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Publié le 03/03/2021, mis à jour le 22/07/2022
Sujets d'actualité
Immigration, catastrophe climatique, mal-être social et Covid-19 : l’appel à l’action de Carola Rackete
Lampedusa : retour sur un débarquement médiatisé
Dans la nuit du 28 au 29 juin 2019, au large de l’île italienne de Lampedusa, le point le plus au sud de l’Europe, un capitaine perd patience.
Il s’agit de Carola Rackete, une Allemande âgée de 31 ans, aux commandes du Sea-Watch 3, un navire destiné à secourir les migrants qui traversent la Méditerranée. A bord, se trouvent son équipage et une cinquantaine de réfugiés dont des femmes enceintes, des mineurs et deux enfants.
Depuis plus de deux semaines, sous la chaleur accablante de la canicule, Carola Rackete attend l’autorisation des autorités italiennes et européennes pour accoster. Mais rien ne se passe et la situation devient alarmante sur le Sea-Watch 3.
« Nous avons franchi les deux lignes rouges que nous nous étions fixées au moment du départ. L’une est le risque de suicide, l’autre, la perte de contrôle sur le bateau. »
Tant pis pour l’autorisation, le capitaine n’attend plus et décide d’entrer dans le port. Un choix qu’elle considère comme étant « ni un crime ni un acte d’héroïsme, mais un devoir de sauvetage ».
Un choix sur lequel elle revient dans son ouvrage « Il est temps d’agir ». Son livre n’est pas une autobiographie, mais un manifeste, un appel à l’action et au courage pour ne pas laisser la fatalité l’emporter, un appel aux outils et aux cerveaux pour bâtir un futur enviable et vivable.
Toutefois, et avec pudeur, Carola Rackete laisse passer quelques fibres de son histoire personnelle qui l’ont amené à endosser, malgré elle, le rôle de capitaine courage.
L’histoire de Carola Rackete
Aucune prédestinée
« Rien dans mon enfance ou ma jeunesse ne m’a spécifiquement préparée à ce moment. J’ai vécu dans un cadre petit-bourgeois, dans une petite localité de Basse-Saxe qui comptait plusieurs lotissements avec des maisons individuelles. »
Ses parents ne se préoccupent guère d’écologie. Sa mère est comptable, et son père ingénieur électricien. Son goût pour la nature se développe au contact des arbres sur lesquels elle adore grimper.
L’enfant devient adolescente, se renferme un peu sur elle-même et sur ses jeux vidéo sans savoir quoi faire de sa vie, tout en étant sûre de ne pas vouloir travailler dans un bureau. Un grand classique.
A la fin du lycée, elle décide d’étudier la navigation maritime. Un choix qui se fait sans grande conviction, mais le secteur recrute et on peut voir du pays.
L’envie de faire plus
Durant ses études à bord de grands bateaux de recherche scientifique, Carola Rackete observe les changements dus au réchauffement climatique en cours. Notamment en Arctique, où elle tombe amoureuse de la beauté blanche et mystique des glaciers menacés.
La jeune navigatrice constate alors : « la recherche me semblait de plus en plus inutile, et travailler pour des scientifiques comme chauffeur de bus ne me suffisait plus. J’avais le sentiment de ne pas investir mon énergie là où il fallait. »
Après son diplôme de navigation maritime en poche, Carola Rackete se lance donc dans des études de gestion et protection de la nature pour se consacrer exclusivement à la défense de l’environnement.
Une expérience de 8 mois sur un bateau de Greenpeace lui fait prendre conscience qu’elle veut davantage s’impliquer dans l’action réelle. Du pain béni pour les ONG qui ne manquent pas de volontaires, mais peinent à trouver des gens capables de diriger un navire. C’est ainsi que par un jeu de relation, l’ONG allemande Sea-Watch, fera appel à ses services.
Mais quel est le lien entre le sauvetage de migrants et la défense de l’environnement ? Pour Carola Rackete, ces situations en apparence différentes, émanent d’une seule et même source : l’hégémonie d’un système économique basé sur une croissance éternelle.
Crise civilisationnelle et mondiale en cours
L’Afrique sous 50°C
C’est assez rare, mais le passage le plus marquant du livre de Carola Rackete est sans aucun doute la préface de la géographe Tchadienne, Hindou Oumarou Ibrahim, décrivant les conséquences de la montée des températures sur le continent africain.
« Dans presque tous les pays d’Afrique, la température moyenne a augmenté depuis le début de ce siècle de plus de 1,5°C. […] Nos arbres brûlent. Nos réserves d’eau se tarissent. Et nos terres fertiles se changent en déserts. Les saisons, le soleil, les vents et les nuages étaient nos alliés. Ils sont devenus des ennemis. »
« Avec des températures qui dépassent les 50°C pendant plusieurs jours, les canicules tuent les hommes, les femmes, le bétail. Les inondations détruisent les récoltes. Le lac Tchad disparait. Il y a une trentaine d’années, la superficie du Lac Tchad était de 10 000 kilomètres carrés. Elle n’est plus aujourd’hui que de 1200 kilomètres mètres carrés. Soit une perte de près de 90%. Chaque goutte d’eau, chaque lopin de terre devient un trésor convoité de tous. »
Conséquence de quoi, une misère sociale et économique qui fait le nid des guerres et des mouvements terroristes comme Boko Haram.
Ainsi les gens partent, non par désir d’Europe ou d’ailleurs, mais parce que vivre chez eux est devenu impossible. C’est un déchirement et un non-choix.
La source de tous les maux
Ce que l’on comprend surtout de la préface d’Hindou Oumarou Ibrahim, c’est que les réfugiés climatiques ne sont pas une réalité de demain, mais d’aujourd’hui.
Selon le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), 61% des déplacements en 2018 ont été déclenchés par des catastrophes climatiques. En 2019, ce sont près de 7 millions de personnes qui ont dû fuir à l’intérieur de leur propre pays comme aux Philippines, en Éthiopie ou en Bolivie. Les pronostics pour l’avenir présentent des chiffres faramineux. On estime qu’entre 250 millions et 1 milliard d’individus n’auront d’autres choix que de fuir leur foyer.
L’enjeu du manifeste de Carola Rackete est de faire comprendre que si le monde connaît de multiple problèmes, l’origine est toujours (ou presque) la même : un système économique non seulement injuste, mais surtout sorti du cadre de la pensée rationnelle pour devenir un dogme avec pour seul et unique horizon la croissance.
Un dogme de surcroît suicidaire qui épuise les ressources, détruit les forêts, stérilise les sols, empoisonne l’air, pollue l’eau, entraîne la 6e extinction de masse, déclenche un Covid-19, fait vivre l’enfer aux populations du Sud tout en entretenant le mal-être social et mental au Nord.
Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France, disait que les grandes crises sont l’occasion de sortir du sommeil dogmatique.
S’ils sont encore nombreux à jouer aux Belles au bois dormant, d’autres voix se lèvent afin de faire connaître d’autres modèles économiques et sociaux vivables.
Un autre monde est possible
Pour Carola Rackete, et d’autres, l’urgence est de freiner la consommation globale de ressources et d’imaginer une autre façon de s’organiser et de vivre ensemble sans croissance.
Pour ce faire, il n’est pas nécessaire d’adopter le modèle Amish, d’autres propositions existent :
- Suppression du PIB comme indicateur de progrès.
- Taxe carbone supplémentaire, dont le revenu sera attribué à des projets sociaux
- Limitation des déchets et de l’utilisation des ressources
- Revenu minimum et maximum
- Semaine de travail de 20 heures. Avec l’idée de davantage se consacrer à ses talents, aux siens et à la démocratie, via la multiplication de conventions citoyennes.
- Interdiction de la publicité
- Arrêt des subventions et des investissements qui nuisent à l’environnement
- Soutien à l’économie coopérative à but non lucratif par des subventions, des dégrèvements d’impôts et des lois.
En attendant des changements à échelle collective, que pouvons-nous faire en tant qu’individu devant ces multi-crises ?
Rien et beaucoup de choses. Comme continuer à prendre conscience et affirmer autour de soi que notre bonheur n’est pas dans le shopping, ou qu’une forêt est bien plus qu’une ressource, c’est une partenaire qui nous apporte vie et beauté.
En clair, nous devons continuer d’aspirer au changement et l’incarner en vivant autrement : plus lentement, plus consciemment, plus joyeusement.
Nous pouvons également participer aux manifestations et protester, comme l’encourage vivement le capitaine Rackete. Là aussi, il ne serait pas inintéressant d’innover en faisant de la créativité et de l’humour des armes d’adhésion majeures. Ce que les Gilets Jaunes n’ont pas su faire, permettant au gouvernement de les discréditer avec l’intervention des Black blocs.
Quoiqu’il en soit, il est temps d’agir, ou de s’y préparer sérieusement, car au milieu des lois économiques abstraites, la Nécessité fera toujours loi à la fin des fins. Et à ce rythme, cela risque d’être moche.
Source : Carola Rackete, Il est temps d’agir, éditions L’Iconoclaste, 2020
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