Comment se manifeste l’écoanxiété dans la société?
Publié le 03/11/2021, mis à jour le 04/11/2024
Conseils pour se sentir bien
Comment se manifeste l’écoanxiété dans la société?
6 min de lecture
Qu’est-ce que l’écoanxiété ?
Pourquoi avons-nous la certitude tenace que la COP26 ne changera (presque) rien à la crise écologique ?
Parce que les discours sont désincarnés. On y parle de tarification et de neutralité carbone, de nouveaux engagements qui n’obligent à rien, ou encore d’objectifs climatiques fixés pour 2063. Comme si ces enjeux ne concernaient que le monde de demain.
Et pourtant, c’est aujourd’hui que la mort frappe prématurément à travers la pollution de l’air, que les maisons sont détruites, les champs inondés, les populations privées d’eau, de nourriture et obligées d’immigrer.
C’est aujourd’hui que nous assistons dans les pays du Nord à l’enracinement d’un fléau collectif nommé l’écoanxiété, une détresse psychologique chronique engendrée par le changement climatique.
Si, en France, nous découvrons ce terme, ce mal-être est pourtant loin d’être un phénomène exceptionnel comme nous l’apprend Noémie Larouche dans son ouvrage « Ecoanxiété, l’envers d’un déni » (éditions MultiMondes, 2021).
Rédactrice en chef au Canada du magazine de sciences pour adolescents « Curium », Noémie Larouche est spécialiste des questions sociales et scientifiques qui préoccupent la jeunesse canadienne. La première d’entre elles étant la crise climatique.
L’écoanxiété, un fléau psychologique en cours
Les jeunes, premiers écoanxieux
Une récente et inédite étude sur l’anxiété climatique englobant 10 pays (Australie, Brésil, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal et Royaume-Uni) parue en septembre 2021 dans le journal scientifique The Lancet Planetary Health, confirme l’écoanxiété des jeunes :
On y apprend que :
3 jeunes sur 4 déclarent que le futur est effrayant.
45% témoignent que leur ressenti face à la situation climatique a des impacts négatifs sur leur vie quotidienne.
39% des 16-25 ans hésitent à avoir des enfants à cause de la situation climatique.
Face à ce désarroi, Lise Van Susteren, psychiatre américaine, compare les gouvernements à des parents alcooliques qui obligent leurs enfants à vivre et se construire dans un contexte d’angoisse. Ce n’est ni plus ni moins que de la maltraitance pouvant aboutir à ce qu’elle appelle un stress pré-traumatique.
Cette impuissance est d’ailleurs à l’origine d’une autre expression de l’écoanxiété se manifestant à tous les âges : le déni.
Le déni, la face cachée de l’écoanxiété
Il est entendu que les émotions sont mobilisatrices, en particulier la colère et la peur. Mais cela n’est que partiellement vrai.
Quand la colère est trop grande, elle nous amène à dire et faire n’importe quoi. Ce qui est souvent contreproductif.
Quand la peur est trop intense, elle nous tétanise et nous empêche d’agir. C’est ce qu’il se passe chez de très nombreux écoanxieux qui s’ignorent.
Leur cerveau refoule leur angoisse parce qu’il manque un élément essentiel pour que leurs ressources psychiques puissent se mobiliser : la certitude de pouvoir faire la différence. Ce qui est problématique pour un problème qui concerne le monde entier.
Si l’écoanxiété intéresse aujourd’hui les médias du fait de sa nouveauté et de son rapport direct au changement climatique, il est également bon de rappeler qu’elle est loin d’être le seul trouble mental qui lui soit lié.
Les autres troubles mentaux liés au changement climatique
La Cambridge University Press a publié en 2018, un rapport de la psychiatre Lise van Susteren intitulé « The psychological impacts of the climate crisis : a call to action », publié par la Maison Blanche deux ans auparavant.
Parmi les informations de ce rapport, les plus saisissantes sont :
L'exposition à des niveaux croissants de dioxyde de carbone a un impact majeur sur le fonctionnement cognitif.
En moins de deux siècles, l’émission de dioxyde de carbone a plus que doublé dans l’atmosphère, conséquence de l’utilisation des énergies fossiles, de la déforestation et de la bétonisation.
Les enfants exposés à de petites particules de produits chimiques dans l'air sont plus susceptibles de présenter des symptômes d'anxiété ou de dépression.
Il existe un lien entre les événements climatiques extrêmes et une augmentation des actes de violence.
«.
Ces quelques études démontrent que si l’écoanxiété est préoccupante, elle n’est au final que la partie consciente d’un iceberg de maux mentaux liés au changement climatique.
Que recommandent les écothérapeutes ?
Retrouver ses racines
Dans les sociétés modernes qui ne sont pas la France, une nouvelle catégorie de « psy » est venue grossir les rangs : les écothérapeutes, dont la particularité est de s’appuyer sur la nature pour soigner les blessures intérieures de leurs patients.
Au cours d’une balade dans la forêt ou un jardin, ces thérapeutes amènent leurs patients, perdus et dispersés, à se reconnecter à eux-mêmes, leurs ressources, leurs piliers et leurs désirs.
Alors qu’un nombre croissant de jeunes gens viennent les consulter pour évoquer leur écoanxiété, Martine Carpon, écothérapeute belge, rapporte que leur premier besoin est d'être écoutés et rassurés sur la normalité de ce qu'ils éprouvent.
Leur second besoin est de trouver du réconfort auprès des plantes, des fleurs et des arbres. Il est, effectivement, impossible de passer sa vie à se battre ou à vivre dans la peur. Il est aussi important de s’octroyer des moments de beauté et de joie que l’on ne trouve qu’en étant en lien avec un arbre, une fleur ou un petit insecte.
Le défi écologique auquel nous sommes soumis n’est pas que matériel, dans le sens où il ne s’agit pas seulement d’une question de logistique (comment moins utiliser de ressources), il s’agit aussi de retrouver une connexion perdue. D’incorporer la Nature dans la pyramide des besoins de Maslow.
En fait, notre défi principal consiste à redéfinir l’humanité et le vivant.
Mais avant que la COP113 ne se penche dessus, nous sommes voués à retrouver cette connexion seuls, selon notre propre sensibilité.
Pour ceux qui sont en quête d’idées, voici quelques exercices de reconnexion à la nature venus du livre de l’auteure et amie des Peuples Premiers, Frederika Van Ingen, « 101 façons de se reconnecter à la nature » (Les Arènes, 2021).
Lorsque vous entrez dans une forêt ou un espace naturel, saluez-le et prévenez-le de votre arrivée.
Puis, imaginez que ce n'est pas seulement vous qui regardez le paysage, mais que chaque élément qui vous entoure vous regarde, ou plutôt vous ressent. Vous êtes au coeur d'un monde sentant qui perçoit votre présence tout comme vous percevez la sienne.
Essayez de ressentir comment il vous ressent : grand, petit, familier, étrange, calme, pressé, présent, équilibré, stressé, attentif, distrait ? Est-ce qu'il vous accueille ou vous regarde-t-il comme un intrus ?
Et vous, comment vous sentez-vous d'être ainsi regardé ? Qu'est-ce que cela change dans votre lien à ce qui vous entoure, dans vos propres sensations, dans votre état intérieur ?
La ville sauvage
Le temps d'une journée, connectez-vous à chaque animal non humain que vous croisez.
Chaque fois, saluez-le intérieurement (« Tiens, salut corneille », « Salut moineau », etc.). Prenez le temps d'observer ses mouvements, ses attitudes, ce qu'il fait. Imaginez ce qu'il voit, sa perception de la ville, selon qu'il s'agit d'un oiseau ou d'un chien. Sans trop analyser, imaginez juste ce que ses sens peuvent percevoir.
Le soir, faites un récapitulatif de ces rencontres. Combien d'animaux domestiques ? Combien d'animaux sauvages ? Lesquels ? Quel a été l'impact de ces rencontres sur vous ? Quelles émotions, quels sentiments, quelles pensées, ces rencontres ont-elles déclenché en vous ? Quels animaux avez-vous aimé rencontrer ?
Faites-en un jeu. Choisissez l'un de ces animaux et voyez si vous pouvez en faire une rencontre quotidienne.
Laissez la nuit vous envelopper
Si vous vous sentez prêt à passer une nuit seul(e) dans la nature, tentez-le, en prenant toutes les mesures nécessaires pour vous savoir en sécurité.
Tout est possible : choisir un lieu, prévenir quelqu'un du lieu où vous êtes, le faire avec autre personne, à distance mais suffisamment proche.
Le principe : s'équiper pour ne pas avoir froid, mais pas de matelas (sauf de feuilles mortes ou d'herbes sèches prélevées sur place), pas de lumière, le téléphone coupé. Vivre cette nuit simplement comme elle vient, en dormant si le besoin s'en fait sentir, en observant, en écoutant... Et partagez votre expérience au retour pour la revisiter sous un angle « raconté ».
Si vous ne vous sentez pas prêt ou n'en avez pas la possibilité, installez-vous dans un lieu de nature à la tombée du jour, et laissez-vous envelopper par la nuit, sans allumer de lumière. Restez le temps qui vous semble juste. Puis rentrez ensuite dans le noir, quand vos yeux sont habitués.
Qu'est-ce que ces expériences vous ont apporté comme ressentis ? Dans quel état vous êtes-vous senti dans ce contact avec la nuit ? Quelles pensées sont venues ? Vous êtes-vous senti différent ?