Thierry Janssen : repérer et soigner nos névroses grâce à...
Publié le 07/01/2021, mis à jour le 05/11/2024
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Thierry Janssen : repérer et soigner nos névroses grâce à la posture juste
49 min d'écoute
La retranscription qui suit est non exhaustive, aussi nous invitons vivement à écouter le podcast ci-dessus afin de profiter de la qualité de nos échanges.
De la chirurgie aux médecines intégratives, le parcours de Thierry Janssen
En ces temps troublés, comment vivre en harmonie avec soi, les autres et la nature dans un monde rongé par le stress et l’incohérence ? C’est tout le sujet du dernier ouvrage de Thierry Janssen, « La Posture Juste » paru aux éditions L’Iconoclaste. Dans cette retranscription (non exhaustive) du podcast, nous découvrons le parcours du Dr Janssen, avant de connaître les clés pour nous adapter aux circonstances de l’existence en agissant de le respect de nous, des autres et de la nature.
Récit d’une rupture
Pourquoi avoir quitté votre première profession de chirurgien pour aller vers les médecines alternatives chinoises et ayurvédiques ?
Thierry Janssen : Je n’ai pas réfléchi, cela a été un instinct de survie. Le jour où j’ai pris des fonctions supérieures dans l’hôpital universitaire où je travaillais, j’ai entendu une voix qui me disait : « si tu restes ici, tu vas mourir ». Du coup, j’ai quitté mon travail et 20 ans plus tard, je suis très heureux de voir que ça m’a libéré et permis d’explorer beaucoup de choses que je n’ai pas pu voir dans la chirurgie.
Retour aux premières passions
Thierry Janssen : J’étais un homme très ambitieux et carriériste, je n’avais plus beaucoup de temps pour autre chose. Pourtant, e dans mon enfance, j’avais une forme de curiosité sur le monde, l’être humain et l’Histoire dont l’Egypte Ancienne. Quitter la chirurgie était le moyen d’y revenir.
L’Egypte m’inspire depuis tout petit d’une façon intuitive et symbolique, et non intellectuelle. La civilisation pharaonique était tellement reliée à la nature que je comprends aujourd’hui pourquoi elle m’a parlé et façonné à travers son symbolisme qui a perduré pendant des millénaires.
Pour une médecine du sens
Quand on s’intéresse à d’autres façons de soigner la personne humaine avec des dimensions psychologiques, émotionnelles voire symboliques, c’est tout un monde qui s’ouvre en rupture avec le milieu médical actuel où on est formaté à regarder et à traiter l’être humain comme une machine. Il y a une vraie médecine du sens dans ces médecines traditionnelles et non-conventionnelles.
Thierry Janssen : Dans la médecine que je pratiquais, cette médecine du sens n’était même pas niée mais diabolisée. On passait son temps à traquer l’effet placebo, en cherchant l’action de la molécule, alors qu’il n’y a pas de honte à avoir d’effet placebo. Il est même souhaitable. Le rôle du soignant est fondamental dans la manière dont il va prescrire des remèdes qui vont avoir une action au niveau matériel. On ne peut pas faire l’économie de l’indivisibilité de l’individu. Il faut agir en entrant par toutes les portes. Aller vers une médecine du corps et de l’esprit.
Dans son livre Thierry Janssen explique comment chaque être humain, au cours de sa vie, développe des comportements névrotiques (souvent ordinaire ), comment elles dessinent le corps et comment les repérer ?
Comment repérer nos comportements névrotiques ?
Qu’est-ce qu’une névrose ?
TJ : Une névrose est une réaction de survie. C'est un processus de comportement mis en place pour éviter d’avoir à revivre ce qui nous faisait peur, ou ce qui risquait de nous faire souffrir. Mais de façon incroyable et paradoxale, Wilhelm Reich, Alexander Lowen et John Pierrakos ont démontré que durant ces différentes étapes nous mettons progressivement en place des comportements qui vont recréer ce qui nous faisait peur. On va rajouter une couche à ces comportements et cela va créer un conditionnement.
Dans votre livre, vous partez du postulat que nous sommes tous des névrosés qui s’ignorent en identifiant 5 types de névrose.
TJ : Ce n’est pas moi qui ai identifié ces névroses mais Wilhelm Reich qui les a découvertes et décrites en 1930 dans son livre « L’analyse caractérielle ». Ses idées ont a été reprises par beaucoup de gens, mais rares sont ceux qui citent Reich. Ce qui est dommage et moi je veux lui rendre hommage.
Qui est Wilhelm Reich ?Cet ancien élève de Freud a voulu démontrer à son maître que la psyché humaine ne peut être analysée uniquement par le mental, le corps joue également un rôle essentiel puisque toute la vie psychique est vécue dans ce dernier. Reich a été beaucoup combattu et pourtant ses intuitions l’avaient mené à comprendre que tout était énergétique, échafaudant une théorie sur l’énergie universelle qu’il appelait l’orgone. Ses travaux ont eu un grand impact dans la contre-culture américaine qui a amené à la libération sexuelle, à la libération des corps.
Les 5 types de névroses
La schizoïdie ou le retrait apparu à cause de la peur liée au contact avec le monde perçu comme potentiellement dangereux. Mais à force de se couper du monde, nous ne trouvons pas notre place et on se sent de moins en moins en sécurité. L’ajustement sera de s’ancrer dans ce monde, de ne pas en avoir peur, même s’il peut être source de danger, d’inconfort et de douleur.
En entrant ensuite en lien avec le monde et les autres, on se rend compte que ce lien est nourrissant et qu’on a peur de le perdre et de sentir le vide. On entre ainsi dans l'oralité. L’ajustement va être de se remplir de l’intérieur.
Pour garder ce lien, une 3e névrose se met en place qui est le masochisme, c’est-à-dire qu’on s’oublie, on tait ses besoins et ses limites. On garde alors une colère contenue. L’ajustement sera de s’ouvrir et d’exprimer ses besoins.
La psychopathie, c’est-à-dire la souffrance de l’âme. Pour garder le lien, au lieu de s’écraser, on va au contraire dominer la relation, par la séduction, le contrôle, la culpabilisation ou l’agression. C’est un comportement psychopathe que nous avons tous, mais qui peut devenir une pathologie très forte chez certains, comme les tueurs en série ou les pervers narcissiques. L’ajustement sera de rester centrer, de dire sa vérité sans jamais vouloir chercher à convaincre ou à se battre. Il suffit de témoigner sans avoir peur, de rayonner ce que l’on est.
Enfin, il y a la rigidité et la peur de montrer toutes nos failles, alors on se cache derrière une façade très lisse. On est totalement dans une illusion et une forme d’inauthenticité ; on n’est pas vivant. L’ajustement sera de rester fluide, adaptable et spontané. De rester joyeux, éminemment vivant. La joie étant le symptôme qui nous prouve notre vitalité.
Qu’est-ce que la joie ?
Comment sait-on qu’on est connecté à la joie ?
TJ : On ne se connecte pas à la joie, elle surgit en nous quand on est connecté à la vie et qu’on est pleinement vivant. Puisque vous parlez de connexion, pour être pleinement vivant, il faut être connecté à soi, à tout ce que l’on est, et d’abord à notre corps. C’est pour cela qu’il est important de le respecter, de sentir ses besoins et ses limites. A un moment donné, une vitalité vibre en nous et cela crée ce sentiment de joie.
La joie vient du latin « gaudere » que l’on traduit par « se réjouir » qui vient de la racine sanskrit « yog », donnant yoga, qui signifie « joindre » ou « le joug » (l’appareil réunissant les deux bœufs qui tirent la charrue). Gaudere c’est donc se réjouir parce que le lien est fait et tout est réconcilié. La joie, c’est ce qui apparaît quand toutes les dimensions de l’être sont en harmonie et respectées.
La joie ne doit pas être confondue avec le contentement qui est de l’ordre du mental, et dépend de circonstances extérieures, des croyances et des attentes. Je suis content parce qu’il fait beau ou parce que je vais voir des amis. Mais s’il ne fait pas beau, ou si je ne vois plus mes amis, alors je ne suis plus content. La joie n’a rien à voir avec cela, parce que c’est un état d’être. Elle vient de l’essence de l’être, du noyau en nous qui est pure vitalité et pure conscience.
Ainsi, la joie peut cohabiter avec le mécontentement, voire même la tristesse. Il suffit d’aller dans les enterrements pour voir qu’on peut être très triste, désespéré, ou en colère et joyeux en même temps.
Un mot sur la mort
Pour moi, l’expérience de la mort est la plus belle des choses, parce qu’elle vient donner une valeur à l’existence, donc à la vie. Si on avait un temps infini, comme certains rêvent de l’avoir, on gâcherait notre vie encore plus, on gaspillerait encore plus de temps et d’énergie. C’est parce qu’il y a la mort que tout d’un coup on se rappelle que la vie est limitée, qu’il faut en faire quelque chose, qu’il faut la goûter et l’honorer pleinement.
TJ : Je sais que cela peut paraître obscène de dire ça dans une civilisation qui nie la mort, qui la trouve insupportable et ne veut absolument pas l’intégrer dans la vie. Je n’oppose pas la mort et la vie, j’oppose la mort et l’existence qui font partie de la vie.
En quoi la psychologie et la spiritualité sont-elles imbriquées ?
Brève histoire de la psychologie occidentale
TJ : Quand on regarde l’histoire de la psychologie occidentale, on se rend compte qu’on a fait une psychanalyse très mentale. Freud parle du corps mais l’évacue, il ne le vit pas. Reich vient lui rappeler qu’il faut vivre le corps, qu’il faut aller chercher en lui les réponses parce que le corps ne triche pas. Il y a tout une psychologie qui va se développer en trois grands courants.
La psychanalyse qui nous dit qu’il y a des forces sombres dans l’inconscient qui risquent d’anéantir l’être-humain.
Le courant cognitivo-comportementaliste, pour qui l’être-humain n’est pas le produit de forces sombres et de pulsions non-conscientisées, c’est un être qui est le résultat d’apprentissages, de croyances et de conditionnements. Dès lors, on peut se déconditionner.
La psychologie humaniste, née après la 2nde guerre mondiale et sous l’impulsion de Karl Jaspers pour qui il y avait un potentiel positif en l’être humain. Là est née la psychologie humaniste avec Abraham Maslow, Carl Rogers et cela a donné lieu à ce qu’on a appelé le développement personnel.
Comment naissent les gourous et les individualistes
Vous affirmez dans votre livre que "la psychologie sans la spiritualité est souvent stérile. Autant que la spiritualité sans la psychologie est fréquemment inutile."
TJ : Je dirai même dangereuse. D’une part, parce que le développement personnel peut nous rendre très égocentré, voire très égocentrique et narcissique. Le danger est d’autant plus important dans une société qui valorise les individus et la compétition avec l’idée de mieux fonctionner, d’être plus performant, productif, mieux consommant. Notre civilisation est en train de se rendre compte de l’absurdité de sa vision de soi et du monde parce que l’on voit les catastrophes et les crises que cela crée, et on sent bien que cela va devoir changer.
En parallèle, on a la spiritualité grâce à laquelle nous apprenons que nous avons un esprit autre que le mental. Cet esprit c’est la conscience qui s’éveille en nous et qui n’est pas personnelle mais partagée par tous. Cette conscience nous fait voir la réalité telle qu’elle est et certains êtres peuvent être très inspirés et devenir des guides spirituels sur ce chemin d’éveil. Mais le drame, c’est que s’ils n’ont pas regardé leur part de personnalité et d’ego, on a alors des dérives qui sont très dommageables, c’est pour cela qu’il y a un danger.
Il ne devrait pas y avoir de démarche spirituelle sans un éclairage psychologique des êtres qui vivent leur spiritualité.
Voilà pourquoi, pour moi, les deux sont absolument indissociables.
Comment trouver la posture juste ?
Une affaire de cœur
Comment voir clair sur ces propres névroses psychologiques ?
TJ : Pour pouvoir vraiment s’éveiller à cette réalité du psychologique dans le corps, il faut avoir une conscience éveillée, donc j’insiste beaucoup sur une pratique contemplative, méditative. Je sais que pour beaucoup de gens cela peut être très angoissant, voire rébarbatif d’aller sur cette voie. Du coup, je propose d’y aller d’une façon très douce mais efficace. C’est-à-dire de ne pas faire de la méditation tous les jours mais progressivement d’apprendre à plonger dans le silence intérieur. On le fait en ouvrant le cœur, physiquement, en étendant la poitrine pour ressentir cet apaisement, cette acceptation, cet accueil parce qu’on a un espace intérieur qui s’est ouvert. Et cela est d’une efficacité incroyable.
L’important n’est pas le quoi mais le comment
Est ce qu’il y a des pratiques occidentales, comme le sport par exemple, qui permettent de se relier à soi ?
TJ : Tout est dans le tout, mais cela dépend du regard que l’on a dessus et comment on le vit. Quand je suis dans une salle de sport, j’observe des gens avec des écouteurs sur les oreilles tout en pédalant sur un vélo, puis en regardant la télévision. Comment voulez-vous être présent à vous-même quand vous faites ça ? Vous l’êtes d’une certaine façon parce que vous développez vos muscles et avez mal. Par contre, vous avez des gens qui se mettent sur ce vélo, sans écouteurs et sans télévision, et écoutent leur corps pendant qu’ils travaillent.
En résumé, il n’y a pas une pratique qui est meilleure que l’autre, cela dépend de comment on la vit. Ce qui compte c’est notre attitude au monde que l’on soit coureur de fond, haltérophile ou un praticien de qi gong. L’important, c’est qui est-on quand on le fait, comment est-on quand on le fait, avec quelle présence, avec quelle conscience ?
Le tantra est une très vieille tradition millénaire qui a inspiré le védisme, l’hindouisme, le bouddhisme et de là toutes les approches spirituelles de l’Orient. Le tantra a permis qu’on garde le corps au milieu de la démarche spirituelle. Or en Occident, le corps a été banni de la démarche, mais quelque part il a été revalorisé à travers la performance sportive. On a fait des J.O., on s’est battu d’une Cité à l’autre.
Mais tant qu’on reste dans la performance pour se prouver à soi ou aux autres qu’on est meilleur, on ne pourra jamais faire le chemin. Ce n’est pas comme cela qu’on est présent à soi. Il suffit de voir comment certains sportifs abîment leur corps et sont usés avant l’âge.
Projets et ultime conseil
Vous avez d’autres projets ?
TJ : Je ne sais pas s’il y aura d’autres livres, j’en ai écrit 9 en 20 ans. J’ai écrit celui-là parce c’est l’enseignement que je dispense dans mon « Ecole de la posture juste ». Je voulais que les élèves aient l’enseignement posé quelque part, en plus de le partager avec un plus grand nombre parce que je suis conscient que tout le monde ne peut pas forcément rejoindre mon école.
Cependant, je sens que je porte en moi un autre livre qui parlerait de l’Egypte Ancienne, ce qu’elle m’a apporté et ce qu’elle peut apporter au monde d’aujourd’hui à travers l’immense sagesse qui l’a construite pendant 3000 ans. J’espère avoir un jour la disponibilité, l’énergie et l’inspiration, mais je n’écris pas les livres sur commande, il viendra quand il viendra. Je ne me forcerai pas.
Quel est votre mantra ?
TJ : J’ouvre, j’ouvre, j’ouvre le cœur et j’écoute le silence à l’intérieur.
Propos de Thierry Janssen recueillis par Amal Dadolle
Crédit photo : Thierry Balasse
Must read : La posture juste. Thierry Janssen aux éditions l'iconoclaste
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