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Publié le 10/03/2020, mis à jour le 12/01/2023
Podcasts santé
Comment serons-nous soignés demain ?
Pourquoi la médecine a besoin de la philosophie et de l’éthique ?
La vision de Jean-François Mattei
Professeur de pédiatrie et de génétique médicale, ancien Président de la Croix Rouge Française, Jean-François Mattei est surtout connu pour avoir été ministre de la Santé sous le mandat de Jacques Chirac. Il est aujourd’hui Président de l’Académie de médecine.
Nous le recevons suite à la parution de son livre : « Santé, le grand bouleversement. Comment serons-nous soignés demain ? » aux éditions Les Liens qui Libèrent.
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Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Jean-François Mattei : Pour une raison simple : j’ai vu l’invasion des nouvelles technologies et une médecine qui pourrait être confrontée à une rupture dans l’exercice médical. Nous avons encore une médecine humaniste. Mais, si on se laisse envahir par les technologies sans préserver le rapport humain entre le patient et le médecin, alors la médecine va devenir une science de l’ingénieur.
Certes, on a des techniques précieuses, utiles et efficaces qui guériront des maladies qu’on ne soignait pas hier. Mais attention, c’est toujours l’intelligence et l’émotion humaines qui doivent rester maître d’œuvre.
Un appel au retour aux sources
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Votre livre est une cartographie des enjeux et défis en matière de science et de santé publique. Vous prêchez un nécessaire retour à une sagesse humaniste :
« le retour aux sources de la philosophie et de l’éthique sont nécessaires pour accompagner la culture scientifique. […] Dorénavant tous les soignants devraient être formés à l’éthique. »
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Pourquoi ?
Jean-François Mattei : Parce que je pense que nous sommes dans une période où les valeurs de référence sont avant tout l’individualisme, le matérialisme et l’hédonisme. Et même si ces préoccupations sont légitimes, je ne pense pas qu’elles permettent à l’homme un épanouissement et une vie sociale dont il a besoin.
Or, comme on nous présente tous les jours des techniques dont on nous dit qu’elles vont remplacer l’homme, comme l’intelligence artificielle et les robots, l’homme doit évidemment s’interroger pour savoir ce qu’il veut faire de ces outils pour garder la maîtrise des choses et rester dans son humanité.
Ce qui est important n’est pas tant la connaissance que l’usage qu’on en fait. Plus il y a de progrès scientifiques qui posent des questions et plus l’éthique doit tenter d’y répondre avec fidélité aux valeurs humaines.
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Quelle différence faites-vous entre la morale et l’éthique ?
Jean-François Mattei : La morale est une série de règles qui sont là pour répondre à un certain nombre de situations. Tu ne tueras pas. Tu ne voleras pas. Tu n’exploiteras pas une personne vulnérable. Tu n’abuseras pas d’un enfant. Tout ça, ce sont des règles.
L’éthique c’est le contraire. Elle concerne les situations qui relèvent de l’inédit où il n’y a pas de règles. Quand on parle d’intelligence artificielle, il ne s’agit pas de voler, de tuer ou d’abuser, c’est complétement nouveau. Il faut donc cheminer dans un raisonnement éthique, en résonnance avec nos valeurs humaines, pour déterminer quel est le choix le plus approprié que nous ferons pour demain.
Intelligence artificielle et génome : le vrai du faux de la médecine de demain
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Pourquoi l’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’homme ?
Jean-François Mattei : D’abord le mot d’intelligence n’est pas bien choisi, parce que l’intelligence demande d’être un peu acrobate dans ses pensées. On va et vient, on déduit, on rajoute ses sentiments, ses intuitions, son vécu personnel etc. Or, ce n’est pas le cas pour l’intelligence artificielle. Elle n’a pas d’intuitions, pas d’émotions, de sentiment ou de bon sens, ce n’est donc pas une véritable intelligence.
L’intelligence artificielle nous apporte des éléments aujourd’hui indispensables. C’est une mémoire infinie qui dépasse de loin l’humaine, et qui possède des capacités monstrueuses de calcul. Mais elle ne pourra pas remplacer l’homme.
Quand un patient vient consulter, il vient rencontrer d’abord un médecin qui le reçoit, qui va le regarder, lui poser des questions, comprendre qui il est et ce qu’on attend de lui. Ce n’est pas le cas d’une machine.
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Pourra- t-on créer “l’homme amélioré” avec le génome ?
Jean-François Mattei : Les transhumanistes le croient. Ils sont l’expression extrême du matérialisme. Pour eux, l’homme n’est que la somme de ses gènes. Et donc il suffirait de mettre de bons gènes pour qu’il soit de meilleure qualité.
Mais cela n’a pas de sens, l’homme est composé de ses gênes, il est donc hominisé : il ressemble à un petit homme et non à un petit rhinocéros ou tigre. Mais si vous le laissez seul dans la nature, comme les enfants élevés par les loups, il n’apprendra ni à marcher sur ses 2 jambes, ni à parler. Il ne s’humanisera pas.
Autrement dit, le gène ne fait pas notre humanité. Voilà pourquoi l’intelligence pratique de la raison et l’intelligence du cœur nous rappellent qui nous sommes, et que nous ne sommes pas compatibles avec l’obéissance à des machines.
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Vous dénoncez d’ailleurs le dualisme entre le corps et l’esprit pratiqué dans la médecine.
Jean-François Mattei : Descartes a séparé, de manière un peu rapide et artificielle, le corps et l’esprit. Mais à la même époque, Spinoza affirmait que le corps et l’esprit font un tout indissociable et qu’ils s’entremêlent. On le voit bien dans les maladies psychosomatiques.
Pourquoi la psychiatrie est l’avenir de la médecine ?
Le retard de 2 siècles de la médecine mentale
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Vous nous apprenez que le taux de suicide en France est le taux le plus élevé d’Europe. Ce qui fait que selon vous la psychiatrie deviendra une médecine de pointe et que la santé mentale est un des grands défis de la médecine.
Jean-François Mattei : Pour schématiser rapidement, je pense que le XXIème siècle sera celui du cerveau, donc de la pensée et du comportement. Nous devons progresser dans les maladies mentales dont on ne sait pas grand-chose aujourd’hui.
Pour caricaturer, et au risque de fâcher les psychiatres, on est juste capable de calmer ceux qui sont agités ou dynamiser ceux qui sont un peu léthargique.
Mais pour ce qui est du traitement d’une maladie mentale, nous ne sommes pas encore capables d’apporter des soins équivalents à la médecine somatique. Si je devais faire une comparaison, je dirais qu’en médecine mentale nous en sommes au XIXème siècle quand René Laennec a découvert le stéthoscope.
La psychiatrie a une spécialité formidable qui va nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement de l’homme. Si aujourd’hui je devais refaire mes études de médecine, j’aurai un très grand intérêt pour cette spécialité qui va grandir et nous apporter énormément.
Des littéraires en médecine
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En plus, les psychiatres ne sont pas nombreux aujourd’hui : ils sont 15 388 en 2018 en France, soit 23 psychiatres pour 100 000 habitants. Et 800 pédopsychiatres pour les enfants .
Jean-François Mattei : Cela tient à une chose : d’abord nos médecins actuels sont encore sélectionnés sur des orientations scientifiques du bac. On a donc des scientifiques, pour qui il faut des chiffres et une logique. Vous l’avez avec l’anatomie, la physiologie, la biochimie, etc.
En revanche, pour approcher l’esprit humain, il faut une sensibilité philosophique, métaphysique. Il faut essayer de comprendre l’incompréhensible et je pense que nous aurons besoin de plus en plus de psychiatres, et de modifier le recrutement de nos futurs médecins.
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Faut-il réformer la formation des médecins ?
Jean-François Mattei : Il faut qu’il y ait des quotas d’humanistes. Tous les médecins par nature sont ou deviennent humanistes. Mais pour s’orienter vers la psychiatrie de première intention, c’est difficile parce que les résultats ne sont pas évidents, les rechutes sont fréquentes, les échecs douloureux. Ce sont des gens qui accompagnent, qui soulagent, qui peuvent avoir des succès mais c’est éprouvant.
Un psychiatre que je connais très bien me disait que tous les jours ce sont les malheurs du monde qui se déversent dans son cabinet. J’ai une très grande admiration pour les psychiatres.
Quels sont les enjeux majeurs en termes de santé publique ?
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Vous dénoncez l’obésité des jeunes. 18,2 % des ados en France sont en surcharge pondérale.
Jean-François Mattei : C’est la société qui en est responsable. Des distributeurs de boissons sucrées sont partout. En plus, c’est une boisson encouragée, car il vaut mieux boire ça que de l’alcool. Pourtant c’est du sucre, or comme le sel et les graisses, il devient un poison dès lors qu’on en abuse.
J’ajoute que les boissons sucrées réputées sans sucres sont également très nocives car on a le goût du sucre sans l’avoir. Le cerveau a reçu le signal et stimule son pancréas qui sécrète de l’insuline pour rien.
On a oublié la simplicité et il y a des préoccupations mercantiles et commerciales qui ne font pas du bien à la santé humaine.
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Vous dénoncez également la problématique liée à la vaccination.
En 2019, l’OMS a classé l’hésitation de la vaccination parmi les 10 menaces les plus importantes contre l’humanité. Un exemple : peu de monde prend le vaccin du papillomavirus pour éliminer les cancers du col de l’utérus, de la gorge et de l’anus. Et pourtant, les hommes autant que les femmes doivent se faire vacciner.
Jean-François Mattei : Bien évidemment, parce que c’est une affection à transmission génitale. On sait bien que les hommes et les femmes ont des rapports intimes et que tout le monde doit se protéger.
Vous avez des gens anti-vaccins, qui dégoisent contre le vaccin contre les rougeoles, oreillons et hépatite etc. Sauf qu’aujourd’hui, tout le monde attend le vaccin contre le coronavirus ou l’Ebola ! Cela n’a pas de sens, mais par le biais des réseaux sociaux, ceux qui sont mécontents sont beaucoup plus nombreux à s’exprimer que ceux qui sont contents et qui ne voient pas pourquoi ils auraient le dire. On voit bien qu’il y a un biais dans la communication de l’expression publique.
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Vous dénoncez aussi la pollution de l’air.
7 millions de morts dans le monde, c’est la 6ème cause de mort précoce dans le monde, devant l’alcool, la mauvaise alimentation et le manque d’activité physique tout âge et sexe confondus.
Jean-François Mattei : Vous respirez 20 à 25 fois de l’air par minute, si vous respirez de l’air plein de microparticules, voire de nanoparticules, elles vont s’accumuler dans vos poumons. Cela va gêner l’oxygénation, entrainer dans le temps de la fibrose, de l’asthme, des bronchites chroniques et de l’insuffisance respiratoire.
Cela fait un moment que l’on sait ça mais si vous dites aux gens que s’ils prennent leur voiture tous les jours ils finiront par avoir une bronchite chronique, vous aurez le même résultat qu’avec le tabac.
Je suis inquiet de voir l’incapacité des jeunes à envisager leur vie dans la durée. Or, cette vie va durer en principe de plus en plus longtemps, mais en fonction de notre santé. Or, notre santé nous en sommes responsables.
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Vous pensez qu’ils sont mal informés ?
Jean-François Mattei : Oui, mais a contrario on sent monter chez les adolescents et jeunes adultes un désir d’autre chose. Ils ne sont plus dans l’individualisme, le matérialisme et l’hédonisme.
Les jeunes qui se préoccupent de la planète ne sont plus individualistes. Ils disent que nous devons nous y mettre tous ensemble. Ils parlent d’environnement de qualité durable et pas d’instantané. Et ensuite, ils parlent d’un engagement et pas seulement d’un plaisir pour eux.
Ce que je crois c’est que nous amorçons la décrue de la pensée post-moderne. On va vers une autre époque avec une nouvelle forme de spiritualité parce que l’esprit pense à l’avenir, au devenir de la planète et au devenir des humains qui l’habiteront.
Les jeunes voient qu’on ne peut pas laisser les choses aller comme ça. Ils ont 100 000 fois raison. Et c’est très encourageant !
Merci Monsieur Mattei !
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