“Aujourd’hui, on ouvre une porte rarement franchie, celle des UMD, les Unités pour Malades Difficiles.” C’est ainsi qu’est introduit cet épisode de notre podcast BloomingYou, consacré à un univers méconnu et souvent fantasmé : la psychiatrie médico-légale.
Le Dr Layet a passé vingt années dans ces services ultra-sécurisés. Dans son livre “Au pays des ombres – Voyage au cœur de la folie“ publié aux éditions Mareuil, il témoigne sans filtre d’une réalité complexe : comment tenir une ligne de soins dans des lieux pensés d’abord pour contenir ? Comment rester médecin quand l’administration pèse et que la peur guide parfois les décisions ?
Les Unités pour Malades Difficiles existent depuis les années 1940-1950. Historiquement, quatre établissements accueillaient ces patients dits “difficiles” ou “médico-légaux” :
Ces quatre établissements historiques disposaient de capacités importantes : 180 lits à Sarreguemines, 80 à Montfavet.
Un événement tragique a bouleversé le paysage de la psychiatrie médico-légale française : le drame de Pau en 2003, au cours duquel un patient a décapité deux infirmières.
Suite à ce drame, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, prononce un discours à Antony dénonçant une prise en charge insuffisante des malades difficiles. Cette impulsion politique conduit à l’ouverture de six nouvelles UMD en quelques années, portant le nombre total à dix établissements.
Les nouvelles UMD diffèrent des structures historiques : elles comptent 20 lits ajoutés à des services existants, contre 80 à 180 lits pour les anciennes.
Briser les stigmates : la réalité derrière les préjugés
Un message crucial contre la stigmatisation
Le message que le Dr Layet souhaite faire passer à travers son livre "Au pays des ombres - Voyage au cœur de la folie" est sans ambiguïté : "La maladie mentale, c'est stigmatisé."
Pourtant, la réalité est tout autre : "La plupart des patients qui souffrent de schizophrénie, la grande majorité, 99%, ce sont des victimes de la société." Des personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, qui ont du mal à s'insérer, qui doivent vivre avec une maladie chronique toute leur vie. "Il y a la double peine, la triple peine."
Une réalité statistique méconnue
Le psychiatre rappelle une donnée frappante : "Vous avez plus de chance de mourir atteint par un impact de foudre que tué par un schizophrène dans la rue."
Certes, parmi les patients psychotiques, il existe environ 1% pour lesquels la maladie s'exprime dans le comportement avec des actes transgressifs. Mais cette minorité occupe tout l'espace médiatique : quand un schizophrène commet un passage à l'acte, cela remplit tous les journaux. Quand quelqu'un meurt foudroyé, on n'en entend pas parler.
Cette disproportion médiatique entretient les préjugés et la stigmatisation, rendant encore plus difficile la vie de ceux qui souffrent déjà de cette maladie chronique.
Les facteurs de risque de la schizophrénie : une origine multifactorielle
La prédisposition familiale : un terrain identifié
"Il y a une base, alors je dirais pas génétique, mais une prédisposition familiale", précise le Dr Layet. Chez un patient schizophrène, on observe davantage de cas dans les apparentés du premier degré (parents, frères, sœurs, enfants).
Cette prédisposition constitue le terrain sur lequel viennent se greffer d'autres facteurs déclenchants.
Les addictions : un facteur aggravant majeur
Les addictions représentent un facteur de risque important qui vient se surajouter à la prédisposition familiale dans le développement de la schizophrénie. La consommation de substances psychoactives, notamment à l'adolescence, peut précipiter l'apparition de la maladie chez les personnes vulnérables.
Les traumatismes infantiles : l'impact des blessures précoces
Le Dr Layet insiste particulièrement sur l'importance des traumatismes infantiles dans l'apparition de la schizophrénie :
- Les troubles d'attachement précoces
- Les expériences adverses de l'enfance et de l'adolescence
- La précarité affective
Ces expériences créent une vulnérabilité profonde qui peut se manifester des années plus tard sous forme de troubles psychiatriques graves.
Les facteurs de stress environnementaux
L'environnement joue un rôle déterminant. Les facteurs de stress environnementaux peuvent interagir avec les autres facteurs de risque et contribuer au déclenchement de la maladie.
Les maladies infantiles : un facteur combinatoire méconnu
Un aspect surprenant révélé par le Dr Layet concerne certaines "maladies infantiles assez banales". Ce n'est pas la maladie en elle-même qui pose problème, mais sa survenue chez des enfants déjà fragilisés.
Comme l'explique le psychiatre : "Ce n'est pas ce facteur-là pris tout seul, c'est ce facteur-là combiné à d'autres" qui peut contribuer au développement de la schizophrénie. Une maladie ordinaire survenant chez un enfant en situation de précarité affective peut ainsi devenir un élément déclencheur.
L'interaction des facteurs : un modèle complexe
La schizophrénie ne résulte jamais d'un seul facteur isolé. C'est l'accumulation et la combinaison de plusieurs éléments qui conduisent à l'expression de la maladie :
- Une prédisposition familiale (base)
- Les addictions
- Les traumatismes infantiles et troubles d'attachement
- Les facteurs de stress environnementaux
- Certaines maladies infantiles survenant sur un terrain vulnérable
La prévention : agir sur les facteurs modifiables
Le Dr Layet insiste sur un point essentiel : "On voit qu'il y a un certain nombre de facteurs sur lesquels on peut agir, alors pas la prédisposition, mais les autres on peut agir."
Si la prédisposition familiale ne peut être modifiée, la majorité des autres facteurs de risque sont modifiables. Cela ouvre la voie à de véritables stratégies de prévention :
- La prévention et le traitement des addictions
- La protection de l'enfance contre les traumatismes
- L'amélioration de l'environnement et la réduction du stress
- L'accompagnement des enfants en situation de précarité affective
"C'est un gros boniment en France, mais la prévention", souligne le Dr Layet. En identifiant et en agissant sur les facteurs de risque en amont, on pourrait prévenir un certain nombre de troubles psychiatriques.
Les UMD : soigner dans des lieux conçus pour contenir
Qu'est-ce qu'une UMD ?
Les Unités pour Malades Difficiles sont des services ultra-sécurisés de psychiatrie. Historiquement, quatre UMD existaient en France (Ville-Juif, Montfavet, Sarreguemines, Cadillac). Après le drame de Pau en 2003, six nouvelles UMD ont été créées.
Ces services accueillent des patients qui ont commis des actes graves, souvent sous l'emprise de leur maladie mentale.
La double mission : protéger et soigner
Le Dr Layet et ses équipes font face à une "tension permanente entre deux exigences apparemment contradictoires" :
- Protéger la société
- Soigner des hommes que cette même société rejette
"Entre ces deux pôles, les équipes tissent patiemment des liens, élaborent des protocoles et défendent la dignité" des patients.
Des conditions de soins spécifiques
Contrairement aux idées reçues, "si vous mettez un pied en UMD, vous trouverez jamais un service aussi calme", explique le Dr Layet.
Les UMD offrent des conditions particulières :
- Hospitalisations longues (minimum six mois)
- Personnel volontaire et motivé
- Moyens de soins intensifs
- Programme d'activités thérapeutiques structuré
- Temps disponible pour soigner
L'isolement et la contention : des pratiques questionnées
La chambre d'isolement : "le strict minimum, et c'est souvent trop"
Le Dr Layet décrit une chambre d'isolement : "Absolument rien. Il y a un lit scellé au sol. Les toilettes, c'est un trou dans le béton. Il n'y a rien d'autre. Pas de fenêtre. Rien."
Certains patients passent six mois dans ces conditions, avec seulement deux sorties d'une demi-heure par jour dans une mini-cour.
"Je vous défie de passer plus de deux heures là-dedans", affirme le psychiatre. Cette privation sensorielle peut être catastrophique pour certains patients.
Remettre en question les protocoles
En prenant la direction de l'UMD, le Dr Layet a questionné ces pratiques : "Plus une règle était stupide, plus elle était appliquée à la lettre."
Il a notamment combattu pour que les patients puissent manger avec des couverts plutôt qu'uniquement avec une cuillère, et a proposé de transformer les chambres d'isolement en bibliothèque - une façon provocante de questionner leur utilité.
Résultat : le nombre de jours d'isolement a diminué significativement.
La place du médicament : nettoyer les ordonnances
Les patients arrivant en UMD avaient souvent "7, 8, 9, 10 médicaments", résultat d'une accumulation sans cohérence.
L'UMD permettait de "nettoyer l'ordonnance" : réduire à des prescriptions cohérentes (maximum trois molécules) en développant parallèlement d'autres formes de thérapies :
- Ateliers thérapeutiques
- Entretiens réguliers
- Activités structurées
"Il n'y a pas que les médicaments qui soignent", rappelle le Dr Layet.
La CSM : une "grande messe" qui décide du destin des patients
La Commission de Suivi Médical (CSM) est une instance extérieure qui se réunit mensuellement pour décider si un patient peut quitter l'UMD.
"C'est une instance extérieure qui vient regarder ce qui se passe à l'intérieur", explique le Dr Layet. Pour lui, c'est "très confortable" car cela change l'alliance thérapeutique : médecin et patient travaillent ensemble vers le même objectif.
Mais cette commission peut aussi générer une charge émotionnelle intense. Le Dr Layet raconte le suicide d'un patient après un refus de sortie : "Pour lui, c'était un monde qui s'écroulait."
Des histoires qui bouleversent : Andy et Mamadou
Andy : l'adolescent qui a tout perdu
À 16 ans, Andy tue ses parents et ses deux frères lors d'une nuit inexplicable. Déclaré irresponsable par la justice, il arrive à l'UMD sans pathologie mentale identifiable.
Le Dr Layet l'accompagne pendant des années, lui permettant de poursuivre ses études jusqu'au master. "Aujourd'hui, il est ingénieur, il travaille, mais c'est une histoire que je suis incapable encore aujourd'hui de vous expliquer rationnellement."
La conclusion : comme un accident de voiture grave dont on serait à la fois responsable et victime.
Mamadou Traoré : quand l'origine culturelle complique le diagnostic
Condamné à perpétuité pour des agressions extrêmement graves, Mamadou Traoré présente une histoire complexe mêlant pathologie mentale et origines culturelles.
Né dans des conditions extraordinaires (réanimé par un sorcier Vodou), il porte l'étiquette d'"enfant sacré". "Cette dimension d'ethno-psychiatrie, on n'avait pas la culture pour l'accueillir, pour la comprendre", regrette le Dr Layet.
Le message essentiel : maintenir l'humanité du soin
"Même dans les situations les plus extrêmes, même face à l'incompréhensible, il reste toujours un espace pour le soin, pour le lien, pour l'humain."
Soigner en UMD, c'est parfois simplement "tenir, être là et maintenir le lien, même quand tout semble difficile ou perdu."
Le livre du Dr Layet nous ouvre les portes "d'un monde où les catégories habituelles - bien/mal, sain/fou, victime/bourreau - volent en éclat."
vers une meilleure compréhension
La schizophrénie est une maladie multifactorielle dont les origines sont aujourd'hui mieux comprises. La recherche a identifié plusieurs facteurs de risque modifiables, ouvrant la voie à des stratégies de prévention.
Les points clés à retenir :
- La schizophrénie résulte d'une combinaison de facteurs : prédisposition familiale, addictions, traumatismes infantiles, stress environnemental
- Les facteurs ne doivent pas être pris isolément mais dans leur interaction
- La plupart des facteurs de risque sont modifiables, offrant des perspectives de prévention
- Le soin en psychiatrie nécessite de maintenir l'humanité même dans les situations les plus extrêmes
- 99% des patients schizophrènes sont des victimes, pas des dangers pour la société
Message aux jeunes psychiatres
Le Dr Layet encourage les jeunes psychiatres : "Ils ont bien fait de choisir la psychiatrie. C'est une des spécialités les plus intéressantes où on a accès à ce relationnel au patient, l'essence de la médecine."
Et il promet : "Il y a des moments de grâce dans la psychiatrie. Il y a des moments de grâce, vraiment."
Source : Découvrez 'Au pays des ombres - Voyage au coeur de la folie' du Dr Laurent Layet, publié aux éditions Mareuil