Il faut reconnaître que certaines techniques d’apprentissages, notamment celle du par cœur, n’est pas des plus attrayantes. Elle est même absolument idiote selon Chateaubriand.
Dans ses Mémoires d’outre-tombe, l’écrivain romantique partage une anecdote savoureuse de sa vie au Collège de Dol. Alors qu’il espère échapper à la vigilance du principal en se cachant dans le confessionnal, il est repéré. En guise de punition, il est sommé de réciter la leçon du soir. Le jeune Chateaubriand s’exécute alors avec brio, sans toutefois rien comprendre à ce qu’il débite.
Loin de s’enorgueillir, Chateaubriand adulte écrit: «une chose m’humilie: la mémoire est souvent la qualité de la sottise; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu’elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge.»
Par mémoire, on doit comprendre ici le «par cœur». Cet apprentissage qui se limite à la mémorisation des mots s’abstrait de la compréhension et donc d’un apprentissage intelligent et durable.
Mais est-il possible de savoir par cœur sans apprendre par cœur?
Apprendre autrement que par cœur
Que l’on soit un enfant, un ado, un étudiant ou un adulte en formation, apprendre fait partie de notre lot quotidien. Mais comment apprendre autrement que par cœur? C’est là où Michèle Temam intervient.
Radiologue de profession et pianiste, Michèle Temam est également une experte en pédagogie. Une vocation venue jeune et par hasard, quand une amie lui a demandé de l’aider à préparer son oral du bac dans l’urgence. Une prouesse réussie et réitérée par la suite auprès des jeunes de son entourage et de ses quatre filles.
Selon Michèle Temam, pour qu’un apprentissage soit efficace, il doit être à la fois actif et attractif. Ce qui est rendu possible grâce à des techniques qu’elle présente dans son ouvrage «Savoir par cœur sans apprendre par cœur». La première d’entre elle étant la lecture active.
Qu’est-ce que la lecture active?
Lire d’une traite sans chercher à tout comprendre
Pour s’initier à un nouveau savoir, il faut l’apprivoiser. Pour cela, Michèle Temam préconise de lire les informations d’une traite. Cela consiste à lire sans s’arrêter, sans chercher à retenir et ou à comprendre les informations qui nous échappent.
Seuls les génies et les experts dans leur domaine peuvent se targuer de mémoriser les informations à la première lecture. Cette première technique, aussi surprenante soit-elle, est importante car elle résout une impasse dans laquelle nous sommes nombreux à échoir. À savoir la peur de l’inconnu, celui du nouveau savoir que l’on doit s’approprier.
Se sentant incapable d’ingurgiter la quantité de nouvelles connaissances, on se met à procrastiner en repoussant l’échéance de se mettre à travailler. Donc, si vous voyez votre ado lambiner pour faire ses devoirs, ce n’est pas forcément un signe de fainéantise, mais de peur.
Peur et procrastination laissent d’ailleurs leurs traces. On se retrouve avec des moments d’angoisses «je n’y arriverai jamais», des insomnies, sans oublier une certaine mésestime de soi-même.
Il faut donc se lancer. Pour reprendre Éric-Emmanuel Schmitt, «si on ne saute pas dans les trente secondes, on ne saute jamais».
Cela suppose un lâcher-prise mais aussi une certaine compétence qui se forge avec la pratique. Celle de pouvoir fixer son regard sur plusieurs mots sans se laisser retarder par la petite voix dans notre tête qui lit avec nous. Cette approche n’est pas sans rappeler l’expérience de Fumio Sasaki pour prendre des nouvelles habitudes.
La motivation n’est pas une question de «bon moment». Pour qu’elle vienne, il faut éteindre son cerveau et s’y mettre. C’est l’action qui amène la motivation. Jamais l’inverse. C’est-ce qui explique pourquoi les proactifs réalisent ce qu’ils entreprennent plus souvent que les autres. Pour revenir à la lecture active, lire d’une traite ne suffit pas, il faut aussi savoir se concentrer sur un point.
Lire en se concentrant sur un point
Enfin, la lecture active demande de séquencer le savoir en se focalisant sur un point précis. Pour cela, Michèle Teman préconise deux approches similaires, à choisir selon votre sujet d’étude.
La première est la technique des fils rouges. Elle consiste à rechercher des suites logiques ou d’oppositions, des ressemblances de termes autour d’un même sujet ou thème. Cela peut être le déclenchement de la guerre de 14-18 où on va repérer les dates, les lieux, les figures principales.
La seconde est celle des tiroirs mentaux, où l’on va analyser une donnée sous différents angles. C’est particulièrement pertinent pour la science. Par exemple, pour comprendre le processus d’une infection d’une infection virale on peut regrouper et classer les informations selon différentes échelles. L’échelle du corps, de l’organe, du tissu, de la cellule et de la molécule.
C’est de cette façon que la lecture active contribue à savoir par cœur sans apprendre par cœur. Elle est à coupler à deux techniques qui facilitent la mémorisation.
Quelles techniques facilitent la mémorisation?
La technique du ticket de bus
La technique du ticket de bus intervient après le travail de division du savoir en fil rouge et tiroirs mentaux. Elle consiste à organiser les informations sous forme de croquis, de carte, de schéma ou de microfiche appelé ticket de bus.
Cette technique demande de la réflexion et un cheminement intellectuel et présente plusieurs avantages:
Elle participe à la mémorisation des connaissances.
Elle participe à l’appropriation d’un savoir grâce au cheminement intellectuel. La conception d’un ticket de bus peut évoluer en fonction des nouvelles connaissances et compréhensions.
Elle permet d’avoir une vision globale sur un sujet et de vite s’y retrouver au moment où on doit s’y replonger pour réviser.
Enfin, en étant actif, on se concentre plus facilement et plus longtemps.
Même les plus jeunes, les écoliers, peuvent s’initier à cette technique en commençant à juste organiser des informations simples. Pour bien mémoriser et savoir par cœur sans apprendre par cœur, la technique de l’arbre à chunks est également efficace.
La technique de l’arbre à chunks
Cette technique est très intéressante pour la mémorisation. Michèle Temam l’a élaboré en fonction de la réalité de notre charge cognitive, à savoir la quantité d’informations que nous pouvons retenir en même temps. Or, il s’avère que nous ne pouvons pas aller au-delà de 4 informations, sinon il y a excédent et notre mémoire retient moins bien.
Devant une leçon à apprendre, une longue liste de mots, d’évènements ou de notions à mémoriser, il faut donc là encore séquencer le savoir. Le plus efficace étant de les classer en 4 grandes rubriques de façon logique.
Si vous ne pouvez pas vous limiter à 4, une des rubriques devra avoir une sous-rubrique. C’est ainsi que vous construisez votre arbre à chunks avec ses différentes branches.
À noter que l’arbre à chunks présentent des avantages similaires au ticket de bus en termes de mémorisation et d’appropriation du savoir.
Enfin, abordons une dernière approche de l’apprentissage actif, celle de prendre une posture d’enseignant et non plus d’élève ou d’étudiant. Une technique qui permet d’apprendre en s’amusant, mais surtout mieux et plus intelligemment.
Comment apprendre mieux et plus intelligemment?
Apprendre en enseignant
L’exercice consiste à s’imaginer en prof ou en conférencier devant un auditoire. Levez-vous, visualisez-vous être sur le devant de la scène et lancez-vous.
«On ne comprend ni ne connaît jamais aussi bien que ce qu’on enseigne» dixit Michèle Temam.
Si vous avez un blocage, il y a une approche aussi très intéressante: celle de raconter ce qu’on a appris à son conjoint ou son colocataire. Si vous n’avez ni l’un ni l’autre, appelez un parent comme votre grand-mère qui sera ravie d’avoir de vos nouvelles et d’en apprendre plus. Cela permet de prendre du recul en prenant conscience de ce que l’on maîtrise et ce qui pèche encore.
Si vous êtes parents, demandez à votre enfant de jouer au prof. Ou, s’il n’est pas sûr de lui, de discuter de son sujet en toute tranquillité.
Ne lui demandez pas de réciter, veillez juste à ce qu’il n’oublie rien. Si c’est le cas, attendez le dernier moment pour lui dire ce qu’il a omis. Il faut que cela soit un moment agréable.
Cette dernière technique pour savoir par cœur sans apprendre par cœur nous amène au dernier point, qui est l’état d’esprit. Celui d’apprendre en y mettant du cœur et en trouvant du plaisir.
Apprendre avec le cœur
Sans plaisir rien ne dure. Ce n’est pas juste une jolie philosophie, la science l’a validée et approuvé.
Michèle Temam résume les conclusions des études ainsi: «On aime ce qu’on connaît et connaît ce qu’on aime». Pensez à votre propre parcours, vous devez certainement beaucoup mieux retenir les connaissances qui vous intéressent et vous amusent que celles que vous trouvez rébarbatives.
Pour que l’apprentissage et le travail ne soient plus assimilés à une action ennuyeuse au possible, il faut donc apprendre à les aimer.
Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry: «Si tu n’as pas ce que tu aimes, il faut aimer ce que tu as». Comment? En adoptant des techniques plus sympas que le simple «par cœur».
Et en trouvant ses motivations. Ce pourquoi nous faisons ce que nous faisons : gagner sa vie, satisfaire un besoin de reconnaissance ou d’accomplissement.Cet effort ne sera pas sans récompenses. D’une part, vous êtes plus serein au quotidien. D’autre part votre cerveau vous envoie dopamine et sérotonine à foison dès que vous vous mettrez au travail.
Un véritable luxe de nos jours! Pour bénéficier de conseils supplémentaires, vous pouvez accéder au replay de la conférence consacrée au développement du plaisir des apprentissages scolaires. Vous y retrouverez en intervenantes Michèle Temam et Sophie Braun, psychanalyste et l’auteure de «La tentation du repli» particulièrement visible chez les jeunes.
Source : Michèle Temam, Savoir par cœur sans apprendre par cœur, éditions Odile Jacob, 2020
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