J’ai lu ton mot ce matin sur les élections américaines, sur BloomingYou.
Tu écris « Liker c’est bien ; voter, c’est mieux », mais hélas, non…
Le vrai problème, aujourd’hui, c’est que les démocraties occidentales ne fonctionnent plus. Elles ont été complètement récupérées par le lobbying et la communication.
Le candidat qui gagne n’est pas le meilleur : c’est celui qui a les plus gros moyens financiers et la plus grande force de communication.
La démocratie est devenue « des-mots-cratie » : le pouvoir des mots, du bla-bla, de la com populiste.
Michel Rocard, qui a été l’un des premiers à se réjouir autrefois de la décision du Général de Gaulle d’élire le président de la République au suffrage universel, s’en est ensuite mordu les doigts et repenti : il disait ces dernières années que cette façon de faire transformait l’élection présidentielle en une vaste campagne de pub. Et c’est tellement vrai !
Tout le monde s’abrite derrière la phrase de Churchill : « La démocratie est le pire des systèmes… à l’exclusion de tous les autres ». Mais cette phrase date de plus de 70 ans, et durant ces 7 décennies, la démocratie a totalement changé, car les pouvoirs économiques ont trouvé le moyen de la récupérer à leur compte. C’est ce qu’expliquait avec talent Hervé Kempf dans son livre « Oligarchie, ça suffit ! » (Points, 2013).
Nous vivons dans une apparence de démocratie. Tant de gens le comprennent (ou le ressentent) qu’ils ne vont plus voter, justement, parce que voter devient juste une manière de cautionner un système totalement inefficace.
Si on vivait dans une vraie démocratie, d’ailleurs, Monsanto aurait-il ce pouvoir ? Trump serait-il élu ? Berlusconi aurait-il été réélu ? Continuerait-on de polluer de cette manière ? Passerait-on notre temps à signer tant de pétitions, jour après jour, pour tenter de contrer les décisions que les gouvernements prennent sans cesse contre ceux qui les ont élus ?…
On se gargarise avec ce mot de « démocratie », mais il est temps d’ouvrir les yeux : les grenouilles que nous sommes cuisent à petit feu dans une eau qui n’a plus de démocratique que le nom.
Se focaliser sur des personnes – Le Pen, Trump ou d’autres – est une erreur : c’est le système qui est défaillant et doit être complètement remis à plat et rénové. Nous devons réinventer la démocratie.
Au passage, Jacques Attali avait écrit un jour un excellent papier où il comparait l’élection présidentielle en France, l’élection du Pape au Vatican et celle du Premier secrétaire du Parti Communiste en Chine : il relevait les qualités et les défauts de chaque système, pour en tenter une synthèse supérieure. Mais tant qu’on idéalisera la démocratie, sans voir ce qu’elle est vraiment devenue, on ne fera rien pour la changer vraiment. Ajoutons qu’il faudrait dans chaque pays un organisme de « veille démocratique » (équivalent des processus biologiques qui gèrent l’homéostasie dans le corps humain), qui veillerait justement à ce que la démocratie ne soit pas récupérée d’une manière ou d’une autre, et à ce que sa vocation première subsiste. On en est loin…
Posons-nous aussi la question : la victoire d’Hillary aurait-elle été une victoire de la démocratie ? Non plus ! La démocratie, la vraie, était perdante dans les deux cas. Comme elle risque de l’être chez nous aussi, quel que soit le candidat qui gagne. Notre seul choix est de valider celui des candidats qui nous déplaît le moins, et non celui qui nous correspond le plus. Et une fois élu, ce candidat peut oublier toutes ses promesses, sans que le peuple n’y puisse rien.
Non, vraiment, nos démocraties sont très, très malades ! Aller voter, désormais, c’est juste entretenir l’illusion qu’elles fonctionnent encore. Mieux vaut investir son temps, son énergie, ses capacités à faire changer les choses dans le fond, dans l’évolution de la société civile, plutôt que dans ce jeu de dupe.
Voilà en quelques mots, et en quelques minutes chrono ce que m’inspirait ton mot ce matin, que j’ai lu avec d’autant plus d’intérêt que je suis un FAN de Noam Chomsky… qui hélas prêche de telles vérités, avec tant de bon sens, dans un désert total.
PS : En même temps que je t’écris ces lignes, je reçois un mail d’un ami sur la « crowdocracy » (le gouvernement par la foule), qui fait l’objet d’un livre d’Alan Watkins et Iman Stratenus, Crowdocracy : the end of politics ?, accompagné d’un dialogue entre l’auteur et le génial Ken Wilber. Comme quoi ces sujets sont dans l’air, et les solutions possibles déjà à l’étude !
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