Jusqu’à l’apparition du Covid-19 qui entraîne chez 60 % de patients la perte de l’odorat et du goût, ce mal était relégué par les médecins au rang des « maladies sans traitement ».
La raison en était double. D’une part, peu de personnes étaient concernées. On estime qu’entre 1 et 5 % de la population en était atteinte, et qu’environ 20 % souffrait d’une perte partielle ou temporaire.
Par ailleurs, si la perte de la vue et de l’ouïe suscitait aisément l’empathie, celle de l’odorat et du goût était considérée comme presque anecdotique, n’empêchant nullement de vivre une vie normale.
Un jugement hâtif, car non seulement ces sens contribuent pleinement aux plaisirs sensuels de la vie, et donc à notre bien-être, mais ils jouent également un rôle clé pour notre bonne santé tant physiologique que mentale. Une prise de conscience qui est l’une des rares conséquences positives du covid.
Le goût, quant à lui, n’est pas en reste, puisqu’il représente une source de renseignements précieux pour notre cerveau. Ce dernier s’appuyant sur le goût pour évaluer l’apport calorique et protéique des aliments ainsi que leur teneur en sodium et les possibles toxiques consommés. Des informations qui contribuent pleinement au bon fonctionnement du système digestif.
Afin de mieux comprendre les symptômes, causes et conséquences de la perte de l’odorat et du goût, ainsi que les clés pour les retrouver, Emmanuelle Albert, orthophoniste spécialisée dans la rééducation des troubles neurologiques et des pathologies ORL, a rédigé un « Petit manuel pratique pour retrouver le goût et l’odorat » (De Boeck Supérieur).
Avant tout, commençons par mieux comprendre leur fonctionnement à travers le lien intime existant (et instinctivement perceptible) entre le goût et l’odorat.
Les trois mécanismes du goût
Ce que nous appelons couramment le goût, c’est-à-dire ce qui nous permet d’identifier un aliment en bouche, s’appelle techniquement, la flaveur. Or, celle-ci est déterminée selon trois éléments :
La saveur, ou plus exactement la perception gustative apportée par les molécules non-volatiles présentes dans les aliments. La salive dilue ces molécules leur permettant de pénétrer dans les papilles gustatives.
On distingue 5 saveurs de base : le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami (une saveur assez neutre, qui a la particularité de rehausser la saveur naturelle des aliments. Le lait maternel regorgeant d’umami, c’est donc la première saveur que nous connaissons en premier).
La sensation trigéminale, qui tient son nom du nerf trijumeau, le plus gros de nos nerfs crâniens, est celle qui nous permet de détecter le piquant, le brûlant, le pétillant, le froid et le frais.
Enfin, les odeurs d’un arôme apportées par les molécules volatiles des aliments. Ces molécules se libèrent dans notre bouche sous le travail de la mastication.
Ces molécules volatiles passent ensuite par l’arrière du palais et remontent le haut de notre nez pour déboucher sur l’épithélium olfactif. Ce mécanisme appelé la rétro-olfaction, et qui permet de percevoir les arômes à partir du système olfactif, est bien connu des gastronomes et amateurs de vin.
80 % du composant d’une flaveur, et donc du goût, repose sur les odeurs de l’arôme. C’est ici que l’on comprend toute l’étroitesse du lien entre nos deux sens. Ou plutôt à quel point le sens du goût est tributaire de celui de l’odorat.
Par exemple, si nous buvons un café sans en percevoir l’arôme, nous n’en sentirons que l’amertume, ce qui altère grandement le goût.
Néanmoins, le goût et l’odorat restent distincts, car chacun peut être affecté de son côté.
Comment perdons-nous le sens du goût et de l’odorat?
Quelles sont les causes de la perte du goût et de l’odorat?
Perdre le goût revient essentiellement à ne plus pouvoir distinguer les 5 saveurs. On parle alors d’agueusie. Si la perte est atténuée, on parle d’hypogueusie. Et quand cette perte est faussée (comme percevoir un goût métallique en croquant une fraise), on parle alors de dysgueusie.
L’origine de la perte ou du trouble du goût peut provenir de :
L’absence de salive due à une maladie (la xérostomie, l’hyposialie, la maladie de Gougerot-Sjörgen, toutes responsables de sécheresse buccale) ou à la prise de certains médicaments (notamment les antibiotiques, les antidiabétiques et les antihypertenseurs).
De la chimiothérapie et de la radiothérapie. Près de la moitié des patients atteints d’un cancer de la gorge et de la bouche traités par chimiothérapie connaissent une dysgueusie. Ce taux atteint 90 % pour les patients traités par radiothérapie.
Une modification de la flore buccale, suite à une mauvaise hygiène dentaire ou à un reflux gastro-oesophagien.
Plus rarement, un traumatisme crânien ou une tumeur.
Enfin, le vieillissement altère non seulement la vue ou l’ouïe, mais aussi notre capacité à percevoir les saveurs.
Quant à la perte de l’odorat, appelée anosmie quand celle-ci est totale, ou hyposmie quand celle-ci est partielle, l’origine provient de :
Une obstruction des fosses nasales, conséquence d’un rhume, d’une rhinite, d’une sinusite ou d’une déviation de la cloison nasale.
Une altération du nerf olfactif, conséquence de la grippe, de drogues aspirées par le nez, l’herpès et du
Un traumatisme crânien ou d’une tumeur.
Le tabac qui altère le mucus olfactif.
C’est rare, mais cela peut être d’origine génétique.
Le vieillissement, enfin. La dégénérescence des neurones situés dans le bulbe olfactif entraîne une perte de l’odorat. Ce symptôme est d’ailleurs à prendre au sérieux, car il peut être le signal de maladies neurodégénératives à venir comme Alzheimeret Parkinson.
Quelles sont les conséquences de l’anosmie et de l’agueusie?
La privation de la perte des sens du goût et de l’odorat entraîne une diminution de notre qualité de vie, et peut même entraîner des symptômes plus graves comme des troubles anxiogènes et dépressifs.
Les apéritifs, restaurants entre amis et repas de famille perdant singulièrement de leur intérêt, il n’est pas rare de voir certains patients se couper du monde et s’isoler socialement.
Les plus anxieux finissent même par s’isoler totalement, de peur de ne plus pouvoir contrôler leur hygiène corporelle (mauvaise haleine, peur de sentir la transpiration) et d’être incommodants pour leur entourage.
Naturellement, la perte du goût et de l’odorat peut également entraîner comme autres symptômes des troubles alimentaires, ainsi qu’une perte de poids pour ceux qui ne trouvent plus le plaisir de manger. Ou, à l’inverse, d’une prise de poids conséquente pour ceux qui essaient de retrouver des sensations gustatives.
Enfin, les odeurs jouant un rôle essentiel dans le désir et l’attirance, il n’est pas rare que la libido soit impactée.
Face à une perte de sens persistante ou récurrente, il est naturellement conseillé de consulter un médecin ORL pour vous guider vers un traitement et une rééducation.
Une rééducation, qui peut s’entreprendre seul, en effectuant les exercices suivants présentés par le Dr Albert.
Comment retrouver le sens de l’odorat?
L’exercice des odeurs imaginées
Dans notre cerveau, la mémoire et les odeurs sont liées. En stimulant l’une, on stimule l’autre. Par ailleurs, les neurosciences ont montré que le cerveau ne fait non plus de différence entre la réalité et l’imaginaire.
L’exercice suivant va donc vous faire travailler à la fois votre imaginaire et votre mémoire olfactive. Son but étant de stimuler et de redonner vie aux neurones et fonctions cérébrales associées à l’olfaction.
Pour ce faire, il suffit de regarder une image et de se concentrer pour se souvenir de l’odeur.
Voici quelques exemples :
La photo d’un champ de lavande : imaginez-vous en train de marcher dans ce champ en train de cueillir une petite branche. Frottez les fleurs de lavande entre vos doigts et sentez amplement cette odeur florale (en mimant réellement le l’acte de flairer).
Image d’une écurie : imaginez entrer dans l’écurie, approchez un cheval et laissez-vous envahir par l’odeur de crottin mélangée à celle du cuir de la sellerie et du poil de l’animal.
Image d’un bon plat en sauce : prenez le temps de le regarder en train de mijoter, et sentez amplement la fumée qui se dégage de la marmite.
Cet exercice est particulièrement difficile au début, mais devient de plus en plus facile avec l’entraînement.
L’exercice « à la recherche des odeurs perdues »
Cet exercice consiste à flairer une des odeurs familières en se concentrant pendant plusieurs minutes sur tous les souvenirs et émotions qu’elle suscite.
Par exemple, le café évoque l’émotion réconfortante d’un liquide chaud bienfaiteur au petit matin. Vous pouvez alors vous souvenir du plaisir à sentir cet arôme de bon matin, ou quand vous le retrouvez dans une pâtisserie.
Il est important de choisir des produits ou aliments (sachet de thé, une épice, une confiture, du dentifrice, savon ou lessive, etc..) qui vous sont familiers, autrement dit, dont connaissez parfaitement bien l’odeur.
Une alternative plus facile à cet exercice, consiste à se souvenir de l’odeur de votre fruit préféré. Plongez-vous dans les souvenirs associés aux sensations gustatives. Ensuite, mangez réellement ce fruit, en pleine conscience, en y associant la mémoire de cette odeur.
Comment retrouver le sens du goût?
L’exercice du bâillement poli
Dans le cas où la perte du goût est liée à l’odorat, le premier exercice consiste à bailler la bouche fermée. L’air contenu ressortant par le nez, cela oblige les molécules odorantes à passer par l’épithélium olfactif, l’antre qui nous permet de percevoir les arômes.
Pour effectuer cet exercice, procurez-vous un bonbon à la menthe.
Aspirez un peu d’air dans la bouche et amorcez un léger bâillement, bouche fermée, puis soufflez par le nez. Ce faisant, vous sentez le trajet de la fraîcheur mentholée cheminant de l’arrière-bouche jusqu’au nez.
Par la suite, vous pouvez refaire cet exercice avec des arômes plus subtils (types bonbons peu sucrés, vins, boissons aromatisées ou fruits frais).
Techniques pour réveiller vos papilles
Agrémentez vos plats d’umami, le réhausseur des saveurs par excellence.
On trouve de l’umami en quantité dans les algues kombu, la sauce soja, le concentré de tomates et le fromage affiné. A part ce dernier, vous pouvez incorporer ces aliments dans vos bouillons, sauces, marinades, vinaigrettes, plats mijotés ou tout simplement l’eau de cuisson.
Il est rare que dans la perte du goût, le nerf trijumeau soit affecté. Néanmoins en le stimulant, on aide le traitement cérébral du goût à se refaire une santé. Pour ce faire, concoctez-vous des plats aux sensations fortes en jouant sur les textures (croustillante, crémeuse, croquante, gélatineuse), la température et les épices.
Si ces techniques aident à retrouver du goût, celles qui aident à retrouver l’odorat s’avèrent également indispensables.
Pour finir, il est essentiel de se montrer patient, persévérant et régulier.
En effet, cette rééducation se doit d’être poursuivie pendant trois mois (au minimum), et autant de temps que nécessaire, tant que les sens ne sont pas totalement revenus. Ce qui peut prendre deux ans pour les troubles les plus graves.
Il est possible, qu’en cours de chemin, vous vous retrouviez à passer d’une agueusie (perte de sens total du goût) à une dysgueusie (altération des goûts).
Il n’y a, à cela, rien de désespérant. C’est au contraire une très bonne nouvelle, car c’est le signe que votre cerveau est en train de se modifier, vos neurones en train de se régénérer et de vous mener à bon port. Celui des retrouvailles avec les plaisirs de la vie, dont vous ne négligerez plus jamais la saveur. Et la valeur.
Source : Emmanuelle Albert, Petit manuel pratique pour retrouver l’odorat et le goût, éditions De Boeck Supérieur, 2022
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