Le film de Nathalie Marchak dévoile à travers le personnage de Beauty la condition de quelques milliers de femmes victimes de réseaux de trafic d’êtres humains, organisés au Nigéria par des cartels ultraviolents. En région parisienne, on estime qu’il existe au moins une dizaine de ces réseaux de prostitution. En 2013, selon l’organisation internationale pour les migrants, ce sont plus de 400 Nigérianes qui sont tombées dans les griffes de ces réseaux. Ce sont près de 5 000 femmes l’année d’après, dont beaucoup de mineures. Comment ces cartels s’organisent-ils et comment arrivent-ils à garder l’emprise sur ces femmes ?
De Bénin City à l’Europe, une organisation bien ficelée
D’où viennent-elles ? A priori, on pourrait croire que ces jeunes femmes, voir pour la plupart des jeunes filles, viennent de différentes régions de l’Afrique subsaharienne. Eh bien non, elles sont toutes originaires du même État du sud du Nigéria, Edo, et plus précisément de Benin City, sa capitale où les cartels du trafic d’êtres humains se sont installés. La misère économique de leur environnement pousse les jeunes gens, et notamment les filles, à trouver une « mama », une patronne, pour organiser le voyage, avec de faux papiers et la promesse d’un emploi. A cause d’une image idyllique de la vie en Europe, entretenue par on ne sait qui, beaucoup ne posent pas de questions, ou quand elles les posent, c’est déjà trop tard. Quelques fois, ce sont même les familles qui vendent directement leurs enfants à ces réseaux, poussés par leur extrême pauvreté.
De Bénin City à l’Europe, les filles s’embarquent dans un voyage très violent à travers l’Afrique, pour finalement arriver en Libye. Beaucoup sont violées sur le parcours, et la plupart restent parfois de nombreuses semaines enfermées dans ce qu’on appelle des “connections houses” avant d’embarquer pour la Méditerranée. Arrivées en Europe, elles travailleront plusieurs années sur les trottoirs, condamnées à rembourser leur dette à leur « mama » (une somme comprise entre 20.000 et 50.000 euros).
Nous pourrions penser que ces jeunes femmes, arrivées en Europe, pourraient chercher à s’enfuir, mais ce n’est pas si facile.
La magie noire et les coups
Il faut dire que les filles ne sont pas laissées seules un seul instant. La mama qui s’occupe de les faire venir, ne les lâche plus dès qu’elles arrivent dans la ville où elles « travailleront ». Chacune des filles devient pour la mama « sa » fille, « sa » responsabilité, et si celle-ci ne se plie pas aux règles de sa sinistre magouille, elle subit des violences physiques. Au-delà des coups, c’est surtout la pression psychologique, via la magie noire, qui fait tenir les filles à carreau.
Avant de partir de Bénin City, chacune des filles assiste à la cérémonie du juju. Au milieu d’une ambiance lourde et enivrante, où se mêlent la transe, l’absorption de boissons douteuses, le prélèvement de sang, de cheveux et d’ongles, les futures prostituées établissent un lien de vassalité à la mama, et prêtent le serment de payer leur dette et de ne pas parler. Si elles rompent leur promesse, elles mettent en danger leur propre vie, mais également celle de leurs familles au Nigéria. Il n’y a plus rien de magique, les menaces sont bien concrètes. Ainsi, les filles se retrouvent coincées dans un pays où elles ne connaissent personne, et elles savent qu’elles ne pourront pas rentrer au pays sans risquer de se faire tuer.
Un reportage réalisé par l’équipe d’Enquête Exclusive, « Policiers contre proxénètes : les nouvelles filières de la prostitution », montre très bien le « pouvoir » du juju sur ces malheureuses, qui les empêchent de dénoncer leurs bourreaux, au grand désarroi des policiers qui voudraient les faire sortir de cet enfer. Le reportage évoque également les Roumaines de l’Europe de l’Est, au parcours équivalent des Nigérianes. Celles-ci ne sont pas vendues par les membres de leur famille, mais directement exploitées par eux. Leur père, frère, cousin ou mari, les mettent sur le trottoir pour qu’elles contribuent, au même titre qu’eux, aux ressources financières du foyer.
Le sort de ces jeunes filles ou jeunes femmes est assez tragique et, elles mériteraient de notre part davantage une main tendue, ou du moins une autre attitude qu’un regard plein de jugement, et finalement d’ignorance.