Par définition, se plaindre consiste à exprimer un mécontentement ou une insatisfaction. Une habitude qui a mauvaise presse aujourd’hui tant elle est associée au caprice ou aux personnes ennuyeuses et rébarbatives.
Pourtant, cette habitude a son utilité comme nous l’apprend la psychothérapeute américaine Whitney Goodman dans son ouvrage «Positivité toxique» (Eyrolles) consacré aux dérives de l’injonction au bonheur.
Dans un premier temps, Goodman rappelle une évidence, à savoir que tout est une question d’équilibre. Ce qui est effectivement pernicieux pour notre santé mentale et physique ainsi que notre vie sociale, ce sont les jérémiades redondantes.
Des pensées négatives récurrentes libèrent davantage de cortisol (l’hormone du stress). Or, un taux élevé de cortisol diminue nos capacités de mémorisation et d’apprentissage, en plus d’affaiblir notre système immunitaire et d’augmenter la tension artérielle et le cholestérol.
Par ailleurs, tomber dans le ressassement mental (aussi appelé l’overthinking et verbal nous empêche de penser de façon proactive pour résoudre nos problèmes. L’expression excessive de notre plainte ne nous soulage plus et nous empêche de sortir de notre mal-être.
Toutefois ne jamais se plaindre n’est pas non plus le signe d’une bonne santé mentale. Nier ce que nous avons sur le cœur ne permet pas d’apaiser et d’agir efficacement face à la souffrance émotionnelle.
Tout l’enjeu selon Goodman est d’apprendre à bien se plaindre pour que cela nous soit bénéfique. Pour ce faire, il convient d’abord de mettre la lumière sur les motivations de nous plaindre.
Pourquoi nous plaignons-nous?
Les trois principaux buts de la plainte
Trois grandes motivations nous poussent à nous plaindre:
C’est une forme de catharsis. Se plaindre permet d’évacuer nos frustrations pour nous sentir mieux.
Verbaliser ou poser par écrit sa frustration sert d’exutoire et d’une mise en distanciation avec les évènements. Ce qui nous évite de tomber dans la rumination mentale ou de voir notre situation plus problématique qu’elle ne l’est. Exception faite quand nous tombons dans l’exagération comme il a été mentionné plus haut.
La plainte permet de faire naître l’empathie et d’établir une connexion émotionnelle avec autrui.
A cet égard, toutes les plaintes n’ont naturellement pas la même valeur. Les plaintes mineures comme la météo, la circulation ou la lenteur d’un service au restaurant ne sollicitent pas la même puissance d’empathie que les plaintes majeures telles que devoir surmonter un divorce, une séparation, la maladie, la discrimination etc. .
La plainte permet de dévoiler et de partager nos pensées intimes en éclairant nos inquiétudes, nos espérances et nos sensibilités.
La plainte, enfin, est un appel au changement et à la responsabilisation.
Au quotidien, cela peut être de se plaindre auprès de notre conjoint de l’inégale répartition de la charge mentale. Sur un plan historique, tous les mouvements de justice sociale ont commencé par une plainte.
Au-delà de ces motivations, d’autres raisons souvent inconscientes nous poussent à nous plaindre.
Les raisons cachées de nos plaintes
Deux dernières raisons plus ou moins conscientes, car plus ou moins avouables, nous poussent à nous plaindre:
Nous nous plaignons pour influencer la façon dont les autres nous perçoivent.
Par exemple, se plaindre de la qualité d’un vin démontre que nous sommes un connaisseur. En se plaignant de quelque chose de «mauvais», on cherche à se valoriser ou à démontrer que nous appartenons à un certain groupe social. En fonction du ton employé et de la situation, cette forme de plainte peut être jugée déplacée ou ridicule.
Nous nous plaignons pour obtenir des informations.
C’est typiquement le cas quand nous nous plaignons de notre patron en présence de nos collègues. Nous lançons une bouteille à la mer pour déterminer lesquels nous rejoignent ou non, et ce faisant, lesquels peuvent être nos alliés. Cela permet également de jauger quelles plaintes peuvent être recevables ou non dans le groupe.
Quelles que soient nos raisons de nous plaindre, celles-ci servent toujours un objectif de vie.
Si nous nous surprenons à faire part de nos inquiétudes ou à souhaiter les évacuer, il importe d’être réceptif à ce besoin pour notre bien-être. Un exutoire, un verre avec un ami ou un changement de vie suffisent généralement à améliorer la situation.
Mais que faire quand ce n’est pas le cas? Que faire devant le sentiment d’être bloqué, de ne trouver aucune issue et de ne pas se sentir soutenu? Que faire, en somme, quand nous nous plaignons tout le temps?
Comment arrêter de se plaindre tout le temps?
Identifier les zones grises
Certains indices édifiants révèlent la manie de se plaindre tout le temps:
Une analyse simpliste de la situation. Par exemple, mon travail me rend malade mais il n’y en a pas d’autres pour moi.
Les interlocuteurs s’agacent et ne le cachent plus.
Les plaintes sont de plus en plus récurrentes, donnant l’impression d’être tombé dans une dynamique obsessionnelle.
Pour y remédier, Withney Goodman suggère deux méthodes.
La première de ces méthodes consiste à sortir de la pensée binaire (voir le monde en noir et blanc) en identifiant les zones grises de notre situation. Elle est particulièrement opportune pour les plaintes mineures et les problèmes relationnels récurrents.
En pratique, il s’agit tout simplement d’introduire le mot «mais» après avoir exprimé une plainte.
Par exemple, Paris est un cauchemar pour circuler, mais c’est une belle ville. Ou encore, ma mère ne m’écoute jamais, mais mon conjoint et mes amis si.
Dans le deuxième exemple, quand bien même la situation serait douloureuse, apporter une note positive permet de rendre la situation moins pesante.
Dans le cadre d’une souffrance émotionnelle aigue à la suite d’un deuil par exemple, Goodman préconise de pratiquer l’acceptation radicale. C’est une technique de tolérance à la détresse développée par la psychologue et fondatrice de la thérapie comportementale dialectique, Marsha Linehan.
L’acceptation radicale intègre l’idée que la souffrance fait inévitablement partie de la vie. Et que vouloir fuir cette souffrance n’aboutit qu’à l’accroître.
Pour cesser de souffrir, il faut accepter totalement et entièrement la réalité. Ce qui ne signifie pas que nous devons l’aimer ou l’approuver, mais d’accepter notre impuissance.
La technique de l’acceptation radicale
Selon Marsha Linehan, pratiquer l’acceptation consiste à suivre les 10 étapes suivantes:
Constatez si vous questionnez la réalité ou luttez contre elle. («Ce n'est pas juste!»)
Rappelez-vous que la réalité peut être déplaisante, un point c'est tout, et qu'on ne peut rien y changer. Il s’est passé ce qu’il s’est passé.
Rappelez-vous qu'il y a diverses causes à la réalité. («C'est de cette façon que cela s'est produit.»)
Exercez-vous à l'accepter avec l'ensemble de votre être - c'est- à-dire le mental, le corps et l'esprit. Recourez au monologue intérieur d'acceptation, à des techniques de relaxation, à la pleine conscience et/ou à la visualisation. En somme nos 3 supers pouvoirs naturels.
Dressez la liste de tous les comportements que vous adopteriez si vous acceptiez les faits, puis exercez-vous à les adopter comme si vous les aviez déjà acceptés.
Imaginez que vous croyez ce que vous ne voulez pas accepter, et répétez mentalement ce que vous feriez si vous acceptiez ce qui vous semble inacceptable.
Soyez attentif à vos sensations physiques en réfléchissant à ce qu'il vous faut accepter.
Laissez la déception, la tristesse ou le chagrin émerger en vous.
Reconnaissez que la vie vaut parfois la peine d'être vécue, même dans la souffrance.
Si vous constatez que vous résistez à pratiquer l'acceptation, essayez d'en déterminer les avantages et les inconvénients. »
Si cette technique est préconisée pour cesser de se plaindre tout le temps, quelle autre technique peut nous éviter de tomber dans cette spirale? Autrement dit, comment se plaindre efficacement pour ne pas avoir à se plaindre tout le temps ou à ronger son frein?
Comment se plaindre efficacement?
Se plaindre efficacement consiste à se fixer un but et réussir à obtenir ce que l’on souhaite (un changement ou un sentiment de proximité).
En s’inspirant des travaux de Robin Kowalski, professeure de psychologie et spécialiste des râleurs, Withney Goodman dévoile ses 8 conseils pour y parvenir:
Etablissez en quoi consiste la plainte. Cela vous ennuie-t-il vraiment?
Choisissez les bons interlocuteurs. Ceux qui peuvent vous aider, vous comprendre ou s’identifier à vous.
Déterminez si cela en vaut la peine. Réfléchissez aux préoccupations qui sont vraiment importantes pour vous et essayez de vous plaindre avec modération.
Que se passera-t-il si vous vous en plaignez?
Que se passera-t-il si vous ne vous en plaignez pas?
Essayer de détecter la raison cachée de votre plainte. Si cela consiste à nouer une relation, demandez-vous s’il n’existe pas un autre moyen qu'une plainte pour y parvenir.
Prenez des notes s’il vous est difficile de gérer vos plaintes. L’écriture vous permet d’organiser vos pensées, de mieux comprendre les situations et la façon de les surmonter.
Soyez aussi direct que possible au sujet de votre problème.
N'oubliez pas que de véritables injustices existent dans le monde. Certaines personnes pourraient vous rétorquer qu’il existe des situations bien pire que la vôtre. Acquiescez et continuez à évoquer votre problème en vous concentrant sur votre objectif.
Conclusion? Oser se plaindre sans devenir chèvre ou ennuyer son monde demande beaucoup de savoir-être.
En tant que Français, nous avions déjà transformé le fait de se plaindre en art. Savoir bien se plaindre devrait donc être à notre portée… !