Comment penser la sanction à l’heure de l’éducation positive?
Publié le 31/08/2022, mis à jour le 04/11/2024
Développement & éducation des enfants
Comment penser la sanction à l’heure de l’éducation positive?
6 min de lecture
Education positive: punir est-il un échec?
A l’heure de l’éducation positive : «Comment sanctionner quand on a le sentiment que la sanction est la marque d’un déficit relationnel, le signe d’un manque de professionnalisme, ou plus simplement, l’aveu d’un échec éducatif? […]
Sujet tabou et pratique honteuse, la question de la sanction a longtemps été frappée d’indignité intellectuelle. Et pourtant, il n’est pas d’éducation sans sanction.
Le problème n’est donc plus aujourd’hui de savoir s’il faut ou non sanctionner, mais de savoir comment s’y prendre pour responsabiliser un sujet en devenir?»
Cette réflexion et cette question ouvrent l’essai «La sanction en éducation» (Que Sais-Je) d’Eirick Prairat, professeur de philosophie de l’éducation à l’université de Lorraine, et membre honoraire de l’Institut universitaire de France.
Elles rappellent que la sanction n’est pas un abus de pouvoir arbitraire, le signe d’un désamour, ou d’une impuissance, mais une nécessité. Autrement dit, un des piliers d’une bonne éducation, celle qui vise à responsabiliser l’enfant.
La sanction, c’est au fond, ni plus ni moins que la conséquence, la suite logique d’actes qui ont porté atteintes aux règles et aux valeurs pour vivre en bonne intelligence avec autrui.
La sanction n’est pas donc pas négative, elle a une portée positive.
Ces propos n’exposent aucune vérité extraordinaire, ils sont même tout à fait banals. Et pourtant, la sanction est un sujet éducatif tombé en disgrâce.
Et cela est un fait inédit dans l’Histoire de l’éducation. Pendant très longtemps, la sanction, assimilée à la violence et la maltraitance, se fondait au process éducatif. Comment sommes-nous passés d’un regard complaisant sur la sanction abusive à un simple rappel de la règle?
Comment la sanction est-elle tombée en disgrâce?
De -5000 à 1800: la sanction par le bâton
La sanction a longtemps été assimilée au bâton, fouet, trique, martinet et autres.
Dans la Rome Antique, le pater familial disposait du droit de vie ou de mort sur toute la maisonnée, confondant la sanction aux châtiments corporels. Les enfants étaient perçus comme des sauvageons excités dont il fallait calmer la fougue.
Avec l’avènement du Christianisme, au début du IIème siècle, la loi permet aux fils de s’émanciper des pères trop violents, leur faisant perdre leurs droits parentaux.
Toutefois, les châtiments corporels restent bien présents au Moyen-âge. Baignés dans une religion qui leur enseignait que nous naissions tous pécheurs, les parents ne voyaient d’autre alternative que les coups pour s’assurer que l’enfant ne finisse pas damné ou proscrit.
Un point de vue d’ailleurs largement appuyé par des expressions bibliques telles que:
Qui épargne la baguette hait son fils, qui l’aime prodigue la correction.
Les blessures sanglantes sont un remède à la méchanceté, les coups vont jusqu’au fond de l’être.
Un cheval mal dressé devient rétif, un enfant laissé à lui-même devient mal élevé.
A la Renaissance, on observe encore un recul des châtiments corporels. Cette fois-ci, on insiste sur la mesure et la pondération. Car si donner du bâton est bénéfique, trop en donner fait du tort à l’éducation de l’enfant.
Erasme énonce ainsi: «Rien n’est plus nuisible que l’accoutumance aux coups. […] Un médicament mal pris aggrave la maladie au lieu de l’atténuer.»
Montesquieu suit la même logique en conseillant aux parents d’adopter une «sévère douceur» avec si nécessité des corrections musclées.
Il faudra attendre le siècle suivant pour que Rousseau prône un regard novateur sur la psychologie de l’enfant. Celui-ci cesse d’être décrit comme un petit adulte en roue libre, mais comme un être doté d’une nature et d’un cerveau bien différents de ceux de l’adulte.
De 1800 à aujourd’hui: la sanction remise en question
Naturellement, entre les discours, les textes et les mentalités existe souvent un gouffre. Bien que de plus en plus condamnée, la sanction violente est restée longtemps de rigueur.
Toutefois, elle a fini par décliner pour glisser vers de nouvelles formes punitives au XIXème siècle. La sanction délaisse la souffrance physique pour glisser vers la punition psychologique via notamment l’enfermement (le cachot) ou l’humiliation (le fameux bonnet d’âne).
Pour que la sanction s’adoucisse au point de disparaître, il aura fallu trois grandes réformes éducatives:
L’avènement de l’enseignement mutuel (1815-1850) selon lequel les élèves, pour apprendre, ont besoin de prendre la place du maître. Concernant le rapport à la sanction, l’élève était jugé par un élève-professeur ou un jury d’élèves en cas de faute grave.
Le courant hygiéniste (1850-1900) qui a dénoncé les dangers de certaines formes de punition sur la santé des enfants.
L’avènement des pédagogies nouvelles (1900-1950), notamment incarné par Montessori, qui prônent la participation, l’esprit d’initiative, la créativité et le sens des responsabilités.
Bien que plaisantes sur le papier, les pédagogies nouvelles connurent des revers.
Dans les années 1920, Gustave Wynecken et Bertold Otto décidèrent de créer une école avec comme but de «vivre fraternellement et en vrais camarades avec les élèves». Leur pari étant que seuls l’échange intellectuel et l’amour suffisent pour accompagner l’enfant vers son épanouissement. Un pari raté. L’indiscipline générale et la pagaille amenèrent la fermeture de l’établissement.
Il n’empêche que quelques décennies plus tard, cet échec n’a pas enterré les pédagogies nouvelles. Elles sont, au contraire, particulièrement présentes aujourd’hui dans les foyers comme les écoles.
Reste à savoir que faire de la sanction. Comment la rendre compatible avec une éducation positive à la fois responsabilisante et épanouissante? (et si vous vous demandez "Qu'est-ce que l'éducation positive, alors vous pouvez consulter l'article lié dans la phrase précédent)
La réponse vient peut-être des philosophes, des psychanalystes ou encore des pédagogues.
Comment les philosophes, psys et pédagogues pensent la sanction?
Eirick Prairat observe qu’entre les philosophes, les psychanalystes et les pédagogues, la sanction n’est pas pensée sous le même angle.
Pour les philosophes, l’éducation a une finalité assez claire. Elle doit nous amener à «intérioriser la loi», autrement dit à comprendre et reconnaître que les besoins du groupe supplantent ceux de l’individu. Dans ce but, la sanction joue un rôle primordial.
Ainsi, chez Rousseau, son objectif est de permettre la prise de conscience de ses actes, leur implication et en éprouver les conséquences sociales.
Idem chez Kant. En plus de la morale, de la culture et de l’humanisation, la sanction amène l’enfant à devenir un être responsable et bon.
Pour les psychanalystes, la sanction est pensée selon la perspective de l’enfant. A savoir ce qu’elle lui apporte.
Elle apparait ici aussi essentielle, car elle permet à l’enfant d’apprendre à maîtriser ses pulsions et frustrations. Dit simplement, la sanction contribue à le rendre responsable et à lui faire vivre des relations interpersonnelles satisfaisantes.
Toutefois, la sanction par la maltraitance et la réprimande régulières sont toutes discréditées. Au lieu d’aider la croissance de l’enfant, elles ne font que lui implanter des névroses et des blessures psychiques.
Enfin, les pédagogues pensent la sanction comme un challenge ne devant pas abîmer la relation parents-éducateurs/enfants. Une relation qui doit rester chaleureuse et bienveillante.
Quelque part, les pédagogues rejoignent les philosophes. La sanction doit être pensée comme un mécanisme capable de faire éprouver la nécessité du lien.
La différence étant que les philosophes évoquent un lien froid, impersonnel, tandis que les pédagogues dépeignent un lien chaud, concret qui nous unis les uns aux autres.
A partir de ces différents point de vue, comment alors penser la sanction éducative?
Quelles sont les conditions d’une sanction éducative au service de l'éducation positive?
Pour que les sanctions participent de façon positive à l’éducation de l’enfant, elle doivent respecter impérativement trois conditions:
La sanction est l’occasion pour l’enfant de comprendre ce qu’implique la responsabilité, à savoir que les actes entraînent toujours des conséquences.
Elle doit rappeler la prééminence des règles sociales sur les envies personnelles.
Enfin, elle doit avoir une visée psychologique, en apprenant à l’enfant à réfréner ses pulsions et réorienter son comportement pour renouer le lien social.
Comme exemple de sanction éducative, la réparation comme sanction présente plusieurs avantages éducatifs.
Non seulement l’enfant ne subit plus la sanction mais devient acteur en transformant sa peine en effort, ce qui lui permet de retrouver confiance en lui. Et par ailleurs, il y a une reconnaissance des contraintes sociales et des émotions de la victime.
Pour que l’action de la réparation soit efficace (et que la bêtise ne soit pas recommencée), 4 principes sont nécessaires:
Le consentement: l’enfant doit vouloir réparer ce qu’il a fait. Sans culpabilité ou contrainte extérieure.
Le juste prix: la réparation exige un réel effort. De façon que la victime soit satisfaite et accepte la réparation.
L’accompagnement: le rappel des règles ne peut suffire. Il faut faire comprendre en quoi elles sont pertinentes pour tous.
Le sens: la réparation doit avoir être corrélative à la faute commise. Elle ne peut être humiliante ou disproportionnée.
Loin d’être un acte brutal et rapide, la sanction est un processus de longue haleine, qui s’inscrit dans le temps. C’est à cette condition que la sanction peut être réellement éducative, et non pas simplement gratuite et inefficace.
Comme le résume Eirick Prairat: « La négation de l’éducation n’est pas la sanction mais la violence».
Source : Eirick Prairat, La sanction en éducation, Que Sais-Je, 6e édition 2021
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous