Aussi effrayante que bien connue, la maladie d’Alzheimer touche aujourd’hui 900 000 personnes en France, et encore bien davantage si nous comptons les proches qui vivent, accompagnent et prennent soin des malades. Car l’Alzheimer, baptisée du nom du Dr Alois Alzheimer qui l’a décrite en 1906, est bien une maladie et non pas la conséquence d’un vieillissement naturel.
Autrefois maladie qualifiée de démence, ce terme trop proche de celui de la folie, est remplacé par celui de troubles neurocognitifs majeurs. Ce nouveau nom est la description exacte de ce qu’il se passe dans le cerveau du malade, à savoir une altération suivie d’une disparition progressive des neurones.
Les premiers neurones touchés se trouvent dans la région de la mémorisation des informations immédiates, puis les lésions se répandent vers des régions du cerveau en charge des autres fonctions cognitives (raisonnement, mémoire, langage, concentration, communication, interaction, orientation temporelle et spatiale etc.).
Ainsi, associer l’Alzheimer à une perte de mémoire n’est vrai qu’au premier stade de la maladie. Au fur et à mesure, l’état cognitif se dégrade et au bout d’une dizaine d’années (suivant les cas de chacun), le malade perd sa personnalité, son autonomie et la capacité d’échanger avec le monde et les autres.
Pour nous aider à reconnaître les signes précurseurs d’Alzheimer, soutenir son proche et se protéger au mieux de cette maladie, le Dr Bernard Croisile, neurologue des hôpitaux et docteur en neurosciences, donne de précieux conseils dans son ouvrage « Accompagner la maladie d’Alzheimer » publié aux éditions Larousse.
Le facteur génétique
S’il n’existe aucune mesure de protection efficace à 100 % contre l’émergence de la maladie d’Alzheimer, quelques principes simples et bien connus permettent de réduire les facteurs de risque et de gagner quelques années.
Parmi les risques, il est à noter que la génétique n’en est pas un. Ou presque, car si le risque n’est pas nul, il est en revanche extrêmement rare. Sur le presque 1 million de malades d’Alzheimer, seul un millier de cas est dû à l’hérédité.
Hérédité dont on sait grâce à l’épigénétique qu’elle est fortement influencée par l’état d’esprit et le mode de vie, qui restent les facteurs de risques majeurs pour développer la maladie d’Alzheimer.
Les principaux facteurs de risque (et donc de protection)
-
Les facteurs de risque cardiovasculaire
L’hypertension artérielle, le diabète, le cholestérol, le surpoids, le tabac et la sédentarité ne font pas que le nid des maladies cardiovasculaires, elles le font également pour les troubles neurocognitifs comme les démences vasculaires (les vaisseaux cérébraux n’arrivent plus à faire circuler correctement le sang dans le cerveau) et la maladie d’Alzheimer.
Le cerveau n’est pas différent d’un muscle et pour qu’il soit fort et en pleine forme, il doit être sollicité. Toutes les activités intellectuelles et sociales permettent d’aller dans ce sens : lire, se cultiver, s’informer, faire des jeux de société ou d’énigmes, jardiner, bricoler, voyager, entretenir un réseau social. Récemment, la méditation a été reconnue comme un des sports préférés du cerveau.
Comme l’explique très simplement le Dr Croisile : « L'explication est double, d'une part les dépressifs n'entretiennent pas un réseau social et des activités stimulantes, d'autre part, le stress permanent subi lors d'une dépression chronique fragiliserait l'hippocampe et le rendrait plus sensible aux lésions d'une maladie d'Alzheimer. »
Au final, en matière de prévention, Alzheimer ne se distingue pas des autres maladies, car elle implique de « bien manger, bien bouger, bien penser », et s’astreindre à vivre pleinement et consciemment. Ce qui implique que les problèmes et épreuves rencontrés, qu’ils soient d’ordre matériel ou affectif, doivent être affrontés, et non niés ou refoulés.
Comment accompagner la maladie d’Alzheimer ?
Les premiers signes de reconnaissance
En vieillissant, le corps s’érode et il est normal de rencontrer quelques oublis et inattentions. Heureusement, faire la différence entre ce qui relève du vieillissement naturel et de l’Alzheimer est assez facile :
- Comme indiqué plus haut, les premiers neurones touchés sont issus de la région de la mémoire immédiate. Les oublis préoccupants sont donc ceux où on ne se souvient plus de ce qui a été dit 2 minutes avant, la direction sur un trajet quotidien, les noms et prénoms des proches. Ne plus se souvenir du prénom d’un ancien collègue ou de l’endroit où on a posé ses clés, est loin d’être grave.
- L’autre différence est dans la relation à l’oubli. La personne qui fait des oublis anodins s’en aperçoit en maugréant un « je perds complètement la tête ». Alors que la personne atteint de la maladie d’Alzheimer va nier ou sous-estimer ses oublis et moments d’inattention.
Pour prendre soin d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer, il n’y a bien sûr pas de solution unique. Tout dépend du stade de la maladie, ainsi que des paramètres affectifs, matériels et médicaux.
Dans le cas où on souhaite s’occuper de son parent ou de son conjoint tant que cela est encore possible, quelques clés et comportements sont à privilégier.
Les bons réflexes à adopter
Au fur et à mesure que la maladie progresse, des troubles du comportement ont lieu : des moments d’inattention et d’incompréhension récurrents, des fugues, des certitudes délirantes (par exemple, celle qu’un proche décédé soit encore en vie), des discours incohérents, un désintérêt pour les activités quotidiennes (jardinage, courses, lecture etc.), une désorientation spatiale et temporelle, et une agressivité verbale, voire même gestuelle.
Face à ces états perturbants, il faut savoir rester calme, rassurant et adopter des stratégies pour détourner l’attention ou créer une distraction. Par exemple, quand un malade veut partir de chez lui, la force ou l’appel à la raison sont caduques, le mieux est de détourner son attention. Une stratégie efficace puisque de toute façon, au bout de quelques minutes, il a complètement oublié son projet de fugue.
Le calme passe également dans une communication adaptée :
- Le débit doit être lent, chaque mot articulé. Pour être sûr d’avoir son attention, le toucher est une bonne idée.
- Si jamais, votre proche évoque un parent décédé, plutôt que de le confronter, aller dans son sens en lui demandant de vous raconter une anecdote ou une histoire liée à la personne.
- Laisser lui le temps de trouver ses mots et d’exprimer sa réponse. Inutile de l’interrompre ou de devancer sa réponse au risque (involontaire) de l’humilier et de l’énerver.
Penser enfin à sécuriser au maximum la maison pour éviter tout accident ou blessure :
- Mettre hors de portée les objets fragiles ou substances dangereuses (produits d’entretien et médicaments)
- Verrouiller les tiroirs en rangeant les clés dans un endroit inaccessible.
- Réduire les bruits de fond de radio et de télévision qui entravent la concentration.
- Remplacer la baignoire par la douche.
Le quotidien du malade
Au début, tant que la maladie en est au premier stade, on peut encore faire beaucoup de choses. L’idéal étant d’instaurer une routine structurée découpée en séances d’activité courtes (de 15-30min) permettant à la fois de stimuler l’esprit, réduire l’anxiété et l’agressivité :
- Les tâches ménagères simples qui ont le double avantage de maintenir l’estime de soi en se rendant utile, et la mémoire des gestes quotidiens familiers.
- Garder les loisirs plaisants. Au début, la mémoire du passé n’est pas atteinte et reste active longtemps.
- Entretenir le passé personnel de la personne en recevant des amis ou en feuilletant des albums photos.
- Faire des promenades, bénéfiques tant pour l’esprit, le corps que le sommeil.
A propos des promenades, est-il possible de conduire quand on a la maladie d’Alzheimer ? Là encore, c’est une question de stade d’évolution. Au début, il n’y aura pas de problème jusqu’à ce que des signes révélateurs indiquent qu’il va falloir y renoncer :
- Vitesse de conduite trop rapide ou lente
- Longue hésitation pour trouver son chemin ou réagir
- Perte dans les chemins familiers.
- Confusion dans les gestes simples (se tromper dans le choix du clignotant ou de pédales)
- Eraflures trop fréquentes
Le rôle surprenant des enfants et des animaux
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les enfants et les animaux sont très perspicaces et sentent quand leur grand-parent ou leur maître n’est plus le même.
Les enfants se montrent volontiers disponibles pour s’occuper du grand-parent malade en jardinant, jouant ou se promenant avec lui. Ce faisant, ils soulagent aussi leur autre grand-parent en lui octroyant quelques heures de répit.
Les animaux, chats et chiens, sentent également quand leur maître ou maîtresse n’est plus le même, et eux aussi peuvent devenir des aidants efficaces.
Par exemple, on peut faire confiance au chien de famille pour accompagner son maître en promenade. Si jamais celui-ci se perd, le chien, lui, sait retrouver son chemin. Comme nous, les animaux sont aussi des êtres d’habitude.
Les chats, enfin, se transforment en petits infirmiers en collant leurs maîtres. La fille d’une patiente du Dr Croisile raconte que le chat dormait avec sa maîtresse à ses pieds quand elle allait bien, et près de sa tête quand ce n’était pas le cas. Ce qui permettait à la fille de la patiente de savoir dans quel état était sa mère à son réveil.
Ce phénomène n’est évidemment pas systématique, tout dépend de la relation de l’animal avec l’homme ou la femme avant que la maladie n’apparaisse.
Quoiqu’il en soit, il ne faut renier aucune stratégie. S’occuper d’un conjoint ou d’un parent atteint de la maladie d’Alzheimer est source de stress et d’épuisement car il faut être vigilant à chaque instant. Pour éviter de s’effondrer, il est donc impératif de respecter ses limites et de prendre soin de soi.
Comment l’aidant peut-il se faire aider ?
Les prises en charge partielle
Pour assurer un maintien à domicile sans danger pour soi, il est vital de prendre du répit et de trouver des aides auprès des différents professionnels de la santé (médecins, auxiliaires médicaux, assistantes sociales de la commune ou du département).
Les MAIA, des structures destinées à coordonner la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, et l’association France Alzheimer peuvent également donner de précieux conseils et solutions.
Enfin des structures permettent de prendre en charge partiellement les malades :
- L'hôpital de jour (HDJ), une structure médicalisée multidisciplinaire et financée par l'assurance maladie. Elle accueille des patients une à trois fois par semaine pour leur proposer des soins et des activités adaptés pour une durée de 6 mois.
- L'accueil de jour (ADJ), une structure privée qui accueille des patients une à trois fois par semaine dans le cadre d'animations. L’APA (allocation personnalisée d’autonomie à domicile) prend en charge une partie du coût de l’ADJ ainsi que celui du transport.
Accepter l’inéluctable
Mais tôt ou tard la prise en charge partielle et le maintien à domicile ne sera pas plus possible, seul restera le placement dans une institution spécialisée.
Tant la prise de décision que les premières semaines ne sont faciles pour personne. Le conjoint et la famille culpabilisent, quand le patient se montre irritable et rebelle au changement. Mais l’inéluctable est là.
Pour faciliter la transition, il est conseillé de ne pas rendre visite à son proche les premiers jours de son installation. Passées les premières semaines d’adaptation à son nouvel environnement, cela ira mieux. Et au regard de l’avancée de la maladie, les proches se rendent compte qu’il n’y avait pas d’autres solutions possibles.
C’est une grande souffrance pour la famille de voir un être aimé ne leur sembler plus être qu’une coquille vide. Enfin pas totalement, car le malade reste sensible aux mots doux, bisous et gestes tendres. L’essentiel ne disparaît qu’à la toute fin.
Source : Dr Bernard Croisile, Accompagner la maladie d’Alzheimer, éditions Larousse, 2021 maladie d’Alzheimer