Quand la performance économique ne suffit plus à notre bonheur
L’estimation de la richesse produite
Petit rappel : le PIB, ou Produit Intérieur Brut est un indicateur économique calculé à partir de la production des biens et services à l’intérieur d’un pays, quelle que soit la nationalité des entreprises. A ne pas confondre avec le PNB, Produit National Brut, qui calcule l’ensemble des biens et services produits sur le territoire national et à l’étranger. Plus qu’une simple donnée, le PIB est aussi une vitrine pour comparer les pays et démontrer sa puissance économique.
En France, selon les derniers chiffres de l’Eurostat, le PIB par habitant correspond à 32 900€ en 2018, et le PNB par habitant
Faut-il encore se fier au PIB ?
Pour les politiques et médias, le bien-être est dépendant du niveau de vie des ménages, qui dépend de la santé économique du pays. Or, le PIB reste le meilleur indicateur possible parce qu’il permet de mesurer cette donnée. Nombreux sont les chercheurs en sciences économiques à penser le contraire. Quelles sont leurs raisons, et disposons-nous d’autres options, pour mesurer le bien-être d’une population ?
Quelles sont les limites du PIB ?
Une forme de richesse oubliée
Les limites du PIB nous sont connues depuis un petit moment, dont celui d’ignorer un bon nombre d’agents économiques contribuant, tout autant que les entreprises et usines au taux de croissance économique d’un pays.
C’est l’économie souterraine qui regroupe les services non-marchands, les 50h/semaine de travail au noir dans les restaurants ou chez les particuliers. Sans oublier les trafics de drogues et autres activités illégales.
Pour se concentrer sur la notion de « bien-être » spécifiquement, on remarquera que le PIB ne semble pas tellement concerné par la question. Seules les richesses produites par une activité économique comptent.
Le calcul du PIB comptabilise aussi bien les productions bénéfiques à la société que celles qui le sont moins, comme les entreprises polluantes.
En mettant tous les acteurs économiques dans le même panier, le PIB laisse donc de côté les enjeux liés aux inégalités sociales et de répartition des richesses, pas plus qu’à l’environnement et au développement durable, éléments pourtant phares de notre bien-être.
Qualité vs quantité
C’est, d’ailleurs, tout le problème du PIB comme indicateur de bien-être : il ne s’axe que sur la productivité, le rendement et les coûts, autrement dit « la quantité ». L’aspect « qualitatif » d’autres activités, qui ont un fort impact sur le bien-être d’une société ne sont pas tout comptabilisées.
Citons comme autres exemples que l’environnement : la santé, l’éducation, les arts, ou encore des sujets comme la sécurité, l’espérance de vie, la parité, la liberté etc.. La valeur totale et réelle de ces secteurs ne se mesure pas en termes de coût de production et de profits, cela ne rimerait à rien. Si ce n’est à être inefficace, comme l’a d’ailleurs montré la gestion du Covid-19.
Ce qui constitue une valeur ajoutée réelle, c’est la qualité. Ce qui demande des investissements et du temps, mais que le PIB, dans sa logique brute conçoit difficilement.
Pourtant, miser sur le long terme, et la qualité, c’est ce qui est aujourd’hui essentiel au bien-être d’une population. A ce titre, ce n’est pas étonnant que les pays européens où les habitants sont les plus heureux soient les Suédois, les Finlandais et les Danois. Ces derniers, depuis une dizaine d’années, ont complètement repensé l’organisation et le financement de leurs services publics en lançant une ambitieuse « réforme qualité », qui visait aussi bien à satisfaire les usagers, qu’à promouvoir l’attractivité des emplois dans le secteur public. Et ces données, l’OCDE en est bien consciente, d’où sa recherche de nouveaux indicateurs.
Existe-t-il des alternatives au PIB ?
Des nouvelles pistes
Il y a déjà le fameux BNB, le bonheur national brut. Institué par le gouvernement du Bhoutan, un indicateur consacré à la mesure du bien-être.
Du côté de l’OCDE, deux autres alternatives au PIB ont été pensées : l’Indicateur de progrès véritable (IPV) et l’indice de bien-être économique (IBED). Contrairement au PIB, ces deux indicateurs intègrent dans leurs calculs la pollution, les inégalités sociales et le bénévolat.
Bien que les économistes s’accordent à dire que ces deux mesures sont loin d’être parfaites, elles présentent l’avantage de désacraliser le PIB, comme indicateur ultime de bien-être. Les économistes ont ainsi pu constater que dans le PIB des pays européens de l’Ouest avance plus vite que l’IPV. Aux Etats-Unis c’est encore plus préoccupant : l’IPV s’abaisse depuis les années 1970.
Si personne ne semble presser de trouver d’autres alternatives au PIB, ces deux mesures de l’OCDE ont l’avantage de remettre en question l’idée qu’un bon PIB signifie que tout va bien dans le meilleur des mondes.
Pourquoi le PIB est-il encore utile ?
Si cette idée reçue reste encore forte dans les consciences, c’est à raison. S’il s’avère, effectivement, que pour les pays développés le PIB a quelque chose d’obsolète, ce n’est certainement pas le cas pour tout le monde. Sur le reste de la planète, nombreux sont les endroits où règne encore la misère, où tout le monde ne mange pas à sa faim, et où l’on n’a pas un toit au-dessus de sa tête.
Quand on est dans la survie, on n’a pas le temps de philosopher sur le sens de la vie, ou autre chose, on va à l’essentiel, qui sont les besoins premiers. Ce qui revient à faire passer la croissance économique avant tout autre chose, car elle reste un puissant levier au progrès pour ces populations.
Gardons en tête, qu’aujourd’hui, penser autre chose qu’à la richesse matérielle, c’est un luxe seulement connu des Occidentaux. Le PIB reste donc un outil pertinent pour les pays émergents. Le temps d’être rassasié.
Le PIB, un outil pertinent mais périssable
Le PIB a sa date de péremption
Alors qu’en conclure ? Que le PIB est juste un outil pertinent mais seulement sur une période donnée : celui d’amorcer une croissance économique. Mais une fois cela fait, il serait tout aussi pertinent d’inventer un autre outil, au risque de faire du surplace, ou de stagner.
Le créateur du PIB, le scientifique Simon Kuznets, nous prévenait déjà en 1962 : « Il faut garder à l’esprit des distinctions entre quantité et qualité de la croissance, entre les coûts et les retours sur investissement, et entre le court et le long terme […]. Les objectifs de croissance doivent préciser ce qui doit croître et pourquoi. »
De nouveaux outils pour un nouveau monde
Le « pourquoi » n’a manifestement pas suscité beaucoup de réflexions politiques en 1962, mais aujourd’hui, cela devrait être une de nos principales questions. Il est temps de prendre conscience que nous vivons dans une société différente de celle de nos parents et de nos grands-parents.
Si d’autres temps, impliquent d’autres mœurs, cela suppose aussi d’autres mesures économiques et d’autres indicateurs de richesse. Des mesures qui, nous l’auront bien compris, privilégient la qualité à la quantité.
Pour aller plus loin : Rutger Bregman, Utopies réalistes, Seuil, 2017
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