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Publié le 22/09/2021, mis à jour le 05/10/2024
Sujets d'actualité
Comprendre et guérir de l’anorexie
Coup de gueule d’une ex-anorexique
Un trouble empreint de préjugés
Avec la boulimie, l’anorexie est le trouble du comportement alimentaire qui nous est le plus familier.
Partout, il est entendu que l’anorexie est due à un problème relationnel avec l’environnement familial ou est la conséquence d’un refus de grandir et d’assumer sa féminité.
De même, il semblerait que l’anorexie soit un mal incurable ; on n’en guérit jamais totalement.
Ces faits ne sont rien d’autre que des préjugés grotesques selon Camille Cellier, ex-anorexique, aujourd’hui enseignante de lettres modernes-cinéma.
Dans son ouvrage « Guérir de l’anorexie » (Odile Jacob 2021), véritable coup de gueule, la jeune femme revient sur ces différents préjugés et dénonce des soins hospitaliers aussi archaïques que scandaleux.
Hôpital on est mal
Camille Cellier ne s’est jamais faite soigner à l’hôpital, alors même qu’elle pesait tout juste 27 kg. Incontestablement, elle a frôlé la mort mais a préféré s’en sortir seule en tâchant de retrouver goût à la vie, avant de retrouver goût aux aliments. Ce qui s’est produit en moins d’un an et demi.
L’expérience des soins à l’hôpital lui a été rapporté par divers patients anorexiques, dont les témoignages font tous références à différentes méthodes et comportements à la limite de la maltraitance :
- Gavage
- Sonde nasogastrique (appareil visant à apporter directement les nutriments dans le tube digestif).
- Accès aux toilettes restreintes ou ouvertes à tous (de peur que les patients vomissent leur repas)
- Absence de thérapie efficace
- Chantage (pour 100g de repris, un livre est permis. Pour 500g, c’est l’accès au jardin qui est autorisé).
- Isolement forcé
- Interdiction de voir ou de communiquer avec sa famille.
En conséquence, le séjour hospitalier est plus traumatisant que bénéfique. Si les personnes trouvent la force de guérir dans de telles conditions, elles puisent leur ressource dans des terreaux qui n’amènent aucune guérison durable :
« Nombre d’anorexiques bâtissent leur guérison à l’hôpital sur leur désespoir, leur haine des soignants, la revanche à prendre sur l’hôpital broyeur de vie, l’aigreur envers leurs proches pro-hospitalisation. »
Ces « soins » hospitaliers s’expliquent aisément par les difficultés auxquelles l’hôpital public est contraint. Tout manque : le matériel, le personnel, les salaires et surtout des formations solides pour tous.
Ce n’est pas notre propos ici d’accabler davantage un système à l’agonie. Mais plutôt de contribuer à apporter un regard nouveau et plus juste sur les anorexiques et l’anorexie.
Mythes et légendes sur l’anorexie
Les origines de l’anorexie
Quand on s’intéresse aux causes de ce trouble, reviennent les mêmes musiques :
- L’anorexie est le fait d’une mère abusive ou de l’absence d’un père.
- L’anorexie est survenue à la suite d’un traumatisme au moment de l’adolescence.
Le traumatisme favorisé étant l’agression sexuel car il justifierait le dégoût de la personne envers sa féminité. Ne pas avoir de forme étant la solution pour échapper à la lubricité des hommes.
- L’anorexie est la conséquence d’un rapport à son corps complément tordu
L’anorexique se trouverait grosse et n’aurait de cesse de jeter ses maigres forces dans le sport pour éliminer les calories, de vomir ce qu’elle peut, de mentir à tout son entourage pour les manipuler et de se complaire dans son état.
Ce faisant, l’anorexique ajoute à son trouble alimentaire d’autres troubles comme la dépression, la psychose, l’hystérie et l’état borderline.
En réalité, ces explications sur la cause de ce trouble sont beaucoup trop « bateaux » pour justifier son apparition.
L’anorexie est un phénomène complexe qui ne met pas systématiquement en cause un parent bancal ou un agresseur, comme le relate Camille Cellier : « Rien de très apparent, ni de très conscient « n’explique » à chaque fois l’anorexie. […] C’est un faisceau de petites choses qu’on se raconte intérieurement, qui se mettent à boucher l’horizon, qui mènent à cette fausse solution d’enfer artificiel. […]
« C’était plein de choses à la fois » qui revient en boucle. […] Un chagrin violent, la fin du cycle du lycée, la quête de sens à donner à la suite, la fin d’une enfance, le tétanisant mot « avenir » devant soi… C’est un amoncellement de ce genre de dissonances, combiné avec des racines anxieuses, dépressives et l’horreur de l’absurdité du monde. »
Les autres préjugés sur l’anorexie
Trois autres préjugés ont la peau dure :
- L’anorexie est une maladie de femme. Ce qui est faux, les hommes sont aussi concernés. Même s’ils sont beaucoup moins nombreux.
Et tout comme les femmes, ils subissent aussi des clichés ridicules auprès d’experts qui vont tenter de leur faire avouer une homosexualité refoulée.
- L’anorexie et la boulimie sont les deux facettes d’une même maladie.
C’est une des idées reçues les plus courantes. Seulement, comme Camille Cellier l’explique, cette association est non-recevable :
« La boulimie est en grande partie une construction de l’esprit, elle ne frappe pas du jour au lendemain. [De plus,] une personne anorexique possède généralement un système de valeurs (restriction, contrôle du corps, retenue, pondération) en complète contradiction avec la frénésie alimentaire. Il n’y a donc aucune probabilité forte, moyenne ou faible pour que sa personnalité s’inverse sous l’effet de la reprise de poids raisonnée et progressive. »
- Il est impossible de guérir complètement de l’anorexie. Au moindre choc émotionnel (rupture, deuil, licenciement, baby blues, etc.), on retomberait directement dans ce trouble.
Or, la guérison implique une sortie totale de l’anorexie. Ce qui signifie qu’on a remplacé son système de pensée dysfonctionnel bâti sur des croyances névrotiques, par un système de pensée radicalement autre.
Pour arriver à opérer un tel changement cognitif, il est nécessaire de penser à de nouveaux soins.
Des pistes pour de nouveaux soins
Mettre l’accent sur la vie
En un an et demi, qu’est ce qui a permis à C. Cellier d’en finir avec l’anorexie ?
Sa réponse détonne : « revenir à la littérature, la lecture et au cinéma m’a rendu l’anorexie indésirable à jamais ».
Pour elle, il ne sert à rien de s’intéresser à la cause et à l’origine du trouble. On ne se soigne pas en déterrant un passé oublié.
Sa position est intéressante dans le sens où elle rejoint celle du Dr Jean Becchio, pour qui se focaliser sur le « pourquoi du comment » n’aboutit qu’à s’enfoncer dans 20 ans de thérapie.
Se guérir n’est possible qu’à la condition de se diriger vers des forces revitalisantes, c’est-à-dire vers ce qui nous fait du bien, ce qu’on aime, ce pourquoi nous sommes heureux de vivre. Il faut retrouver le goût et l’envie de vivre.
Attention là non plus à ne pas généraliser, se pencher sur son passé peut être d’un grand secours pour certaines personnes. Mais il est inutile de l’imposer à tous, ceux qui ressentent ce besoin sauront d’ailleurs le faire entendre.
Le rôle de l’écriture
L’écriture a également été une vraie aide pour notre auteure. C’est un outil qu’elle recommande à condition de l’utiliser à bon escient : « l’écriture constitue moins une libération des affections qu’un moyen favorisant un changement dans son système de représentations. »
Si l’écriture sert de support à son ressassement mental, elle n’est guère bénéfique. Elle ne le devient qu’à la condition de poser sur papier ses pensées fluctuantes pour retraiter les informations et construire de nouveaux sens.
L’écriture ne guérit rien, mais c’est une aide précieuse, un support qui accompagne la guérison.
Des patients-experts
Enfin, dernière piste : il serait intéressant que notre système de santé accorde une vraie place aux ex-anorexiques en tant que patients-experts.
Ils ont vécu dans leur chair la souffrance des malades, et ils savent mieux que personne ce que guérir veut dire.
« Grandir, mûrir, expérimenter, faire la démonstration de ses propres ressources, gagner en indépendance intellectuelle et morale, ne plus laisser les autres seconder ou choisir pour soi, philosopher sur sa vie plutôt que la dogmatiser »
Le philosophe français Georges Canguilhem, résume cette idée en une seule phrase :
« guérir, c’est se donner de nouvelles formes de vie, parfois supérieures aux premières. »
Source : Camille Cellier, Guérir de l’anorexie. Changeons de regard, Odile Jacob, 2021
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