit des livres, je suis allé à toutes les réunions des Nations unies, j'ai fait du lobbying auprès de toutes les personnes possibles, j'ai écrit des articles, j'ai donné des conférences. La Cour pénale internationale (CPI) a finalement été créée à Rome en 1998. »
Comment tenir dans le temps ? Comment ne pas être démoralisé ou découragé ?
En acceptant d’être pragmatique et lucide :
Il y aura toujours des obstacles et des adversaires, parce que le changement fait peur. Il menace un ordre établi qui satisfait un certain nombre de gens. C’est ainsi. Ferencz s’est attaqué aux puissants qu’il connait et dont il sait la plus grande peur : la limitation de leur pouvoir.
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Se souvenir que le but n’est pas d’atteindre la perfection, mais de ne jamais reculer et de toujours souligner les progrès effectués.
Ne pas se laisser distraire par la précipitation. Le changement est lent, et l’intolérance au temps qui passe est une maladie de notre société moderne. Ferencz partait même du principe qu’il ne verrait pas la CPI (Cour pénale internationale) de son vivant. Il se battait pour les générations futures.
Ne jamais être seul. Les équipes, les communautés, les amis sont la clé de nos succès continus.
Ne jamais perdre le sens de l’humour. « Trouver un peu de joie dans chaque jour qui passe est un grand soutien dans la vie ; c’est le fagot de bois dont a besoin votre foyer pour entretenir sa flamme. »
Source : Benjamin B. Ferencz, Ne jamais abandonner ! 9 leçons pour une vie remarquable, éditions Dunod, 2021
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