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Publié le 30/06/2021, mis à jour le 15/06/2022
Sujets d'actualité
Petites et grandes vérités sur le mensonge
L’amour faux du vrai et l’amour vrai du faux
Vérité et sagesse partagent un trait commun et paradoxal. On les désire ardemment, mais on les atteint rarement. Paradoxe que l’on retrouve chez leurs contraires. Mensonge et hubris (démesure, orgueil et outrance), bien que condamnés publiquement et régulièrement, donnent l’impression de n’avoir jamais été aussi présents dans les sociétés humaines.
Cette impression en est bien une, et nourrit une autre illusion qui est celle d’un temps passé où le mensonge et l’hubris étaient peu présents.
Les médiévistes, ceux qui étudient l’histoire médiévale, savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas faire confiance aux écrits des chroniqueurs de cette époque. Sujets royaux avant d’être témoins de l’histoire, ils arrangeaient volontiers la réalité au profit de leur souverain.
La grande différence avec le passé est simplement technologique. La vérité, en fait, n’a jamais intéressé que très peu de personnes et de nations. Parce que la vérité n’a jamais eu beaucoup de poids face à la soif de gloire et de reconnaissance.
Ce désintérêt pour la vérité ne repose-t-il donc que sur un ego insatisfait ? C’est une réponse, mais ce n’est pas la seule comme le détaille le journaliste et humoriste britannique Tom Phillips dans son dernier ouvrage « Bobards ! Une brève histoire des plus gros mensonges » paru aux éditions Vuibert, 2021.
Pourquoi le mensonge l’emporte sur la vérité ?
La paresse et l’œuvre du cerveau
Tom Phillips liste 7 raisons justifiant pourquoi le mensonge a une longueur d’avance sur la vérité :
- La barrière de l’effort d’aller vérifier si les informations sont justes ou non.
- Combler les vides d’information. Quand nous n’avons pas les moyens d’aller vérifier les informations, le cerveau comble cette lacune en nous donnant une explication qui fait sens. Le cerveau est effectivement programmé pour nous rendre le monde intelligible, pas pour nous faire rechercher la vérité.
- S’en foutre. On laisse passer le mensonge parce que défendre la vérité demande trop d’énergie ou parce que cela ne nous intéresse pas. Quelques fois on n’a juste pas envie de discuter avec les cons.
- La boucle de rétroaction des conneries. C’est le fait qu’un mensonge soit tellement rabâché qu’il en devient une vérité.
Nota Bene : quelle est la différence entre le fait de mentir et celui de dire des conneries ? Celui qui dit des conneries se contrefout de la vérité, contrairement au menteur, soucieux de la vérité qu’il connait et cherche à cacher.
L’ego et l’affect
- Vouloir que cela soit vrai. C’est le socle sur lequel repose toutes les croyances et certitudes auxquelles nous sommes attachés. Et le cerveau nous est d’un grand soutien pour les justifier sans faits concrets et réels.
- Le piège de l’ego. Nous n’aimons pas avoir tort. Protéger notre ego de la souffrance prime sur la quête de vérité.
- Le manque d’imagination quand on prend pour acquis ce qu’un proche nous dit. Il ne s’agit pas d’un manque d’effort. C’est une question d’affect et de confiance automatiquement accordée à l’autre, qui anesthésie notre esprit critique.
Les fissures issues de notre cerveau, cœur et ego, expliquent en partie l’empire du mensonge. En partie seulement, car le mensonge possède aussi certaines forces et qualités dont est dépourvue la vérité.
Pourquoi le mensonge est omniprésent ?
Le mensonge, dépouillé de toute préoccupation morale, est un outil utilisé aussi bien par les humains que les animaux, notamment les animaux sociaux.
Que cela soit pour la gamelle, l’accès à une femelle, éviter une correction du mâle dominant ou tout simplement échapper à la mort, le mensonge, la feinte et la ruse sont des stratégies courantes.
Fait intéressant, Tom Phillips rapporte qu’une étude sur les primates avait révélé le lien étroit entre la taille du néocortex (le centre des fonctions cognitives supérieures, du raisonnement et de la créativité) et l’usage du mensonge.
Plus ces animaux ont un gros cerveau, plus ils ont des ressources créatives qui leur permettent de mentir. Ce qui explique pourquoi les humains qui un néocortex surdéveloppé, restent les maîtres en matière d’artifice.
En 2016, Neil Garret, chercheur au département psychologique expérimentale d’University College London, publie une étude dévoilant les conséquences du mensonge sur notre cerveau.
Au départ, le menteur ressent un certain inconfort et mal-être. Dans son cerveau, l’amygdale, en charge de certaines des émotions dont la peur, réagit vivement. Mais au fur et à mesure que les mensonges s’accumulent, l’amygdale réagit beaucoup moins. Ainsi, on ressent moins de mal-être. Il y a, au niveau cérébral, une adaptation émotionnelle qui fait que mentir ne nous fait plus culpabiliser. Et même plus que cela, mentir nous est plus facile et plus naturel.
Le mensonge peut-il être beau ?
Il y a différentes sortes de mensonges. Les petits et gros mensonges, les pieux et impardonnables mensonges. On sait qu’il y a même les bons mensonges, ceux qui ne nous apportent aucun bénéfice, et ont vocation à aider, soutenir, encourager ou sauver un tiers.
Et puis il y a les beaux mensonges qu’affectionne particulièrement Tom Phillips parce qu’au-delà de la motivation de leurs auteurs, ils possèdent un ingrédient qui force le respect et l’admiration : l’audace.
Pour l’illustrer, Tom Phillips évoque l’histoire de la Française Thérèse Humbert.
Au 19ème siècle, cette femme du peuple fit croire à tous qu’elle avait sauvé un riche Américain d’une crise cardiaque. En retour, il modifia son testament et fit d’elle l’héritière d’un coffre-fort contenant des bons du Trésor d’une valeur de 100 millions de francs.
Pour que son mensonge paraisse bien réel, Thérèse usa d’une combine géniale : celle de s’intenter un procès à elle-même. Elle mit ses deux frères dans la confidence en leur faisant jouer le rôle des neveux de l’Américain déshérités et souhaitant réparation. La justice française étant déjà lente à souhait, il s’écoulerait des décennies avant qu’une vraie enquête soit menée. Et en attendant, cela rendrait son histoire plus authentique.
Ainsi, pendant 20 ans, banquiers, usuriers et prêteurs sur gage accordèrent à Thérèse un crédit illimité, convaincus qu’au moment où elle hériterait, ils seraient remboursés. Pendant 20 ans, Thérèse mena une vie de reine.
Jusqu’à ce qu’une négligence dévoile le pot aux roses et aboutisse à une condamnation de 5 ans de travaux forcés.
La fortune sourit aux audacieux, certes, mais elle ne semble rester qu’auprès des plus prudents. Quoiqu’il en soit, le mensonge de Thérèse relève plus du coup de génie culotté que d’une action immorale.
Doit-on renoncer à toute quête de vérité ?
Alors, qu’en est-il de la vérité ? Doit-on y renoncer parce que les obstacles sont trop nombreux ?
Non. La quête de vérité demande en fait d’affronter les 7 avantages du mensonge en combattant notre paresse intellectuelle, en nous méfiant de nos conclusions et raisonnements trop hâtifs, de notre ego chatouilleux et des affirmations de notre propre entourage.
Tout cela ne requiert pas de l’audace, mais du courage.
Audace et courage sont souvent confondus, pourtant il y a bien une différence.
L’audace est la volonté d’arriver à ses fins, qu’importent les obstacles extérieurs et ses principes.
Le courage, quant à lui est une vertu, une décision qui veut que l’on vive en fonction de ses valeurs qu’importent ses faiblesses, peurs et désirs, ainsi que ceux de nos proches et amis. Le courage nous demande de nous confronter à nous-mêmes. C’est exactement cela qu’exige la vérité.
Et puis, notons enfin que le monde est complexe et que notre langage ne sait pas toujours bien saisir cette réalité. Quand on parle de LA vérité, on suppose qu’elle est unique. Or, les recherches scientifiques et en sciences humaines laissent apparaitre une vérité multiple et paradoxale.
Une vérité capable donc de concurrencer le plus inventif des mensonges.
Source : Tom Phillips, « Bobards ! Une brève histoire des plus gros mensonges », éditions Vuibert, 2021
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