Les périodes de transitions ne sont jamais simples, et tout montre que c’est ce que nous sommes en train de vivre. La pluralité des crises (économique, sociale, écologique), dont les racines ne datent pas d’hier, en est le premier témoin. Les médias pointent la difficulté des gouvernements. Il y a un autre lieu, où la mutation fait aussi des ravages, ce sont les entreprises. Là aussi rien ne va plus.
Car les cartes ont changé depuis que la notion de réussir sa vie ne passe plus systématiquement par réussir une brillante carrière sociale. Consacrer sa vie au travail fait de moins en moins sens. Et plus les nouvelles générations arrivent sur le marché du travail, mieux cela va se cristalliser.
Les attentes contradictoires
Jean-Luc Emery et Eric Albert qui a bien voulu se prêter au jeu de l’interview avec nous, constatent dans leur ouvrage réédité cette année « Le manager est un psy » un fait paradoxal : même si l’entreprise est aujourd’hui décriée, elle est également très sollicitée, « comme si elle était le seul pôle de stabilité d’une société en perte de repères ».
Son devenir est l’objet de deux visions radicalement différentes : sa toute-puissance qui renversera celle des Etats, ou son effondrement pur et simple. Peut être ni l’un ni l’autre. Et en attendant, leurs dirigeants sont sollicités pour enfin contribuer au bien-être commun. : « Jamais ceux et celles qui les dirigent n’ont été autant sollicités pour combiner le sens, la cohérence, l’adhésion et la cohésion sociale, la rentabilité et la responsabilité environnementale… La liste des injonctions est sans fin ».
Le manager doit devenir un psy
« La demande de transformation est omniprésente alors que l’exigence sur les résultats à très court terme s’exerce à son plus haut niveau et que les moyens sont réduits à proportion. Au cœur de la tempête, les managers : à eux de conduire tout à la fois, de tout mener de front, le changement et la continuité ; à eux de gérer les contradictions. »
Pour réussir à gérer les diverses contradictions, le manager doit se refocaliser sur ce qu’on appelle l’humain. Et après tout, le manager est avant tout celui qui gère les femmes et les hommes qui travaillent sous son leadership. Or, comme le savent bien nos deux psychiatres : l’« humain est plus divers, moins constant, plus émotionnel, plus individualisé », le manager doit donc plus que jamais être un psychologue pour comprendre le comportement des collaborateurs et agir en conséquence.
L’intelligence du manager issue de ses connaissances managériales ne sera pas suffisante, il faudra aussi qu’il acquière l’intelligence du cœur, la compréhension intime des émotions de chacun. Pour y arriver, il faudra que le manager commence par lui-même.
Savoir se manager soi-même…
Prendre conscience de ses émotions sur son comportement
Pourquoi les émotions sont importantes ?
Nous sommes des êtres d’émotions. Ce sont elles qui nous mènent par le bout du nez et nous font réagir. Par exemple, en fonction de mon humeur, si je suis stressé ou anxieux, je sais que je serai plus ou moins agréable avec le touriste chinois qui me demande son chemin. Alors que si je viens d’apprendre une bonne nouvelle oui suis d’humeur badine, je l’accompagnerai sur 100 mètres.
Faire attention à ses émotions est une activité subtile, et demandeuse d’effort dans les débuts, mais c’est nécessaire car en étant mieux conscients de nos émotions, nous pouvons adapter divers comportements. Nous évitant alors de réagir par réflexe, ce que nous pourrions regretter.
Comment mieux utiliser ses émotions ?
Pour utiliser au mieux ses émotions, il faut apprendre à se détacher d’elles pour les analyser et les comprendre. Pour ce faire, Eric Albert et Jean-Luc Emery préconisent de retracer par écrit les moments où nos émotions nous ont fait défaut, où l’on a ressenti de l’impatience, de la colère ou une envie de tout lâcher. Notons que plus une émotion est forte, plus il est important de se poser et de réfléchir à ce qui l’a déclenché. Par cet effort d’introspection, on a le recul nécessaire pour comprendre l’élément ou le facteur à l’origine de nos émotions et de nos comportements.
Cet exercice d’écriture sur ses émotions et les situations permet de :
Prendre de la hauteur pour clarifier son rôle.
Prendre du recul pour analyser et comprendre ses comportements.
Observer ses émotions pour adapter ses comportements dans l’action.
En retrouvant notre calme, on prend conscience des émotions qui nous traversent et nous voyons les répercussions sur notre comportement. Or, quand nous supervisons d’autres personnes, il est primordial de comprendre les conséquences de ses divers comportements. « Plus le pilote automatique prend le dessus, et moins nous agissons en conscience en acte et en paroles. »: justify;">Passer du pilote automatique au pilote conscient
Développer des comportements stratégiques
Le pilote automatique se présente comme étant notre système de réaction composé : « à partir de notre passé, éducation, apprentissage, expériences, il reproduit des réponses apprises face à certaines caractéristiques et sollicitations de l’environnement. Il est construit largement sur la base des ressentis liés à nos expériences. » Le pilote conscient, en revanche, ne reproduit rien, il créée directement puisqu’il est dans l’instant présent.
Comment le manager peut développer son pilote conscient ? Grâce aux comportements dit stratégiques. Suivant les circonstances, et notamment quand nous avons un objectif en tête, nous avons tous développé de tels comportements. Quand nous sommes en train de vendre un produit, ou de jouer au tennis, nous sommes dans le mode du pilote conscient qui développe les comportements adéquats (et donc stratégiques) pour atteindre son objectif.
Nos psy nous rassurent : « Il est bien sûr illusoire de penser que nous pourrions être stratégiques en permanence, il est en revanche souhaitable de chercher à l’être, dans les moments cruciaux surtout. […] Mais mieux se connaitre leur apportera le calme et la lucidité nécessaires pour adopter le plus souvent possible des comportements stratégiques en phase avec la situation dans laquelle ils se trouvent, afin d’obtenir les effets qu’ils recherchent. »
Se manager, un travail continu et exigeant
Se manager est donc un travail continu et exigeant.
Exigeant dans le sens où il n’est pas facile de ne pas se laisser déborder par les émotions et de rester concentré sur son objectif . Cela l’est d’autant moins aujourd’hui, où l’hyperconnexion nous entraîne très facilement en surcharge mentale. Alors que nous sommes focalisés sur une réunion, la réception d’un texto ou d’un email va nous déconcentrer, et suivant l’objet du message, nous serons débordés émotionnellement et le pilote automatique reprendra les commandes.
« Les managers en excès de charge mentale voient leur équilibre attentionnel menacé par d’innombrables distractions créées pour capter leur attention. Ils connaissent alors des moments d’hyperexcitation, se désorganisent, adoptent des comportements stéréotypés sous le coup des émotions et le poids des habitudes. Au fil de la journée, ils subissent des pertes d’énergie et de motivation. »
Se manager est enfin, un travail continu. On développe une qualité d’être, une connaissance de soi. « Pour gagner en lucidité et préserver son adaptabilité, […] cela suppose une vigilance permanente et surtout une relation à soi heuristique et d’amélioration continue. Heuristique, car nous sommes en découverte continue de ce que nous sommes. »
D’où l’importance de « ménager sa monture », de s’accorder des temps de pause, comme faire des exercices de respiration. C’est en comprenant le fonctionnement des émotions que l’on est plus amène à reconnaître chez les autres leur propre fonctionnement, et donc au final pouvoir mieux les manager.
… Pour mieux manager les autres
Inspirer
Dans le sens où l’on donne aux collaborateurs la mission première de l’entreprise, qui doit répondre aux besoins concrets de la société. Ce qui sous-entend une ambition porteuse de sens, critère de plus en plus indispensable pour de nombreux collaborateurs.
Par ailleurs, il est d’ailleurs intéressant de rappeler d’où viennent les origines des motivations :
Motivation extrinsèque.
C’est la motivation qui vient de l’extérieur via la recherche d’une récompense (ou l’évitement d’une punition). Une motivation qui était prépondérante il y a quelques décennies quand on avait une idée de la réussite exclusivement sociale et financière. Aujourd’hui, la volonté de se rendre utile est l’essence de la réussite.
Motivation intrinsèque.
la motivation vient de l’intérieur, du plaisir qui nous fait agir, entre sentiment de liberté et d’accomplissement.
Encadrer
C’est la partie qui se rapproche du management « traditionnel » que l’on connait . En effet, il s’agit du temps et des moyens déployés pour remplir les objectifs :
Elaborer une stratégie
Décider et orienter
Apporter de l’expertise
Manager les émotions
C’est la partie humaine et émotionnelle du rôle du manager. C'’est sa capacité à créer un environnement de travail propice à l'engagement et à l'épanouissement personnel et collectif.
Adapter l’organisation en créant un cadre de travail bienveillant et confiant, qui favorise les prises d’initiative.
Incarner ses convictions
Garantir le bon fonctionnement collectif via la convivialité
Accompagner les individus
Stimuler le changement
Favoriser l’ouverture
Source : Eric Albert & Jean-Luc Emery,« Le manager est un psy », Eyrolles, 2019
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