Pour accéder à ce sens, la croyance en un dieu est un avantage non négligeable.
Un échange qui fait écho à d’autres. Nombre de patients et même de collègues ont tenu au neuropsychiatre les mêmes propos:
Comment expliquer qu’un être invisible puisse avoir autant d’impact sur la psychologie humaine? Comment expliquer que les croyants ressentent une proximité affective avec une telle entité?
C’est à ces questions que répond le dernier ouvrage de Boris Cyrulnik, «La psychothérapie de Dieu» (Odile Jacob).
Pour comprendre les mécanismes psychologiques de l’attachement à Dieu, il faut avant tout concevoir comment il naît.
La croyance comme héritage familial et social
Selon Boris Cyrulnik, nous venons à la religiosité et/ou à la foi suivant trois schémas:
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Le schéma du milieu, le plus répandu et commun des schémas.
La
croyance apparait par l’intermédiaire du milieu affectif, verbal et culturel. Les parents, en premier lieu la mère, racontent à leur petit l’existence d’un dieu. Bien que ne comprenant pas tout, le tout-petit perçoit l’amour de ses
parents pour ce dieu et va naturellement l’aimer. Maman et papa aiment un dieu, alors je l’aime aussi.
L’attachement conscient à Dieu n’apparait qu’à partir de 6 ans. L’âge auquel l’enfant maîtrise parfaitement le langage et les représentations mentales (le temps, la mort, le Père Noël). A travers les chansons, les cérémonies et les récits d’aventures des dieux et prophètes, le monde mental de l’enfant s’enrichit et s’imprègne de cette croyance.
L’attachement à Dieu opère ici comme un prolongement de l’attachement à la mère, au foyer, au quartier etc.
Pour tous ceux qui ont manqué de tels cadres car n’ayant pas grandi dans un milieu religieux ou spirituel, comment Dieu apparait donc dans leur vie?
La croyance comme besoin et apaisement
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Le schéma du besoin urgent.
L’attachement à Dieu apparait tout simplement quand nous avons besoin de Lui. C’est notamment le cas quand nous sommes éprouvés par l’existence et n’avons aucun soutien.
Boris Cyrulnik dit de ces croyants qu’ils «ne savaient pas qu'ils cherchaient Dieu. Ils le découvrent soudain, comme une révélation, une image, une lumière, un acte par lequel Dieu révèle sa volonté et éclaire le monde.»
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Le troisième schéma comme conséquence d’une double carence (affective et culturelle)
Selon Boris Cyrulnik, nous aimons Dieu comme nous avons appris à aimer les Hommes. Pour le dire autrement, notre relation filiale colore notre relation à Dieu (tout comme elle colore nos relations
amoureuses).
Il existe quatre façons d’aimer aussi appelées styles d’attachement qui sont l’attachement secure, ambivalent, distant et insecure.
Ce dernier style d’attachement marqué par une carence affective précoce conduit à éprouver une forte angoisse existentielle.
Dans ce contexte, si la croyance ne vient pas du milieu, on y accède à travers la rencontre d’une figure d’autorité apte à apaiser cette angoisse. A l’image du gourou rigide et sévère.
Nous évoquerons plus en détail ce point au dernier chapitre. Tout d’abord, abordons les bienfaits psychologiques de la foi et de la religiosité.
Quels sont les effets psychologiques de la croyance en Dieu?
Sécurité intérieure et extérieure
Outre les besoins physiologiques, la foi et davantage la religiosité répondent à tous les besoins évoqués par la pyramide de Maslow. Les besoins de sécurité, d’appartenance, d’estime de soi et même d’épanouissement (notamment quand la foi et la religiosité sont doublement présentes) sont plus que comblés.
Dieu est une figure éminemment protectrice. Croire en Lui, c’est acquérir une forme de sérénité dans le présent et être libéré de la
peur du futur. En clair, c’est accéder à un
lâcher-prise mental libérateur.
Un
lâcher-prise directement observé par la neuro-imagerie. Comme l’explique Boris Cyrulnik,
«(ACC) qui produit des signaux de détresse en cas de douleur physique ou de conflits relationnels. Or, ces signaux s’atténuent dès que la personne se met en relation avec Dieu par le moyen des rituels de sa religion.»
Pour ce qui est du sentiment d’appartenance, la religiosité répond largement aussi à ce besoin. Les croyants tissent des liens de fraternité et de familiarité à travers les prières, les rencontres dans le lieu de culte, les rituels et les fêtes.
Celui qui a foi sans adhérer à un cadre religieux ressent dans une moindre mesure le sentiment d’appartenance. Il se sent appartenir à ce monde, à la communauté mondiale, mais sans avoir autour de lui un groupe soudé.
Un autre bénéfice de la religiosité et de la foi spirituelle est l’affermissement de la dignité et de
l’estime de soi Notamment grâce aux interdits dans le cadre religieux.
Dignité et estime de soi
Les interdits religieux qu’un athée ou un spirituel pourraient trouver étouffants ne sont pas du tout perçus comme tels. Ces sacrifices sont perçus comme des outils pour pouvoir se dépasser et se transcender. De cette façon, ils permettent de rehausser sa propre force intérieure, son sentiment de dignité et son
estime de soi.
Si la religiosité procure davantage de bienfaits psychologiques que la foi spirituelle, c’est parce qu’elle a l’avantage d’offrir un cadre et une structure à disposition.
La quête spirituelle suppose de bâtir soi-même cette structure. Ce qui demande plus de
temps, de réflexion et d’errance. En contrepartie le rapport à Dieu est profondément intime puisqu’il est personnel. Ce qui contribue également à renforcer son sentiment de dignité, d’estime de soi et de
sécurité intérieure.
Tous ces bienfaits psychologiques expliquent la
force de l’attachement à Dieu, ainsi que les raisons pour lesquelles Il n’est pas prêt de disparaître. Y compris dans le monde Occidental.
Le fait que Dieu se soit effacé de notre civilisation s’explique en partie par le fait que nous vivions dans une
société en paix et sécurisante jusqu’à récemment. Cette sensation de sécurité s’effrite grandement au contact des situations géopolitiques, économiques, sociales et environnementales instables.
Ce n’est pas un hasard si la spiritualité séduit de plus en plus de monde en Occident.
Il reste toutefois à rappeler la thèse principale de Boris Cyrulnik: notre relation à Dieu est conditionnée par notre attachement filial.
Ce qui sous-entend que plus notre attachement filial est secure, plus notre foi ou religiosité est secure, donc
accueillante, ouverte et curieuse des autres croyances.
A l’inverse, plus l’attachement filial est insecure, plus notre croyance l’est. Ce qui peut se traduire par de l’intolérance religieuse.
Comment comprendre l’intolérance religieuse?
Contexte belliqueux et attachement insecure
L’intolérance religieuse trouve deux sources principales.
1. Un contexte politique ou social belliqueux où différents groupes s’affrontent.
L’autre est un mécréant, un ennemi. Quand il est en infériorité numérique, le groupe se replie sur lui-même et se clôture. Le conformisme s’épanouit et avec lui l’intolérance avec tout ce qui se différencie du groupe.
2. Un attachement insecure et rigide durant l’enfance.
Le sentiment d’insécurité ne doit ici rien au contexte, il provient de soi-même. Les autres
croyances sont jugées insupportables car elles viennent troubler un fragile attachement à Dieu. Pour se protéger, la personne développe alors les stratégies de défense mentale que sont le repli ou l’adhésion au communautarisme.
A propos de la conversion au radicalisme religieux, Boris Cyrulnik l’identifie comme étant une situation relevant d’une double carence. Une carence affective couplée à une carence culturelle.
Théorie sur la conversion au radicalisme
La culture (livres, jeux, films etc.) peut fournir une porte de sortie sous forme d’exutoire imaginaire ou de rêve à poursuivre. Mais quand on se retrouve privé d’amour et d’imaginaire, nous ne pouvons pas concevoir ou nous projeter dans un monde autre que celui que nous percevons.
Adultes, ces personnes n’arrivent à sortir de leur violence intérieure que grâce à un cadre extérieur rigide et sévère. Cela peut être la prison, l’armée ou la secte religieuse.
Si ce cadre les soulage, c’est parce qu’il les libère d’eux-mêmes. Ils n’ont plus à décider de leur vie et à faire des choix. Un autre s’en charge pour eux, ce qui soulage efficacement leur
profonde détresse psychique.
Ainsi, plus l’agitation mentale est grande, plus nous avons besoin d’être soumis à un Dieu-Père Fouettard. Plus nous sommes en paix avec nous-mêmes, plus Dieu est bienveillant et en paix avec la concurrence.
Conclusion, le vrai Mystère reste
La théorie de l’attachement est somme toute assez pertinente pour comprendre la nature d'un certain attachement à Dieu.
Nous disons un certain attachement car ce qu’évoque la Psychothérapie de Dieu fait largement référence à la religiosité plutôt qu’à la foi. Son apparition et sa particularité par rapport à la religiosité restent encore à creuser.
Gageons que de futures recherches sauront apporter les réponses. Gardons la foi.
Source: Boris Cyrulnik, Psychothérapie de Dieu, Odile Jacob, 2022