« Génération à vif » : pourquoi nos jeunes souffrent...
Publié le 02/11/2025, mis à jour le 12/11/2025
Podcasts santé
« Génération à vif » : pourquoi nos jeunes souffrent (et comment nous en sommes responsables)
52 minutes min d'écoute
La jeunesse d’aujourd’hui : épuisée, surexposée, sans mode d’emploi
Être jeune en 2024-2025, c’est naviguer un paradoxe vertigineux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : augmentation de la dépression, de l’anxiété, des crises suicidaires et des addictions chez les jeunes adultes. Mais pourquoi ?
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas parce que cette génération est plus “fragile” qu’une autre. C’est bien pire : nous avons créé les conditions d’une vulnérabilité massive.
Comme l’explique Cyril Tarquinio dans le podcast à l’écoute ci-dessus suite à son livre “Génération à vif” (éditions Dunod), les jeunes d’aujourd’hui font face à une tempête parfaite :
Les études qui s’étirent sans garantie professionnelle
Un marché du travail précaire et imprévisible
Le tumulte incessant des réseaux sociaux
L’angoisse face à la crise climatique
Des institutions éducatives surpeuplées et inadaptées
Le résultat : une génération épuisée de se comparer, écrasée par des attentes invisibles mais omniprésentes.
Le mythe dangereux : “c’est ton problème individuel, résous-le au psy”
Ici réside le piège. Notre société tend à transformer les crises systémiques en défaillances individuelles.
Selon Tarquinio, il existe une véritable tendance politique et institutionnelle à répondre à la complexité par la simplicité : « Si vous n’allez pas mieux, c’est votre problème. Allez le régler avec le psychologue. »
Cette approche commet une erreur fondamentale. Elle dit aux jeunes :
Ce qui vous broie n’est pas le problème
C’est vous qui êtes le problème
Réglez-vous vous-même
Cette logique balaye la responsabilité collective sous le tapis.
L’université : le parent pauvre du système éducatif
Tarquinio pointe un exemple criard : l’université française. Tandis que les grandes écoles bénéficient de ressources massives et d’effectifs maîtrisés, l’université accueille les étudiants qui n’ont pas les moyens d’accéder aux établissements prestigieux.
Le résultat :
Des amphithéâtres de 500 à 600 étudiants
Des conditions d’étude impossibles
Des étudiants contraints de cumuler travail, études et précarité alimentaire
Selon le psychologue, il existe encore à l’université « des bus qui distribuent des denrées alimentaires aux étudiants » le mercredi
Comment transformer les compétences dans de telles conditions ? C’est précisément ceux qui ont le moins de ressources sociales qu’on met dans les conditions d’échec. C’est non seulement injuste, c’est une bombe à retardement pour la santé mentale.
Le lien caché : santé mentale et santé physique sont deux faces de la même médaille
L'une des contributions majeures de Tarquinio consiste à révéler un lien peu connu : les adversités vécues dans l'enfance et l'adolescence créent une physiologie du trauma qui augmente le risque de maladies chroniques à l'âge adulte.
Ce n'est pas juste psychologique. C'est biologique.
Exemple concret : le manque d'oméga-3 (lié à l'alimentation insuffisante) a un effet direct sur la survenue de troubles dépressifs et influence le fonctionnement cérébral.
Cela signifie que :
La faim d'un étudiant n'est pas qu'un problème de dignité
C'est aussi un facteur de risque de dépression
C'est un générateur de maladie physique chronique
La santé publique ne peut pas ignorer ces liens. Mais elle le fait, systématiquement.
Le trauma complexe : un phénomène largement sous-estimé
Tarquinio aborde une question rarement posée en public : combien de jeunes (et d'adultes) souffrent en silence de trauma complexe ?
Le psychologue affirme que ce phénomène est « largement sous-estimé ». Et pas seulement pour les victimes d'inceste ou de violences directes. Le simple fait d'être témoin de violence conjugale enfant crée une insécurité profonde et un sentiment d'impuissance qui laisse des traces indélébiles.
Pourtant, beaucoup minimisent : « Oh, c'était dans le passé, c'est rien. »
Tarquinio utilise une métaphore puissante. Il demande à ses patients : « Si vous aviez une baguette magique pour vivre à nouveau ce que vous avez vécu enfant, le feriez-vous pour vos propres enfants ? »
La réponse est toujours non.
Mais alors, pourquoi dire que "c'était rien" ? C'est l'absence d'empathie envers l'enfant qu'on était qui reproduit le cycle du trauma.
La résilience n'est pas une force individuelle (et c'est crucial de le comprendre)
Boris Cyrulnik, chercheur de référence sur la résilience, a dû faire une « mise au point idéologique » récemment. Il refuse qu'on utilise "résilience" comme une superpower individuelle.
La résilience n'est pas une force intrinsèque. C'est un processus psychosocial.
Voici la véritable définition :
La résilience existe seulement quand il y a des « tuteurs de résilience » - des gens qui vous tendent la main. Sans eux, la résilience ne se révèle jamais.
Cela implique qu'on a besoin d'un environnement social :
Structurant et bienveillant
De services publics solides (profs bien payés, psys disponibles)
De parentalité accompagnée
De ressources communautaires
La métaphore de Tarquinio : « Si vous êtes le meilleur nageur du monde mais qu'il n'y a pas d'eau dans la piscine, vous ne ferez jamais de performance. »
Nous envoyer l'injonction de « sois résilient tout seul » revient à demander à quelqu'un de nager sans eau.
Ce que révèle vraiment « Génération à vif »
Ce livre (et ce podcast) ne console pas. Il confronte. Il pose une question que nous préférons fuir :
Que dit de nous une société où grandir est devenu si périlleux ?
La souffrance des jeunes n'est pas un accident démographique. C'est un symptôme : le corps qui archive ce que la conscience collective refuse de voir. Les insomnies, les troubles digestifs, les addictions, les crises d'angoisse - ce sont des cris traduits en symptômes physiques.
Le paradoxe vertigineux de notre époque
Nous accumulons les rapports, les diagnostics, les preuves. Nous connaissons le problème. Et pourtant, nous persistons à transformer ce qui relève de l'organisation collective en défaillance individuelle.
Au lieu de transformer les cadres qui abîment nos jeunes, nous leur demandons de s'adapter à un monde qui les broie.
C'est peut-être là que se situe la vraie radicalité : dans le refus têtu de la résignation. Dans le refus de considérer que c'est « comme ça ». Dans le refus de l'injonction toxique à la résilience solitaire.
Qui est Cyril Tarquinio ?
Psychologue clinicien et professeur en psychologie
Auteur du livre « Génération à vif » (éditions Dunod)
Spécialiste des impacts du trauma et des adversités sur le développement
Chercheur sur les liens entre santé mentale et santé physique
Intervenant régulier auprès d'étudiants et d'institutions
Son approche unique combine :
Rigueur intellectuelle et analyse sociologique
Écoute clinique incarnée
Vulnérabilité assumée (il partage son propre parcours avec la dépression)
C'est cette cohérence entre le personnel et le politique qui donne à son travail une force rare.
Comment sortir de la nuit pour aller vers la lumière ?
La réponse de Tarquinio est claire : ensemble. Pas seul, mais en nous accrochant aux mains tendues.
Cela signifie :
Reconnaître que nous avons une responsabilité collective envers les jeunes
Transformer les institutions éducatives
Assurer l'accès à l'alimentation et aux ressources de base
Construire des environnements sociaux bienveillants et structurants
Arrêter de privatiser les solutions aux crises publiques
Pour aller plus loin
Écoutez le podcast « Blooming You » : episode avec Cyril Tarquinio
Lisez le livre : « Génération à vif » (éditions Dunod)
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En conclusion
« Génération à vif » n'est pas qu'un livre sur la jeunesse. C'est un appel. Un appel qui s'adresse à nous tous : parents, éducateurs, décideurs, citoyens.
Derrière chaque jeune qui vacille, il y a un système qu'on a construit, des institutions qu'on a acceptées, des choix qu'on a faits.
La question n'est pas : comment aider les jeunes à supporter le monde ?La question est : comment transformer le monde pour qu'il ne les broie pas ?
Et c'est là où la radicalité réside. Pas dans les grandes déclarations, mais dans ce refus têtu de la résignation.
Article basé sur le podcast « Blooming You » - Transcription de l'entrevue avec Cyril Tarquinio, psychologue clinicien et auteur de « Génération à vif » (éditions Dunod)
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