Allons à la rencontre de Marcos Lutyens (ML), artiste pluridisciplinaire engagé et inspirant. Né à Londres en 1964, il vit et travaille à Los Angeles. L’artiste tente de construire un pont, un dialogue entre les hommes et le monde qui relève de l’invisible, celui que l’on a généralement coutume de négliger. Pour ce faire, Marcos Lutyens utilise les techniques cognitives comme l’hypnose ou les technologies comme la robotique mais également des outils sensoriels afin de créer des performances, des sculptures et des installations. Ses thèmes de prédilection concernent la conscience, l’environnement, la perception sensorielle, humaine, animale ainsi que l’interaction entre les espèces.
Nous avons eu la chance de le rencontrer au sein de son atelier à Los Angeles pour lui poser quelques questions sur sa démarche artistique ainsi que sur ses prochaines expositions.
Dans un premier temps, pouvez-vous nous décrire votre approche artistique ?
ML : J’ai puisé ma source d’inspiration en dehors des cadres institutionnels classiques. J’aime rapporter des choses dans mon studio et les partager en les exposant au travers de projets artistiques.
Je pense que nous sommes souvent aveugles et sourds à ce qui nous entoure. Mon intention à travers ce travail est d’éveiller le public à la compréhension de l’interconnexion des choses.
Peut-on alors vous définir comme un collectionneur d’objets ?
ML : Je suis plus intéressé par la collecte d’une cosmologie que par celle d’objets. C’est la perception des gens qui m’intéresse. Je me demande comment des groupes de personnes peuvent voir les choses différemment et ensuite apprendre de cela. Par exemple, si l’on analyse les tribus dans le nord ouest de l’Australie, on constate qu’au lieu de dire «ce téléphone est à ma gauche ou à ma droite», elles positionnent tout selon les points cardinaux ce qui implique un tout nouveau sens de la réalité. Marcos Lutyens l’admet lui-même : « Il est difficile de définir ma pratique puisque dès qu’il y a une route, je m’en écarte. Je ne me suis pas seulement intéressé à la cosmologie tribale mexicaine. […] Une partie de ce qui m’inspire réside également dans le chamanisme, cet enseignement par lequel les gens acquièrent des connaissances millénaires et possèdent une compréhension globale et sensible des choses qui les entourent. Je crois que nous nous devons de désapprendre beaucoup pour réapprendre à respirer, communiquer et travailler ensemble et ce sont ces connaissances que je veux partager avec les gens autour de moi.
L’artiste a pu travailler sur des sujets plus sociaux comme lors d’un projet au sein d’un refuge à la frontière mexicaine. Il concernait les enfants migrants ramenés à la frontière. Ces jeunes ont vécu de véritables traumatismes, leur vision de la réalité était totalement fragmentée, fracturée comme l’on peut l’imaginer. Ce projet artistique prenait la forme d’un atelier accompagné de la création de drapeaux blancs. Marcos Luytens raconte :
ML :Le projet était à visée thérapeutique, et j’ai ouvert chez ces enfants un processus imaginatif pour qu’ils puissent ensuite s’exprimer au travers de ces drapeaux. Au cours des ateliers, un des enfants a été abattu. Ce n’est pas léger ni récréatif. Quand je repense à ma pratique artistique, je suppose que je peux la définir comme un engagement avec la vie et les personnes.
Je crois que nous nous devons de désapprendre beaucoup pour réapprendre à respirer, communiquer et travailler ensemble et ce sont ces connaissances que je veux partager avec les gens autour de moi.
Il est difficile de définir votre pratique artistique puisqu’elle est plurielle et ne se limite pas à ce que l’on rencontre actuellement dans l’art. Ce qui est passionnant, c’est que votre travail et son impact psychologique élargissent et transforment profondément la perception du public. Vous parvenez à changer le regard qu’il porte d’ordinaire sur le monde et à enrichir sa vision du réel.
ML : Effectivement, un jour je suis allé avec mon fils à l’école construite par Elon Musk. Dès mon arrivée, un professeur m’a pris à part avec les autres parents et nous a posé une question : Si vous avez un milliard de dollars, combien investissez-vous dans ces différentes “problématiques” : l’environnement, l’industrie, l’armée, le bien-être, le cerveau, l’IA (intelligence artificielle), l’infrastructure etc ? J’ai répondu qu’il fallait investir l’intégralité de la somme dans la case « cerveau » puisque c’est en affectant le cerveau des gens que l’on peut résoudre les problématiques mondiales. C’est en influençant la mentalité du public que l’on peut affecter et transformer sa façon d’être et donc ses décisions. Je pense que l’art a ce pouvoir puisque son rôle est de transmettre un message.
Dans votre cas, cette transmission est-elle induite par l’art ou par l’hypnose ?
ML : Eh bien, plus vous pourrez travailler étroitement avec le public, plus directement vous pourrez atteindre son esprit. A ce moment là, il sera possible de lui donner une nouvelle perception, un véritable point de vu Ouvrir les esprits est le but ultime, donc avoir la possibilité de le faire si directement par l’hypnose constitue un avantage considérable comparé à la portée d’influence d’un tableau qui reste assez minime. Je considère l’artiste comme« une seconde main » , un intermédiaire. Si l’on peut repérer le dynamisme créatif du public, c’est très excitant! Si vous encouragez les gens à devenir artistes, alors c’est comme si la portée de cette action se multipliait pour créer de la positivité, de la créativité. Ces personnes verraient, penseraient différemment et pourraient à leur tour créer !
C’est en influençant la mentalité du public que l’on peut affecter et transformer sa façon d’être et donc ses décisions. Je pense que l’art a ce pouvoir puisque son rôle est de transmettre un message.
Une œuvre illustre ses propos : « The Dropet », une installation qui épouse la forme d’une goutte d’eau géante. Elle propose au spectateur une expérience immersive multi-sensorielle. Assis sur l’un des quatre bancs du pavillon, celui-ci aura l’occasion d’entendre le bruit de l’eau et des voix relatant dans la langue locale histoires et mythes relatifs à cet élément. Conjuguant poésie et expérience sensorielle, The Droplet est une oeuvre engagée qui immerge totalement le visiteur.
Photographie prise lors de l’hypnose collective devant la Droplet
Une de vos installations “The Droplet» a été exposée à la Monnaie de Paris l’année dernière. Aviez-vous pu également travailler avec le public ?
ML : J’ai effectivement pu réaliser une performance à la Monnaie de Paris et travailler avec le public, le mettre en condition pour appréhender la Droplet et son lien avec l’élément eau.
Nous avons pu contacter l’une des participantes de cette performance pour lui demander de nous communiquer son ressenti : S. « L’hypnose collective a pris la forme d’un appel à notre inconscient pour qu’il se souvienne de notre lien à l’eau et à tous les systèmes vivants, cela m’a beaucoup touchée. La performance a réveillé mon attachement à notre planète et m’a permis de comprendre comment je pouvais être plus active. Ce fut une très belle et agréable expérience ».
Photographie prise lors de l’hypnose collective devant la Droplet
-> Cette oeuvre circulera dans différentes villes du monde choisies en fonction de leurs relations spécifiques à l’eau. ( A Miami en décembre, courant printemps à New York et de nouveau en Europe en 2019).
Plus récemment, Marcos Luytens présente un nouveau projet, « Flower clock”. Une horloge florale sera installée dans les jardins Laribal à côté de la Fondation Miró à Barcelone. Pour cette exposition, une dérogation spéciale a été accordée pour permettre la présence d’abeilles dans la ville espagnole. Cette horloge circadienne et ces abeilles sont installées d’après de longues recherches sur les rythmes quotidiens déclenchés par le gène period (le gène du rythme de vie et de l’heure de la mort). (…) Originellement pensée par Carl Von Linné, l’horloge exploite la constante avec laquelle certaines fleurs s’ouvrent et se ferment avec des mouvements périodiques spontanés et à heure fixe.
Pouvez-vous nous en parler de votre projet « Flower clok » ?
ML : C’est un véritable défi qui inclut également que « le dresseur d’abeilles» puisse entraîner ses abeilles à se diriger vers certaines fleurs à différents moments de la journée. En tant que spectateur et devenu observateur au fur et à mesure de la promenade, nous suivons le cycle de ces petits insectes. Je fais une induction qui permettra au public de se mettre à la place des abeilles et de commencer à percevoir d’après leur point de vue. De même, on utilisera les miels issus du monde entier pour y créer les oeuvres d’art présentées lors de l’exposition.
Quelle est l’ambition, l’objectif de cette oeuvre ?
ML : Je pense que nous sommes souvent aveugles et sourds à ce qui nous entoure. Mon intention à travers ce travail est d’éveiller le public à la compréhension de l’interconnexion des choses. C’est en prenant conscience du lien évident entre toutes choses que l’on peut commencer à avoir plus d’empathie pour ce qui nous entoure. Cette empathie permet ensuite d’amener le public à envisager les questions environnementales.
-> L’exposition se déroule en ce moment à la Fondation Joan Miró à Barcelone jusqu’au 20 mai 2018. L‘installation Flower Clock fait elle-même partie de l’exposition.
Vous définiriez-vous comme un activiste ?
ML : Oui mais au lieu d’employer le terme d’activiste, je dirais plutôt un catalyseur puisque l’activiste se bat contre, ce qui n’est pas mon cas. Vous savez, si vous pouvez influencer les gens, vous pouvez créer encore plus d’énergie que si vous vous battiez seul pour une cause. J’aime pouvoir impliquer le public avec mes oeuvres. Cela devient alors une expérience immersive multi-sensorielle, une expérience d’incarnation. Si l’idée, la cause pour laquelle on se bat reste au stade du concept intellectuel, elle ne peut pas toucher réellement le public et elle se fait alors vite oublier.
Vous pourrez retrouver l’actualité de Marcos Lutyens ici
Pour aller plus loin : Marcos Lutyens, " Memoirs of a Hypnotist: 100 Days " , Sternberg Press, 2015
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