Rencontre avec Nathalie Jovanovic-Floricourt, présidente de l’association DNA PASS.
Savoir d’où l’on vient en tant qu’espèce et individu a toujours fait partie de nos grandes questions existentielles. Cependant, au regard du travail et du temps que demande la réalisation d’un arbre généalogique, seuls les plus passionnés vont au bout de leur curiosité. Mais aujourd’hui, grâce aux tests ADN, connaître ses ancêtres ne demande presqu’aucun effort.
Entre connaissance de soi, de ses origines lointaines et avancées sur les maladies, Nathalie Jovanovic-Floricourt, spécialiste de généalogie générique et co-autrice avec Jean-Louis Beaucarnot de « Quoi de neuf dans la famille ? » a accepté de nous en dire plus sur cette science pleine de promesse et de découverte.
Qu’est-ce que la généalogie génétique ?
Nathalie Jovanovic-Floricourt : C’est la possibilité de retrouver ses ancêtres récents (entre 6 et 10 générations) et archéologiques (-20 000 – 40 000 ans) par un test ADN. On retrouve les ancêtres archéologiques grâce à 2 types d’ADN spécifiques :
Le chromosome Y, transmis de père en fils, donc uniquement accessible aux hommes
L’ADN mitochondrial, qui correspond à l’axe maternel et concerne tout le monde
Pourquoi parle-t-on de généalogie génétique ? Parce qu’on ne va pas retrouver ses ancêtres, mais des cousins génétiques ayant les mêmes parties d’ADN associées à un ancêtre commun.
Pourquoi faire un test de généalogie génétique ?
Quelle est la motivation des 1,5 millions Français de faire un test de généalogie génétique ?
NJF : Les motivations sont diverses. La plus répandue étant une curiosité amusée de connaître ses origines ethniques. Cela ne demande pas beaucoup d’effort. Il suffit d’envoyer un peu de salive et le tour est joué.
Le besoin vital de retrouver ses origines : c’est le cas de ceux qui ont été des enfants adoptés ou nés sous X.
Enfin, on trouve les généalogistes passionnés qui ont besoin de compléter leur arbre généalogique.
Le nom de famille ne suffit pas toujours à retrouver des ancêtres, notamment ceux du 18e et 19e siècle. A cette époque, changer d’identité et refaire une vie au bout du monde sans qu’aucune administration ne vous mette la main dessus était encore possible. Et quand les gens s’installaient dans un nouveau pays, ils n’hésitaient pas à changer ou modifier leur nom de famille pour mieux s’intégrer.
Les porteurs d’un même patronyme sont-ils forcément cousins ?
NJF : Pas du tout, ce serait trop simple ! Par contre, ce qui peut s’avérer exact, c’est qu’on peut avoir des patronymes différents et être relié par le même père. C’est le rôle de la génétique d’intervenir pour apporter ces précisions. Elle permet de créer des liens là où on n’en voyait pas et d’éclairer les faux liens qu’on s’imaginait avoir.
Pourquoi le test génétique est-il interdit en France ?
Paradoxes français
Puis-je faire un test en France ?
NJF : Non, il faut le faire à l’étranger. En France, tout test réalisé par la volonté seule d’un individu est interdit, il faut obligatoirement l’autorisation d’un médecin ou d’un juge. Aller à l’encontre de cette interdiction, c’est risquer une amende 3750€. Cependant, c’est une interdiction en rien, car aucun des 1,5 millions de Français ayant fait un test n’a jamais payé un centime.
Comment expliquez-vous le maintien de l’interdiction du test généalogique génétique en France ?
NJF : Comme une tentative désespérée de repousser l’inéluctable. La France est un des derniers pays au monde à interdire les tests ADN « DTC » (direct to consumer). Deux commissions bioéthiques du Sénat et du Parlement se sont pourtant prononcées en faveur de la légalisation et de l’encadrement de ces tests. Malheureusement, des peurs issues d’une méconnaissance des lois françaises empêchent certains députés et sénateurs d’adopter cette loi.
Lesdites peurs étant que nos données médicales soient utilisées à notre insu. Or, il est inscrit depuis longtemps dans la loi française que l’on n’a pas le droit d’utiliser ces informations. C’est ce qu’on appelle la non-discrimination génétique. Si un assureur veut savoir si vous avez fait un test ADN, il fait de la discrimination et peut être poursuivi et puni pour ça.
Test génétique : mode d’emploi
Si aujourd’hui je veux faire un test génétique, comment je procède ? Quelle est l’offre et comment s’y retrouver ?
NJF : Le plus important est de s’interroger pour bien déterminer ses objectifs. Est-ce qu’on veut connaître ses origines ethniques ? Est-ce qu’on veut retrouver des cousins génétiques quelque part ? Dans tous les cas, en fonction de la zone qui nous intéresse, on va aller vers le laboratoire qui propose le panel ethnique le plus fin de la zone. Si on est un enfant adopté, on n’a pas le choix, il faut faire tous les tests pour se donner le maximum de chance.
Il y a 4 grands laboratoires génétiques à l’étranger et en fonction de ses origines, il faut plutôt choisir :
MyHeritage si on a des origines françaises.
23andMe si on a des origines espagnoles.
Family Tree DNA si on a des origines anglaises, écossaises ou irlandaises.
AncestryDNA si on a des origines américaines.
Il y a des histoires formidables avec ces tests où des familles, des frères, des parents et enfants se retrouvent.
NJF : Ce sont les success-story et on les adore. Mais dans la majorité des cas, on retrouve surtout des cousins éloignés. Si les personnes les plus proches génétiquement ne se sont pas fait tester, le laboratoire n’aura pas les données.
Généalogie génétique et histoire de l’humanité
D’où venons-nous ?
On apprend que la majorité de l’origine des Britanniques est africaine.
NJF : Il n’y a pas que les Britanniques. Nous venons tous d’Afrique, c’est l’une des révélations majeures de la génétique et cela a changé notre vision de l’histoire de l’humanité.
Il faut que nous apprenions à changer notre vocabulaire. Nous avons tous été éduqués avec cette idée qu’il y a des races humaines différentes. Or, la génétique le prouve bien, il n’y a qu’une seule race, c’est l’espèce humaine.
Les chercheurs ont pu reconstituer grâce à l’ADN l’apparence physique de l’homme de Cheddar ayant vécu il y a 10 000 ans en Grande-Bretagne. Il s’avère qu’il a une peau très foncée et des yeux bleus. C’est là où on se rend compte que l’on projette des idées, des préjugés qui ne correspondent pas à la réalité. L’ADN nous y ramène.
Qui sont nos ancêtres ?
Le berceau de l’humanité se trouve en Afrique parce que nous sommes majoritairement issus d’Homo Sapiens qui vient de ce continent. Seulement Sapiens est parti du Sud de l’Afrique pour remonter vers le Nord et se disperser sur tous les continents. Des caractéristiques physiques différentes sont apparues pour s’adapter à l’environnement.
De plus, Sapiens a rencontré des cousins différents de l’hominidé comme l’homme de Neandertal en Europe, l’homme de Denisova en Asie, et d’autres hommes dont les traces d’ADN sont appelées « traces d’ADN fantômes », car on n’a jamais trouvé leurs ossements.
Il y a eu des métissages, notamment avec l’homme de Neandertal, dont on retrouve jusqu’à 1 et 2 % de traces génétiques chez les Caucasiens. Ces gènes sont porteurs de caractéristiques particulières comme une meilleure résistance au froid. On comprend avec l’histoire de l’humanité que les gènes s’adaptent. Ceux qui survivent sont ceux qui résistent le mieux aux conditions de vie.
Généalogie génétique et médecine de demain
Le rôle de l’épigénétique
Vous faisiez le lien entre la généalogie et la génétique mais aussi l’épigénétique.
NJF : Le génome de l’être humain ayant été complètement décrypté en 2003, la génétique est assez récente. Beaucoup de chercheurs sont partis sur l’idée qu’il y a une forme de déterminisme génétique absolu. Or, la réalité est beaucoup plus complexe, car le capital génétique peut s’exprimer de différentes manières en fonction de notre mode de vie (sport + alimentation) et de notre environnement (pollution, stress). C’est ce qu’on appelle l’épigénétique .
Exemple : lors des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les femmes enceintes qui ont eu un stress post-traumatique l’ont transmis à leur fœtus. Les enfants sont alors nés avec des taux hormonaux qui prouvaient qu’ils avaient ingurgité le stress de leur mère. Ce qui est valable pour la mère, l’est aussi pour le père. Si un père enfante avant ou après un stress, les spermatozoïdes ne transmettront pas les mêmes facteurs et informations génétiques.
NJF : Le côté positif de l’épigénétique, c’est qu’on apprend que cet héritage peut être réglé si on fait un travail sur soi. De plus, on peut également rectifier un gène qui fonctionnait mal à n’importe quel moment. Ce qui donne beaucoup d’espoir.
A l’aube de la génétique médicale
Vous prenez l’exemple d’Angelina Jolie qui a fait une ablation des seins après avoir appris qu’elle était porteuse de gènes à l’origine de cancer de sein sur 3 générations de femmes.
NJF : Angelina Joly a le gène BRCA1 – BRCA2 qui provoque un cancer du sein avec une probabilité de 80 % suivant les types de cancer. Sa décision a fait polémique, car certains oncologues ont questionné son choix. Certes, il y avait une forte probabilité de développer un cancer, mais faut-il faire en mesure préventive l’ablation des seins pour éliminer tous risques de cancer ? Cela appartient à chacun de gérer son épée de Damoclès comme il l’entend.
A-t-on la complète assurance d’éliminer l’expression de la maladie après une ablation des seins ?
NJF : La génétique médicale est un domaine très complexe, parce qu’il y a énormément de facteurs et de phénomènes d’incertitude. Ce n’est parce qu’on a un gène qu’il va se mettre à fonctionner ou à dysfonctionner. Le destin n’est pas écrit dans les gènes.
La génétique est encore une science où nous en sommes au stade de la recherche. Les chercheurs ont besoin de moyens financiers (qui manquent aujourd’hui), de données génétiques pour étudier toutes les corrélations entre les facteurs génétiques, l’épigénétique, le facteur culturel, les modes de vie et étudier ce qui va protéger ou aggraver les maladies.
Un dernier mot ?
NJF : Il ne faut pas avoir peur des tests ADN. Il faut y aller si on a envie, car c’est une merveilleuse aventure pour retrouver ses origines, aller à la découverte de ses ancêtres, de soi-même et découvrir des choses relativement surprenantes ou qui répondent à une intuition.
Must read : Quoi de neuf dans la famille ? Jean-Louis Beaucarnot et Nathalie Jovanovic-Floricourt aux éditions Buchet-Chastel
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous