La tentation du repli : pourquoi les jeunes fuient la...
Publié le 05/05/2021, mis à jour le 05/11/2024
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La tentation du repli : pourquoi les jeunes fuient la société ?
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La tentation du repli analysée par Sophie Braun
Adieu société détraquée
Certes, nous ne connaissons ni la guerre, ni la famine ou la dictature, et c’est tant mieux. Il n’empêche que rien n’est rose non plus. Nous baignons dans une société ultra-compétitive, hypocrite et anxiogène. C’est une violence non plus frontale et brutale, mais lente et voilée qui s’attaque au psychisme et ravage le corps à long terme.
Cette violence se faisant de moins en moins subtile, ils sont nombreux à se dire : « je claque tout, je vais me terrer dans un coin paumé ». A défaut d’avoir les moyens de se battre contre tout un système, la fuite et le repli sont les seules portes de sortie.
Et elles sont empruntées de plus en plus tôt, comme l’analyse Sophie Braun, psychanalyste et membre de la société Française de Psychologie Analytique, dans son dernier livre, La tentation du repli. Burn-out, fatigues chroniques, phobies sociales et scolaires, addictions aux jeux vidéo… paru aux éditions du Mauconduit.
On y apprend que le phénomène de repli sur soi est très peu étudié, les chiffres sont dispersés entre les pathologies ou les comportements névrotiques :
Une étude de l’Unicef datant de 2014 relate que près de 43% des 15-18 ans sont en situation de souffrance psychologique. 40% vivent des relations tendues avec leur parents, et 45% ont peur de ne pas réussir à l’école. 32% reconnaissent avoir pensé au suicide, et 12% ont tenté de mettre fin à leurs jours.
Chez les adultes, l’OMS estime que les troubles dépressifs représentent le premier facteur de morbidité et d’incapacité sur le plan mondial. 5,2 millions de personnes en souffriraient en France.
Selon une étude américaine de 2019, 50% des 23-28 ans et 75% des 18-22 ans ont déjà quitté un emploi en raison d’une maladie mentale (dépressions, burn out, stress ou angoisses…).
Malaise dans la culture
Comment la phobie scolaire de Jung vous a-t-elle inspiré l’écriture de ce livre ?
Sophie Braun : Je ne sais plus comment, il m’est revenu que Jung avait eu une phobie scolaire. Cet homme avait vécu par anticipation beaucoup de ce que nous vivons aujourd’hui, ce qui en fait pour moi un vrai précurseur.
J’ai eu envie d’écrire ce livre quand j’ai vu des jeunes patients ne pratiquement plus sortir de chez eux. Les failles narcissiques sont telles dans notre société très compétitrice que l’on se sent tous nuls. Le sens de la relation se perd parce qu’on a l’impression que l’autre nous agresse sans arrêt. Seul, on est tranquille.
Attention aux confusions !
Le narcissisme signifie que l’on a une bonne image de soi.
Les failles narcissiques signalent qu’on a une mauvaise image de soi. On va chercher à combler ces failles en s’exposant pour montrer qu’on est le plus beau, fort, intelligent etc.
Un pervers narcissique a tellement de failles qu’il rentre en compétition avec le reste du monde.
Quelle est l’importance de l’influence sociale et économique sur la construction psychique ?
Sophie Braun : Jusqu’à présent, l’un des travers de la psychanalyse est de ne pas avoir suffisamment pris en compte le social et l’économique. Il est temps de s’interroger sur la façon dont la culture façonne nos psychés et comment on peut essayer de trouver des petites marges de manœuvres à l’intérieur de cela.
Si la psychologie et la sociologie ont été séparées, il n’en a pourtant pas été le cas au début. Les « pères Fondateur » s’y étaient beaucoup intéressé. Freud avait analysé le lien psyché/culture dans son livre « Malaise dans la culture ». Quant à Jung, son concept d’inconscient collectif n’est rien d’autre que la culture dans laquelle on est élevé.
Les Hikikomoris, un phénomène bientôt français ?
Qui sont-ils ?
Qu’est ce que le phénomène Hikikomori observé au Japon ?
SB : Les Hikikomoris sont des gens qui ont décidé de ne plus sortir de leur chambre ou appartement. En général, ils commencent jeunes. Ce phénomène existant depuis une vingtaine d’années, certains Hikikomori ont maintenant 60-70 ans. Aujourd’hui, on estime qu’ils sont à peu près 700 000.
Comment ont émergé les Hikikomoris ?
SB : Au Japon, il y a une pression terrible mise sur la réussite scolaire. Certains ont le sentiment de ne jamais y arriver et préfèrent abandonner la lutte. La pression qui est mise sur les enfants Japonais nous raconte quelque chose de la pression qui est aussi mise sur les enfants dans nos pays Occidentaux.
Une jeunesse française éreintée
Plusieurs facteurs laissent à penser que les Hikikomoris ont de l’avenir en France :
Dès la maternelle, les enfants subissent la compétitivité en étant notés et comparés.
Pas un seul jeu pour enfant de 2 ans n’est simplement ludique : tous ont une visée éducative. Seul leur intellect est stimulé. Dans les villes, les enfants sont particulièrement coupés de leur corps et sensations, qui sont des boussoles extrêmement importantes pour se développer.
Quelle que soit leur classe sociale, aucun enfant n’est épargné par la pression de la compétitivité. Pour les plus aisés qui ont la chance de faire du piano, de l’anglais, trois sports… ils ont l’impression qu’ils ne vont pas y arriver et d’être nuls parce qu’on leur en demande trop. Puis il y a les autres qui n’ont pas cette chance et se sentent aussi nuls parce qu’ils n’ont pas les bons codes.
On est en train de tomber dans une société phobique. Vivant dans une guerre économique, tout le monde a peur pour ses enfants. Du coup, on veut créer des guerriers les plus parfaits possibles. Sauf que c’est l’inverse qui se produit : les enfants deviennent des adultes extrêmement faibles qui n’ont plus la force de se battre.
Quels sont les peurs et leurres du parent parfait ?
Manque de repères
Pourquoi, selon vous, « la transmission n’est plus ce qu’elle était » ?
SB : Deux faits l’expliquent : la technologie et le déficit d’autorité.
Pourquoi la technique ? Les enfants maîtrisent mieux que les parents les outils technologiques devenus indispensables. L’enfant a donc un savoir que le parent n’a pas. Ce qui est un phénomène très récent et qui bouscule les repères.
Quid du déficit d’autorité ? On élève les enfants comme si c’étaient des petits adultes. On leur demande de choisir et de décider alors qu’ils n’ont pas les moyens psychiques pour le faire.
On veut que nos enfants nous aiment et on a l’idée bizarre que si on leur impose des choses ils vont moins nous aimer. Or ce n’est pas vrai. Par ailleurs, en agissant ainsi on les confronte à un vide sidéral qui leur enlève ce dont ils ont le plus besoin : la sécurité.
La perfection : illusion pour les grands et pression pour les petits
En quoi l’éducation guimauve du parent parfait, comme vous l’appelez, dessert les enfants ?
SB : Des patientes enceintes me disent : « je ne dois pas penser telle chose parce que cela va traumatiser mon bébé qui est dans mon ventre ». C’est faux, les pensées de la mère n’influencent pas le bébé. Seuls les traumatismes vécus par la mère vont influencer le bébé parce qu’il y a un système d’hormones qui va se déplacer.
SB : Par ailleurs, on est arrivé à un niveau où l’on pense que chaque phrase, chaque mot peut être traumatisant. On veut que rien ne traumatise les enfants, qu’ils soient absolument épanouis, ce qui est une autre façon de les enjoindre à être parfaits. De plus, en se comportant comme cela, on ne les prépare pas à la réalité de la vie, qui est difficile.
Comment faire mieux ?
SB : en arrêtant de vouloir faire mieux. Essayons de faire juste suffisamment bien, avec un peu d’attention, de gentillesse, beaucoup d’amour, et surtout en acceptant d’être imparfait et de se tromper tout le temps.
Réflexions sur l’injonction à la sérénité et au bonheur
« Devenir la meilleure version de moi-même » est un slogan qui vous dérange, pourquoi ?
SB : Parce que c’est un diktat supplémentaire, et parce que je ne suis pas un logiciel qui doit « s’upgrader ». Je veux juste essayer d’être, et de faire des choses que j’aime.
Vous évoquez aussi la méditation pratiquée pour rentrer dans cet objectif d’être la meilleure version de soi-même ? Vous dites même : « mais de qui se moque-t-on ? »
SB : La méditation, que je trouve passionnante, est très bien si on veut en faire pour son plaisir, mais pas pour devenir parfait ou serein. On a des émotions qu’on doit canaliser mais pour autant, acceptons déjà d’avoir des émotions, des désirs, d’être vivant. Il y a quelque chose dans cette injonction à la sérénité qui rejoint plus la pulsion de mort plutôt que la pulsion de vie.
Prise de recul sur la méditation des enfants
SB : en méditant, les enfants canalisent-ils leur énergie ou l’étouffent-ils ? Je préfère les enfants qui se bagarrent ou jouent au foot. Car c’est là où passent leur rage et leur colère, qui sont aussi des émotions humaines qu’ils doivent apprendre à accepter.
Comment pouvons-nous, enfants comme adultes, nous canaliser ?
SB : Quand un enfant s’énerve, on peut lui demander après coup (sur le moment c’est inutile) d’essayer de mettre des mots sur sa colère. Pourquoi tu t’es mis en colère ? Qu’est ce qui s’est passé ? Est-ce que ton frère a piqué ton jouet ? Cela va amener à s’interroger sur les raisons de la colère la fois suivante. Mettre des mots sur nos émotions est une façon de nous canaliser.
Conclusion, « ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. » Jung
Must read : La tentation du repli. Sophie Braun. Aux éditions du Mauconduit.
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