Il est connu que le personnel médical et soignant soit en souffrance. Notamment à travers le manque d’effectifs et de moyens rendu évident, entre autres, par les millions d’heures supplémentaires impayées (18,5 millions d’heures non payées en 2018 selon un récent rapport de la Cour des comptes ).
De même, est connue la souffrance d’une partie des patients, conséquence directe du manque de personnels, de moyens et de formations (notamment pour les troubles cognitifs et de comportements comme l’anorexie.
En revanche, il est une souffrance moins connue : celle des aidants. Ceux qui soutiennent et accompagnent au quotidien leur proche handicapé, malade, ou tout simplement âgé et dans l’incapacité de pouvoir être autonome.
On compte en France 11 millions d’aidants dont 1,5 millions sont des enfants et des adolescents. A de multiples égards, leur rôle est essentiel.
Auprès de leur proche naturellement, mais également auprès de l’Etat, à qui ils font économiser 11 milliards d’euros selon un rapport du CNSA publié en 2014 sur la prise en charge des plus de 60 ans.
Pour le dire très simplement, les aidants « travaillent » gratuitement. Et si pour beaucoup c’est un choix (ne pas vouloir mettre son parent en EHPAD-mouroir), pour d’autres, non moins nombreux, c’est une nécessité (impossibilité de financer un EHPAD).
Mais que cela soit un choix ou non, s’occuper d’un proche dépendant bouleverse un quotidien et peut engranger une détresse certaine. Détresse d’autant plus accrue que le rôle des aidants est négligé, voire totalement ignoré.
En publiant « Aidants, ces invisibles » (éditions de l’Observatoire, 2019), Hélène Rossinot, médecin spécialiste de santé publique et de médecine sociale, entend participer à une reconnaissance officielle du rôle des aidants en mettant en lumière leur rôle mais aussi leurs difficultés.
Fragilité et précarité : la double peine des aidants
Les 12 travaux de l’aidant
Il n’est pas exagéré d’affirmer que les aidants travaillent, dans le sens où leur rôle ne se limite pas à un soutien moral et affectif.
Ils s’occupent également de diverses tâches, dont certaines sont propres au métier d’aide-soignant :
Maîtrise de tout un matériel médical (lit médicalisé, bouteille d’oxygène, fauteuil roulant, etc.) pour lequel les aidants ne sont pas toujours initiés.
Veille à la prise quotidienne de piqûre sous-cutanée, de mesure de glycémie au doigt, ou de la prise de dizaines de médicaments.
Aide au déplacement au sein du domicile, ainsi que transport et accompagnement aux rendez-vous.
Gestion administrative assez lourde entre les divers dossiers à remplir (pour une demande d’aide ou de prise en charge), la gestion des ordonnances et les prises des rendez-vous médicaux.
Soins d’hygiène à apporter quand le patient ne peut pas se lever ou faire sa toilette seul.
Si certains aidants s’adaptent très bien, pour d’autres, c’est plus difficile.
Que cela soit pour laver le corps nu de son vieux parent, voir les excréments de son conjoint ou administrer des soins parfois douloureux à son enfant, nous n’avons pas tous le même rapport au corps. Ni la même gestion du stress ou de prise de recul émotionnelle pour faire face.
Des vies sacrifiées ?
Depuis qu’Anne, 65 ans, doit soulever son mari, alité dans un lit, pour l’aider à aller aux sanitaires, elle souffre de sciatique et de douleurs lombaires.
Depuis que Patrice, 39 ans, doit s’occuper de sa vieille mère, il ne sait plus quand il a pu se reposer et a mis entre parenthèses le projet de faire un enfant avec sa compagne.
Depuis l’accident de voiture de son mari, Sylvie a dû réduire ses heures de travail pour pouvoir s’occuper de lui. Avec beaucoup moins de rentrées d’argent, cet accident les a plongés dans une précarité certaine.
Depuis que sa femme a mis les voiles, Marc, 45 ans, a frôlé le burn-out en élevant seul sa fille de 8 ans, polyhandicapée.
Des exemples de vie comme cela, on peut en compter des dizaines de milliers.
Il en ressort, globalement, que les aidants peuvent se retrouver confrontés à des difficultés financières sérieuses et à une dégradation certaine de leur santé physique comme mentale.
On notera que la souffrance de l’aidant n’échappe pas au parent aidé, notamment quand il s’agit d’une personne âgée ou malade. Sa reconnaissance contrebalance avec un fort sentiment de honte et de culpabilité. Le parent a l’impression d’être un poids lourd, dont la mort soulagerait tout le monde. De sombres pensées que tout un chacun peut comprendre.
Pour Hélène Rossinot, il est inadmissible d’arriver à de telles extrémités et de « sacrifier » l’aidant. Pour y remédier, elle propose de « ne plus opposer patient et aidant mais les accompagner tous les deux. Plus qu’une débauche de moyens, c’est surtout un changement d’état d’esprit, une prise de conscience collective dont nous avons besoin. »
Comment aider les aidants ?
Les aides vitales
La reconnaissance du rôle des aidants par l'État en proposant un réel soutien financier afin d’éviter aux familles de tomber dans la précarité.
De même, il serait tout autant pertinent de soutenir financièrement les adolescents et étudiants aidants au moyen d’une bourse ou d’une aide pour le permis de conduire.
Qui finance quoi et comment sont les grandes questions à débattre. Mais quoiqu’il en soit, les quelques aides proposées aujourd’hui sont plus qu’insuffisantes, et ne font que creuser les inégalités sociales et économiques que connait notre pays.
Au-delà de l’aspect financier, il est nécessaire de revoir le fonctionnement de l’hôpital et d’y instaurer de nouvelles mentalités.
Une reconnaissance pleine et entière des aidants par le personnel soignant et hospitalier. Les aidants doivent être considérés comme le premier partenaire pour communiquer et prendre en charge le patient.
Former les aidants aux diverses techniques de soignant si besoin.
Au lieu de se laver les mains de ce qu’il se passe hors de l’hôpital, l’établissement devrait former les aidants aux gestes et techniques auxquels ils devront avoir recours.
Car soulever un patient, placer un bassin (pour recueillir l'urine) ou savoir utiliser un lève-malade n’est ni inné ni évident. Tous les soignants ont dû l’apprendre durant leur formation.
Un système de soin ambitieux
Régler l’épineuse question du manque de lit.
Beaucoup de patients et aidants ont témoigné auprès d’Hélène Rossinot de la « brutalité de la sortie, de la difficulté voire de l'impossibilité de s'organiser en amont ». La raison évoquée de cette sortie expéditive étant le manque de lit.
Ce problème récurrent concerne également les soignants qui perdent un temps fou à essayer de trouver un autre lit dans un autre service ou hôpital, au lieu de s’occuper d’autres patients.
Hélène Rossinot préconise de s’inspirer de l’Italie, dont les hôpitaux ont transmis la gestion des lits à un service spécial qui ne s’occupe que de cela. Soulageant de fait soignants et patients.
Créer des centres de ressources dédiés aux aidants.
Actuellement, pour soulager la fatigue des aidants, deux structures permettent d’accueillir temporairement les patients : l’hôpital de jour (HDJ), et l’accueil de jour (ADJ). Là encore, ces solutions sont insuffisantes et ne concernent pas tout le monde.
A nouveau, le Dr Rossinot propose de s’inspirer de l’étranger. En particulier de Taïwan qui a ouvert en 2020 plus de 80 centres de ressources dédiés aux aidants. Ils peuvent y trouver un soutien psychologique, social, ainsi que des programmes d'éducation et d'apprentissage en soin.
Faire des EHPAD et maisons de retraite de vrais lieux de vie conviviaux.
Ces propositions posées, Hélène Rossinot affirme que l’Etat ou l’hôpital, seuls, ne suffisent pas pour asseoir la reconnaissance des aidants et assurer l’évolution des mentalités. L’entreprise, également, a son rôle à jouer.
Et plutôt que de l’ignorer, il semble avantageux pour elles de prendre le sujet à bras le corps.
C’est du moins ce qu’une étude de 2011 réalisée conjointement par l’institut MetLife Mature Market Group, la National Alliance of Caregiving et l’université de Pittsburg, laisse apparaître.
L’étude estime que le coût des soins informels entraîne pour les entreprises américaines une perte de productivité oscillant entre 17,1 et 33 milliards de dollars par an. Ces pertes sont la conséquence de l’absentéisme, du remplacement des employés et des ajustements des journées de travail.
Selon les chercheurs, les entreprises auraient beaucoup à gagner en proposant des conditions de travail flexibles, permettant de combiner travail et soin. Elles auraient comme avantage de conserver les employés expérimentés, d’améliorer leur moral et de consolider leur engagement, en plus d’attirer un plus grand nombre de travailleurs qualifiés.
Pour leur bien, comme pour celui du plus grand nombre, les entreprises ont donc tout intérêt à reconnaître l’importance du rôle des aidants.
Cela est d’autant plus nécessaire que tôt ou tard, que l’on soit chef d’entreprise ou salarié, nous serons tous soit des aidants, des aidés, ou bien l’un et l’autre.
Source : Dr Hélène Rossinot, Aidants ces invisibles, éditions de l’Observatoire, 2019
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