La pensée, comme le reste, est soumise à la loi de l’équilibre. S’il est connu que peu penser nuise à notre bien-être, il en est de même quand on pense trop.
Ce phénomène est beaucoup plus préoccupant et fréquent qu’on ne le pense.
Susan Nolen-Hoeksema, éminente professeure de psychologie récompensée pour ses recherches sur la dépression et les questions de genre s’est intéressée à ce phénomène. Elle l’a nommé l’overthinking, ce qui est l’équivalent du ressassement mental en bon français.
Pourquoi est-il si facile de céder à l’overthinking? Tout simplement parce que notre cerveau facilite le processus.
Gordon Bower, psychologue à l’Université de Stanford a démontré dans les années 2000 que nos réseaux de pensées sont liés à nos émotions.
Dès qu’il m’arrive de culpabiliser et de me dévaloriser à la suite d’’une remarque cassante de mon patron, mon cerveau réagit immédiatement. Il soulève immédiatement une vanne de pensées amères associées à mon état d’esprit du moment. Cela peut être une prise de poids ou les disputes avec ma mère.
Le problème étant que plus on ressasse, plus on stimule nos réseaux de pensées et plus on resserre les liens entre eux. Autrement dit, au moindre évènement où je vais être mis en situation délicate, je vais repenser à mon poids et à ma mère.
La population concernée par l’overthinking sont appelées par Susan Nolen-Hoeksema les overthinkers. Parmi eux, on distingue deux profils.
Quels sont les deux profils d’overthinker?
L’overthinker colérique
Leur overthinking est nourri de sentiment d’injustice de la vie, ils ont une conscience aigüe des torts et négligences qu’ils ont connu enfant. Ils estiment qu’ils méritent réparation et vengeance.
Exemple: «Ils ont rejeté ma demande d’inscription à l’université. Comment osent-ils? Je suis bien meilleure que la majorité des gens. Je parie qu’ils ne prennent que des enfants des anciens élèves même s’ils moins bons. J’ai travaillé dur, je le mérite. Ca ne va pas se passer comme ça, je vais tous les attaquer en justice».
L’overthinker dépressif
Quant à eux, ils ressassent toutes les fois où ils ont commis des erreurs et entretiennent un sentiment de culpabilité et de tristesse constant.
Exemple: «Je n’arrive plus à supporter la pression au bureau. Ils vont finir par me virer et ça sera entièrement de ma faute. Mon mari a un voyage d’affaires, je vais être encore seule avec les enfants. Il part trop souvent d’ailleurs, il ne pense qu’à son
travail et jamais à nous. Mais je n’ose rien dire, j’ai peur qu’il me dise qu’il ne m’aime plus. Je sais plus quoi faire».
Les overthinkers ne ruminent pas par plaisir, et il leur est difficile de
lâcher-prise.
Dans son enquête Susan Nolen-Hoeksema a réuni 1300 personnes choisies au hasard. Elle a pu constater que 63 % des jeunes adultes et 52 % des gens d’âge moyen peuvent être considérées comme des overthinkers.
Les premières concernées restant les femmes, qui sont deux fois plus nombreuses que les hommes à connaître des épisodes dépressifs, sévères ou légers.
Pourquoi les femmes ressassent plus que les hommes?
Si les femmes sont plus dépressives ou sujettes à l’overthinking que les hommes, c’est pour des raisons biologiques, sociales et psychologiques.
Même si les
femmes ont gagné en liberté , elles ne bénéficient pas de la même sécurité et confort que les hommes.
Elles ont beau avoir des postes plus prestigieux qu’à une époque, elles ne sont pas épargnées. La différence salariale, la discrimination professionnelle ainsi que les agressions sexuelles sont encore monnaie courante.
À la maison, elles assument encore seule l’organisation du foyer et la charge des enfants. Résultat des courses: le titre de
Wonder Woman s’accompagne souvent d’une sévère migraine.
Par ailleurs, l’auteure soulève un problème d’éducation.
Aux petits garçons, il est plutôt recommandé de ne pas pleurer, et donc de ne pas montrer sa vulnérabilité et les sentiments négatifs qui l’accompagnent. Ainsi, ils apprennent très tôt à contrôler leurs émotions et à les taire surtout. Ce qui est exactement le contraire pour les petites filles qui sont autorisées à pouvoir pleurer. Elles peuvent s’épancher à loisir sur leurs pensées négatives et sont même plutôt encourager à le faire.
On notera toutefois que les formes d’éducation évoluent aujourd’hui. Les parents aspirent à donner la même éducation et les mêmes
valeurs aux filles et aux garçons.
Pourquoi les jeunes ressassent plus que les seniors?
Pour comprendre pourquoi la boîte crânienne des jeunes (femmes et hommes inclus) chauffe plus que celle de leurs séniors, il faut s’intéresser aux deux situations.
La génération née dans les années 1940-50 a connu la guerre,
le deuil, la faim, mais elle a également connu les Trente glorieuses.
Les seniors ont pu grandir et vivre dans un monde qui avait du sens et une direction: celle de passer de la misère à l’opulence. Ce qu’ils ont pu connaître grâce à l’essor de la grande distribution dans les années 1960 et avoir des conditions de vie exceptionnelles.
Dans un monde qui va bien, on a toujours plus foi et d’espoir dans la vie et l’avenir. Or ce monde plein d’espoir, aucun jeune et adulte d’âge moyen ne l’a connu. Dès notre naissance, nous n’avons jamais rien entendu parler d’autre que de chômage, d’inflation, de fracture sociale, de biodiversité etc. Aujourd’hui,
la peur du futur est devenue un motif de consultation auprès des psychologues.
Pour couronner le malaise, Susan Nolen-Hoeksema note que les
sociétés occidentales n’ont plus de valeurs sociales fortes qui viendraient contrebalancer les valeurs hédonistes et individualistes. Ce qui nous poussent à croire que nous vivons seuls et que tout nous est dû (oubliant que la frustration fait partie de la vie).
C’est ce manque de valeurs et de sens qui pousse une partie de la jeunesse dans les bras des extrémistes, religieux ou politiques.
Tout comme les femmes, les jeunes ont la liberté sans la sérénité. Il sont donc plus sujets au manque de confiance et de
sécurité intérieure, au
stress chronique et à l’overthinking que les autres.
Comment arrêter de ressasser en 3 étapes?
Mettre le cerveau en mode off
La première étape est simple: quand vous vous surprenez à ressasser, criez «stoop» dans votre tête et distrayez-vous.
Selon l’expérience de Susan Nolen-Hoeksema, il suffit d’un instant de distraction de 8min pour briser la danse des pensées négatives et retrouver sa bonne humeur. Cela peut être de faire du ménage, du jogging, mettre une série, lire un livre etc.
Voici d’autres astuces pour quitter l’overthinking:
- Écrire sur son poignet « Stop » ou mettre un panneau « stop » sur le fond d’écran de son téléphone.
- Écrire ses pensées est une façon de purger son cerveau. Les problèmes deviennent de simples repères sur une feuille de papier. À la relecture, on repère ceux qui sont dérisoires, inconsistants, on se rend compte aussi des importants.
- Se créer des émotions positives en jouant avecla méthode Coué. aller chez le coiffeur, se faire un bon livre, rechercher les aspects positifs de la situation, un grand secret de la résilience .
Prendre de la hauteur
- Arrêter de comparer sa vie et sa situation à celle des autres.
- Apprendre à accepter ses sentiments négatifs comme sa peine et sa tristesse.
- Accepter les incertitudes. Avant de se lancer dans l’action, on veut souvent avoir les certitudes que cela marchera. C’est une tendance naturelle, que nous surmontons tous mais pas les overthinkers. Ils continuent à réfléchir à leur projet et désir et restent dans l’indécision.
- Apprendre à écouter son intuition.
Limiter les risques d’overthinking
- Éviter de s’impliquer dans des situations qui vont exciter notre mental. Si le moindre contact avec un parent ou un ami est conflictuel, coupez court ou espacez vos appels. Si devenir manager vous met trop de pression, au risque de faire un burn-out, il vaut mieux décliner l’offre, même si elle est alléchante.
- Soyez cool avec vous-même. Vivez le maximum d’émotions positives pour renforcer votre estime et confiance en vos capacités.
- Si vous êtes convaincu que vous avez échoué sur toute la ligne (un mariage ou une mauvaise orientation professionnelle que vous regrettez), arrêtez-vous un instant. Aucun de nos choix de vie ou de trajectoire n’est anodin, ils sont toujours le fruit du conditionnement que nous avons eu. Remettez du sens dans votre histoire, cela vous permettra de comprendre vos automatismes, vos peurs, vos choix «conditionnés».
Tant que nous ne sortirons pas
des pièges du mental on ne fera jamais ce qu’on veut, mais juste ce qu’on peut. Il est important de le comprendre pour éviter de nourrir des sentiments négatifs envers nous-mêmes, et envers les autres.
Source : Susan Nolen-Hoeksema, Ces femmes qui pensent trop, éditions Leduc.S, 2018