Par Instinct de Nathalie Marchak : un film social et...
Publié le 24/10/2017, mis à jour le 30/10/2024
Choses à savoir culture générale
Par Instinct de Nathalie Marchak : un film social et humanitaire
9 min de lecture
Un film bouleversant et engagé
Nous avons été invitées à aller voir le premier film de Nathalie Marchak, Par instinct (au cinéma le 15 novembre), et autant dire qu’on a été scotchées. Par l’histoire d’abord. Nous suivons les parcours de deux femmes, à priori diamétralement opposés. La première, incarnée par Alexandra Lamy (qui confirme qu’elle excelle dans les rôles dramatiques), est une Française d’une quarantaine d’années, épanouie dans sa vie professionnelle et dans son couple, mais en mal d’enfant. La seconde, une Nigériane d’à peine vingt ans ( Sonja Wanda) , connait le sort tragique d’être vendue par sa famille à un réseau de prostitution, qui l’amènera en Europe. Au cours de son calvaire, elle tombe enceinte malgré elle, et accouche d’une petite fille à Tanger. C’est dans cette même ville, au nord du Maroc, entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne, que les destins des deux femmes se croiseront.
Par Instinct est surtout un film « complet ». En plus de la trame principale, des personnages et de la justesse de leur relation, le film aborde plusieurs sujets de société qui nous touchent. La maternité tardive, le désir d’enfant, les cercles de prostitutions, le consensus général qui voit, qui sait, qui fait avec, parce que conscient que c’est un système qui repose sur une misère économique. Un premier film bouleversant qui nous a donné envie de rencontrer sa réalisatrice, Nathalie Marchak.
Entretien avec la réalisatrice Nathalie Marchak
Le parcours de Nathalie Marchak
Il s’agit de ton premier film, est ce que tu as toujours voulu être réalisatrice ?
Nathalie Marchak : Cela ne vient pas de ma famille, personne n’avait fait de cinéma avant moi. Dans ma famille, on aurait préféré que je devienne médecin ou avocat. C’est donc une envie sortie de nulle part, même si j’aimais beaucoup écrire, et que j’ai toujours aimé et voulu raconter des histoires. Mon désir de mettre en scène, d’être réalisatrice s’est affirmé sur le tournage d’un film de Claude Lelouch, où j’avais un petit rôle. En regardant Claude Lelouch travailler, je me disais que j’avais envie de faire ce qu’il faisait, lui. L’acteur, aussi génial soit-il, est un instrument, mais quand tu es metteur en scène, tu es le chef d’orchestre.
Comment es-tu devenu « chef d’orchestre » ?
Nathalie Marchak : Il y a eu une rencontre avec Cédric Klapisch, à qui j’ai confié mon envie de mettre en scène. Il savait que j’étais anglophone et m’a conseillé d’aller à New York dans une école de cinéma. J’ai donc envoyé un dossier là-bas, et j’y ai été admise. Même si j’ai adoré cette expérience, j’étais consciente qu’une école de cinéma ne garantissait pas de bosser après. C’est compliqué de gagner sa vie dans ce milieu. En rentrant en France, j’ai bossé un peu en tant que directrice artistique, puis j’ai enchainé les boulots, mais ça ne payait pas. J’ai refait un séjour aux USA, et je suis revenue en France, pour trouver un travail dans la production, pour gagner ma vie le temps d’aboutir mon scénario.
La génèse de “Par instinct”
Comment t’est venue l’idée de ce scénario ?
Nathalie Marchak : Ce film est né à partir de mon envie de raconter une histoire. Celle du film est un peu au carrefour de mon histoire familial. Nous sommes des immigrés de la 3ème génération, mes grands-parents ont traversé l’Europe de l’Est après la Seconde Guerre Mondiale pour entrer en France de façon clandestine. Ma grand-mère me racontait leur périple, leur longue marche, tenant ma mère dans ses bras, évitant les policiers, traversant les lacs à guet…Un jour, je suis tombée complétement par hasard sur un article qui racontait le périple de ces femmes africaines, qui traversaient le continent pour aller en Europe. Alors que je n’avais pas grand-chose de commun avec ces femmes, cet article a fait écho en moi, parce que j’ai pris conscience que ces femmes vivent aujourd’hui ce que ma grand-mère a vécu à l’époque.
J’ai contacté la journaliste qui avait écrit l’article. Elle a refusé de me parler au téléphone, me disant que si ça m’intéressait, je n’avais qu’à venir la voir à Tanger. J’ai réfléchi une journée et j’ai décidé d’y aller. J’ai pris un billet de bus Paris- Algésiras, le Ferry et, enfin, Tanger. Finalement je vois la journaliste, qui ne doutant plus de ma sincérité, m’a emmené voir certains clandestins. Puis, en marchant avec elle, je rencontre une femme, une Nigériane, qui m’emmène dans une petite maison rose, que l’on voit dans le films, où les filles sont mises en quarantaine.
Au début je ne comprenais pas ce qu’étaient ces maisons ni ce que ces femmes faisaient là. Je voyais bien que des hommes venaient « se servir ». A un moment, je sors une caméra pour les filmer et les filles commencent à danser en espérant devenir célèbres en Europe. Je décide de ranger la caméra, et de rester avec elles pendant un mois, parce que je sentais qu’il y avait un mystère, un non-dit autour de leur présence dans cette maison. Je comprends au fur et à mesure des jours qui passent, que ces filles font partie d’un genre de trafic d’êtres humains. Un jour, l’une de ces femmes me tend son bébé dans les bras en me disant « prends-le ». Je comprenais son geste, mais j’avais 24 ans à l’époque, je ne me sentais pas du tout capable de prendre un enfant, en plus illégalement, mais je me suis toujours demandé ce qui se serait passé si j’avais eu 40 ans et si je n’avais pas eu d’enfant ?
Le coeur du film
Pourquoi opposer la réalité d’une femme de 40 ans en mal d’enfant à celle d’une femme de 18 ans qui devient mère suite à un viol ?
Nathalie Marchak : Je ne les oppose pas, pour moi ces femmes sont le revers d’une même médaille à propos de l’enfant. Lucie, 40 ans, qui est dans un désir absolu d’enfant à ce moment-là, est confrontée à la difficulté d’en avoir un. La jeune fille, par contre, n’est pas dans le désir mais dans la peur de l’enfant. Elle est confrontée à autre chose. Ce que je voulais aussi dire, dans ce film, c’est que malgré les différences d’âge, de culture, de situation etc…, ce qui rassemble ces femmes, c’est la maternité. Entre ces deux femmes, il y a une connivence, un dialogue muet, qui est de l’ordre de l’instinct. Elles vont aller l’une vers l’autre par instinct.
C’est cet instinct qui a donné le titre de ton film ?
Nathalie Marchak : Bien sûr il y a l’instinct maternel, mais au-delà de ça il y a surtout l’instinct de survie, qui ne concerne pas que Lucie et Beauty. Tous les personnages sont dans cet instinct de survie, y compris ceux qui exploitent ces filles. Je ne juge aucun des personnages. Je pense qu’ils sont pris dans un système, et c’est extrêmement compliqué pour eux de s’en sortir. Tout le monde n’agit plus que par l’instinct. Et il n’y a pas toujours quelque chose de positif dans l’instinct. C’est très primaire, très animal. Est-ce qu’il ne faudrait pas, justement, mettre de la civilisation dans ses systèmes qui sont bestiaux et primaires ?
Un film social et humanitaire
Dans ce film tu traites à la fois de la prostitution, de la migration et des femmes en mal d’enfants… Quel est le message que tu souhaites transmettre ?
Nathalie Marchak : Ce que je voudrais réussir à dire à travers ce film, c’est qu’il ne faut pas tout mélanger. Beaucoup d’amalgames sont faits par rapport aux migrants. Dans le film, je ne parle pas de migrants, je parle de femmes victimes de violences, qui se retrouvent dans ses trajets migratoires, mais qui n’ont pas choisi d’être là. Ce que je montre dans le film est tiré de mon expérience, de la réalité. Certains médias africains m’ont même dit que j’étais en deçà, mais je voulais un film porteur d’espoir.
Pour revenir à ces femmes, j’aimerais, grâce au film, que les gens qui les croisent sur les boulevards comprennent un peu d’où elles viennent, et qu’ils aient conscience que cette situation, elles ne l’ont pas voulu. Aujourd’hui, le problème c’est qu’on met tous les migrants dans le même sac, or il n’y a pas que des réfugiés économiques et je pense que l’on devrait pouvoir être capable de faire des différences suivant les situations. Je ne suis pas une femme politique, mais de mon point de vue personnel, il faudrait mettre en place une vraie politique de répression contre les passeurs, qui sont les grands profiteurs de ce système, parce que rien n’est régulé et qu’il y a un gros marché noir de l’immigration.
Le plus important, c’est de dire à travers mon film que ces filles sont les plus grandes victimes de ce système, elles qui sont vendues par leur famille, pour des raisons économiques, et qui finissent chez nous prostitués et escalves. Cela ne devrait pas être acceptable aujourd’hui dans notre pays. Une dernière chose que je souhaiterais souligner par rapport à ce sujet, c’est que la prostitution n’est pas un mal nécessaire.
La plupart des femmes qui se prostituent aujourd’hui, dont les Nigérianes, sont forcées et contraintes.
Il y a eu un arrêt de la cour nationale du droit d’asile rendu le 30 mars 2017 pour une de ces femmes nigérianes, qui a obtenu un statut réfugié car elle était victime de violences, ici, et que la cour savait qu’elle était susceptible d’être aussi victime de violences ou d’être tuée, à titre d’exemple, si elle rentrait au Nigéria. Donc nous commençons à prendre conscience du sort de ces femmes, alors pourquoi nous ne les protégeons pas plus ?
Le choix du casting
Pourquoi Alexandra Lamy ? Comment s’est faite la rencontre ?
Nathalie Marchak : Une rencontre incroyable ! Je l’ai rencontré par hasard, à une masterclass d’écriture de scénario, alors que je devais la voir deux semaines plus tard pour lui proposer d’être la marraine de l’association humanitaire de mon mari « Face au monde ». On a sympathisé, passé 3 jours ensemble, et je lui parle du scénario que j’ai écrit. Elle souhaite le lire, et revient vers moi en me disant qu’elle adore. Comme je n’avais pas de producteur, je ne pensais pas lui proposer tout de suite. Finalement je trouve un producteur et Alexandra Lamy accepte le rôle de Lucie. Ça s’est fait très vite au final. Mais ça ne s’est pas passé aussi facilement, enfin de compte. Le film a été compliqué à financer, parce qu’il ne rentrait pas dans des cases : il y a de l’aventure, mais il traite aussi de sujets de fond. L’autre problème, c’est qu’au début du financement du film, Alexandra Lamy était très populaire pour les comédies, mais pas encore dans le drame.
Du coup, je l’appelle, la mort dans l’âme pour lui expliquer la situation. Avec intelligence et classe, elle me dit de faire mon film, et que je l’appellerais peut être après, au dernier moment. C’était Audrey Fleurot qui devait jouer le rôle de Lucie, mais elle venait d’avoir un bébé et elle ne le sentait pas de venir au Maroc avec son jeune enfant. Du coup, je rappelle Alexandre Lamy qui me rétorque un « tu vois je te l’avais dit ! ». Entre temps, elle avait réussi à convaincre les financiers grâce à un téléfilm de TF1 « Après moi le bonheur », où elle joue le rôle d’une femme atteinte du cancer, qui avait réuni 9 Millions de téléspectateurs et la série thriller adaptée de Harlan Coben « Une chance de trop » qui a aussi réuni 9 millions de téléspectateurs. Elle avait prouvé que le public la suivait même si elle ne fait pas de la comédie. C’est une actrice extraordinaire, et pour moi, l’une des plus grandes d’aujourd’hui.
Et l’actrice qui joue Beauty, Sonja Wanda, comment l’as-tu choisie ?
Nathalie Marchak : Elle n’était pas actrice avant de faire le film, c’est la première fois qu’elle joue. J’ai fait au début un casting au Nigéria, en pensant trouver une actrice nigériane. Sauf qu’au Nigéria, il existe une industrie du cinéma qui s’appelle Nollywood, et leurs acteurs apprennent à jouer en forçant le trait. Ce n’était pas possible. J’ai donc élargi mon champ de recherche, et un ami de la production me parle de Sonja, qui habite en Norvège et qui a fui le Soudan à l’âge de 8 ans avec sa mère. Sonja est mannequin, et elle n’avait jamais joué. On s’est connectées sur Facebook, je lui ai fait passer des essais sur Skype, mais ce n’était pas suffisant, je voulais la voir en vrai. Elle arrive à Paris, je lui fais passer une vraie audition, et pour moi c’était une évidence, que ce serait elle, Beauty.
Ton prochain film ou projet ?
Nathalie Marchak : J’ai acheté les droits du roman Le dernier des nôtres d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre, et je vais en faire une adaptation, et concernant ce projet, je ne dis rien de plus pour l’instant !
On a grande hâte !
Propos recueillis par Amal Dadolle
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous