Comme le confessent Christophe André, Patrick Légeron et Antoine Pelissolo, psychiatres et coauteurs de «La nouvelle peur des autres» (Odile Jacob), décrypter cette peur est un exercice délicat tant ses origines et ses visages sont multiples.
Ce qui apparait évident est que l’anxiété sociale comprend quatre peurs principales, dont l’ordre d’importance est le suivant:
La phobie sociale et le comportement évitant sont donc des maladies psychologiques, au contraire de la timidité. Néanmoins, il n’est pas toujours évident de distinguer la catégorie à laquelle nous appartenons. Comment, en effet, distinguer le timide de l’évitant ou du phobique?
Les comorbidités liées à la phobie sociale
Le trac et les inquiétudes ponctuelles relèvent d’une anxiété sociale limitée. Ils n’apparaissent qu’au sein d’un contexte précis. Très souvent, il s’agit de parler en public ou avec des personnes impressionnantes. Le trac n’impacte aucunement la
qualité de vie et se limite à des situations inconfortables.
La timidité, comme l’introversion, est une manière d’être. Le timide a naturellement tendance à rester en retrait et redoute les premiers contacts. Mais avec le
temps, et la succession des rencontres, le timide s’adapte et trouve ses marques. Naturellement, son anxiété s’apaise. Ce qui n’est absolument pas le cas quand une personne souffre de phobie sociale.
La phobie sociale est une véritable maladie psychologique. Elle s’accompagne d’une gêne paralysante et d’une souffrance intense. Par exemple, si quelqu’un nous regarde manger, la personne normalement anxieuse va au mieux s’en moquer, au pire s’en accommoder. Mais si elle souffre de phobie sociale, elle va s’abstenir de manger. De même que l’évitant, qui construit toute sa vie autour de stratégies d’évitement.
Contrairement aux autres anxiétés sociales, la phobie sociale s’accompagne souvent d’affections psychiatriques comorbides dans 70% des cas selon les études relatées dans la publication «
Why take social anxiety disorder seriously?» de Jean-Pierre Lépine et Antoine Pelissolo.
Parmi ces comorbidités se trouvent:
- D’autres troubles anxieux comme l’agoraphobie ou la peur de s’éloigner de chez soi. Ce qui est compréhensible puisqu’en restant chez soi, on ne risque pas de réveiller sa peur.
- L’usage excessif d’alcool pouvant dériver sur l’alcoolisme. Cela concerne entre 20 et 40% des phobiques sociaux selon une étude de la professeure de psychiatre Megan O’Grady. Ce qui se comprend également puisque l’alcool aide à lever les inhibitions.
Enfin, pour ne pas confondre les différentes anxiétés sociales, chacune possède un état d’esprit particulier.
L’état d’esprit des traqueurs, des timides, des évitants et des phobiques sociaux
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Différencier le traqueur du phobique
Le traqueur, celui qui a le trac, ressent la même angoisse que le phobique social quand il doit prendre la parole en public. Néanmoins son angoisse n’est présente qu’au début, ou avant, qu’il fasse sa prestation. Elle diminue d’un cran dès qu’il commence à parler.
Ce n’est pas le cas pour un phobique qui ressentira de l’angoisse avant, pendant et après sa prestation. Avant la présentation, il va nourrir son anxiété en imaginant une catastrophe à venir. Pendant la prestation, il va davantage se concentrer sur son malaise plutôt que sur la situation en cours. Enfin, après sa prestation, il va se sentir honteux et ressasser ses erreurs supposées.
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Différencier le timide du phobique
La grande peur du timide est d’être ignoré, tandis que celle du phobique est d’être humilié ou agressé. De plus, la peur du timide ne dépasse pas son désir de socialiser, au contraire du phobique.
Lors d’une première rencontre, le timide est particulièrement heureux si son interlocuteur fait le premier pas. Ce qui n’est pas le cas du phobique social. Il va être confus (que dois-je dire ou faire ?) ou angoissé (que me veut-il ?).
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Différencier l’évitant du phobique
Le phobique a une conscience très claire de son anxiété et de la
souffrance qui l’accompagne. Il culpabilise de ne pas pouvoir la combattre.
L’évitant n’a pas cette conscience. Il évite les autres car il n’a pas envie de les voir. Il trouve que le monde n’est pas assez
accueillant ou ouvert d’esprit, et estime qu’il est très bien comme il est.
Quel que soit le degré de son anxiété sociale, la peur des autres concerne tout le monde. D’où provient-elle?
Pourquoi avons-nous peur des autres?
Les facteurs innés de l’anxiété sociale
Indépendamment de la nature de l’anxiété sociale (trac, timidité, phobie, évitement), il existe plusieurs facteurs expliquant cette peur des autres. Il est impossible actuellement de préciser lequel de ces différents facteurs prédomine sur les autres. La primauté varie en fonction des individus et de leur histoire.
Nous pouvons classer ces facteurs en deux groupes. Les facteurs innés et les facteurs acquis. Les facteurs innés comprennent:
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Les processus biologiques
Pour certains chercheurs, la plupart de nos peurs et de nos phobies sont archaïques. L’agoraphobie ou la peur d’être éloigné de chez soi peut s’expliquer en partie par le fait que les premiers hommes n’avaient pas intérêt à s’éloigner de leur caverne au risque de se mettre en danger. De même, la phobie sociale peut trouver sa source dans le fait que rencontrer un groupe d’hommes inconnus puisse être une source de danger.
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Les processus neurobiologiques
Certains anxieux auraient un système d’alarme particulièrement sensible. Leur cerveau les avertirait du danger de manière trop fréquente et trop intensément.
Les facteurs acquis de l’anxiété sociale
Une éducation excessivement sévère et exigeante favorise l’émergence de l’anxiété sociale.
Un traumatisme initial favorise également l’émergence de l’anxiété sociale. C’est, par exemple, un harcèlement ou une humiliation subie dans la cour d’école ou en classe.
Une étude interculturelle du psychologue Philip Zimbardo sur la timidité a révélé que certaines populations comptent davantage de timides et d’anxieux sociaux que d’autres. La prévalence des timides atteindrait 60% de la population japonaise, et 50% de la population allemande. En revanche, elle ne concernerait que 31% de la population israélienne.
Globalement, les asiatiques seraient plus timides que les Occidents. Cette différence s’explique par le fait que l’affirmation de soi n’est pas un
comportement valorisé en Asie, où l’individu doit se soumettre aux impératifs familiaux et sociaux.
Un dernier facteur de l’anxiété sociale résulte des croyances limitantes qui peuvent être la conséquence de facteurs aussi bien innés qu’acquis.
Les croyances limitantes
Les
croyances limitantes entourant l’anxiété sociale sont nombreuses, les principales étant:
- La surévaluation des exigences de performance.
- La surévaluation des évènements négatifs et la dévalorisation des évènements positifs.
- La certitude que les autres sont forcément plus forts et plus compétents que soi.
- Une pensée dichotomique. Tout est tout noir ou tout blanc.
Ainsi, lors d’une prise de parole, l’anxieux va se focaliser sur les signaux
négatifs (quelqu’un qui baille), ne retenir que ceux-ci et nier ce qu’il a pu bien faire.
Face à ces facteurs, quelles solutions permettent d’apaiser, voire de se libérer de son
anxiété sociale?
Comment surmonter son anxiété sociale?
Les traitements connus contre l’anxiété sociale
Dans le domaine des troubles anxieux, des peurs et de la dépression, la question du choix des traitements (médicaments ou psychothérapie) reste assez sensible.
Pour les auteurs, il est cependant évident que
les médicaments (antidépresseurs, bêtabloquants et anxiolytiques) ne suffisent pas à eux-mêmes. Ils ne doivent être prescrits que ponctuellement et seulement en cas de phobie sociale lourde et handicapante. Enfin, ils doivent être impérativement accompagnés d’une psychothérapie.
Pour traiter l’anxiété sociale, différentes psychothérapies existent. Leur but étant de d’élargir la
connaissance de soi et de développer des compétences émotionnelles et mentales pour mieux contrôler son attention et ses croyances limitantes.
Par exemple, elles vont apprendre au phobique social à davantage se concentrer sur une situation plutôt que sur
ses angoisses internes.
Parmi, ces thérapies, les auteurs citent:
Tout comme le PAEN, il est possible de réaliser soi-même une technique d’exposition.
Les étapes de l’exposition progressive
Réaliser parfaitement une technique d’exposition est possible en suivant les étapes adéquates:
- Tout d’abord, faire un point sur ses difficultés et cerner les situations où nous ressentons de l’anxiété sociale.
- Etablir une liste de ces situations.
- Identifier les facteurs et les conditions qui augmentent ou diminuent la peur dans ces situations.
- Hiérarchiser les situations. Quelles sont les moins angoissantes et celles que l’on évite à tout prix ?
- Se préparer mentalement la confrontation à ces situations.
- Planifier l’ordre et les moments où aura lieu la confrontation.
- S’exposer.
- Évaluer ce qui a marché et ce qui est à revoir.
- Après plusieurs succès, recommencer l’exercice avec une autre situation.
En matière de peur et de phobie, le cercle vicieux est toujours le même. Plus on a peur, plus on évite. Et plus on évite, plus on a peur. En revanche, plus on se confronte à sa peur, plus elle diminue.
Comme l’avait écrit l’écrivain Cesare Pavese, «on ne se libère pas d’une chose en l’évitant, mais en la traversant.»
Source: Christophe André, Patrick Légeron, Antoine Pelissolo, La nouvelle peur des autres, Odile Jacob, 2023