Société
Quand le suicide frappe l’entourage
Le suicide un sujet tabou !
En France, plusieurs milliers de personnes sont touchées par la violence du suicide d’un proche. Cette forme de mort emporte près de 9000 personnes par an, et c’est sans compter les appels au secours qui s’élèvent à plus de 160 000 selon le site de santé publique France.
Un constat s’impose, notre société en parle peu. Pourquoi en arriver parfois au bout d’une corde ? Courage ou lâcheté, là n’est sans doute pas la question. Fatigue ? Si oui, comment prévenir cette minute trop lourde à laquelle certains succombent ? Est-ce seulement possible ? Et comment survivre à cette mort pas comme les autres pour celui qui en est le spectateur direct ?
Le dialogue : un moyen de prévention
Lever les inquiétudes envers quelqu’un en souffrance psychique passe par la parole. On connait le pouvoir du verbe, il convient donc de choisir ses mots avec un grand soin, car la parole est un outil qui peut aussi aggraver la situation. Identifier les émotions et les derniers événements qui ont intensifié la douleur de vivre d’un proche permettra d’atténuer la tension. À l’inverse tenter de faire relativiser celui qui est en crise suicidaire reviendrait à l’enfoncer dans son marasme moral.
Oui, on peut avoir des enfants, un beau métier, être entouré et vouloir en finir. L’apparence n’a rien à voir avec les failles internes. La clef est donc d’engager un questionnement avec délicatesse et de ne surtout pas renvoyer l’autre à son incapacité d’assumer son pacte de vie.
Quels pourraient être les mots justes ?
Oser demander si dans la souffrance dont on peut être témoin, l’autre a déjà pensé mettre fin à ses jours. Quelles seraient les idées noires qui l’auraient traversé ? Ses propres gestes l’auraient-il déjà mis en danger ? Les réponses seront autant d’indicateurs pour orienter vers une prise en charge adaptée et surtout tendre une main ferme.
Cependant, le suicide fait peur et malgré toute l’écoute et l’attention que l’on peut avoir envers un proche en souffrance, il est parfois impossible d’accepter qu’il ne soit plus dans la vie. Le déni est alors un mécanisme de défense.
De l’idée du suicide au passage à l’acte
Une détresse évidente
L’idée du suicide germe telle une petite graine comme la solution à une souffrance psychologique installée. Les causes varient bien sûr d’un individu à l’autre et je ne parlerai pas ici de l’histoire de chacun. Cependant, quelle que soit notre constitution chimique, cette idée du suicide aurait traversé les esprits les plus sains !
Les phases qui vont crescendo
La graine peut prendre racine en termes de fantasme comme la seule solution pour résoudre un problème. Puis l’idée s’installe avec une intention réelle tout en ayant peur de perdre le contrôle. Quand tout le stock de solutions envisagées pour pallier sa souffrance est épuisé et que seul le suicide reste la porte de sortie fantasmée, il y rumination avec un plan d’attaque : c’est-à-dire les moyens pour mettre un terme à la souffrance. Dans la cristallisation, la personne en souffrance programmerait plus précisément son geste : comment, où et quand !
Le passage à l’acte
Si la personne en souffrance n’a pas reçu d’aide, le risque de mettre en application son plan a toutes les chances de devenir un passage à l’acte.
Ce processus peut s’échelonner entre deux mois et deux ans et développer plus rapidement chez les personnes qui sont fragilisées par une maladie mentale et/ou en cas d’antécédents de tentatives de suicides.
Cependant, aucune des personnes désespérées qui a réussi son coup n’est revenue témoigner.
Ont-t-elles regretté leur acte à la minute où celui-ci les a plongées dans les ténèbres ? Ce que des proches ont pu cependant notablement observer c’est une amélioration paradoxale et soudaine quelques jours, heures avant le drame. Devons-nous comprendre là que la décision de passer à l’acte est une volonté d’arrêter la souffrance plus que de mourir ? Que l’euphorie qui s’ensuit relève du soulagement à venir ?
Et les endeuillés, alors ?
Le travail de deuil d’un suicidé requiert bien des tâches. S’il s’agit de vivre avec l’absence de l’autre comme dans toute autre perte, le traumatisme est ici composé d’absurde, d’horreur et de mystère. Après le choc, peut se développer un syndrome de stress post traumatique. C’est la réaction au traumatisme initial sous la forme d’images intrusives, cauchemars et de flash incessants.
Une quête de sens
Par ailleurs c’est tout de même le seul deuil où on pleure une personne qui est à l’origine de son propre décès. Une quantité d’interrogations nait.
La conviction que l’on n’a rien vu venir, qu’on aurait dû faire la différence ou que l’on n’a pas compris la langue que parlait la personne suicidée sont autant d’évidences barbares pour notre esprit.
S’ajoute la culpabilité avec une couleur et une intensité qu’aucun autre deuil ne fait traverser dans son processus de cicatrisation psychique.
La valorisation que l’on porte sur soi est profondément affectée par la possibilité d’un jugement extérieur. Si ce n’est pas arrivé à cause de soi c’est arrivé pendant que l’on était dans la vie de la personne suicidée. Autant de regards accusateurs qui peuvent se frayer un passage dans nos pensées. On ne retrouve d’ailleurs nulle part une aussi puissante atteinte à l’estime de soi que celle occasionnée par le suicide d’un proche.
La recherche de réponses
Pourquoi ? La question tourne en boucle tel le hamster dans sa roue et y trouver une réponse est vital. Est-ce pour faire taire l’idée affreuse et insidieuse qu’on aurait donc eu sa part de responsabilité dans ce scénario sordide ? En partie. Avant d’aller plus loin dans ce deuil il y a la volonté de donner une cohérence à l'aberrant pour ensuite s’abandonner sur un chemin de deuil plus accessible.
Omni-recherche
Quand la personne a-t-elle décidé ? Y pensait-elle déjà la dernière fois que l’on s’est vus ? A-t-elle laissé une lettre qui expliquerait son geste et ôterait un peu de ce sentiment de culpabilité que l’on ressent inévitablement ? Car ce qui passait inaperçu à l’époque apparait rétrospectivement évident. On réalise qu’on nous avait bien murmuré une intention d’en finir, mais on n’avait rien vu parce que l’on est humain !
Il y a ceux qui explorent tout ce qui concerne la dynamique du suicide et deviennent des chevronnés en la matière jusqu’à convoiter le mode opératoire. Ils sont au courant de tout ce qui est connu sur la dépression et autres troubles. Souvent, rien ne permet de venir au bout de l’enquête sur le sens.
C’est ce temps de recherche parfois obsessionnelle qui rend le travail de deuil assez long après le suicide d’un proche.
En conclusion
Le suicide n’est ni un acte de lâcheté, ni de courage. Il relève peut-être d’un non-choix. La personne qui passe à l’acte a un ressenti et une émotion qui le poussent à quitter la vie. En amont, une bataille usante contre des démons intérieurs et cela demande un immense respect. Si certains n’annoncent par leur geste, c’est-à-dire choisissent une méthode violente, toutes les tentatives doivent être considérées comme un appel au secours.
En ce qui concerne l’endeuillé, il mérite une attention particulière. Il est évident que cette forme de mort le transforme à vie. Mais aussi sordide et absurde soit-elle, elle n’altère pas le potentiel de résilience que possède chaque être humain.
Sylvaine Allié est praticienne en neuro-training à Paris.
Sources : Sylvaine Allié Une dernière cigarette & Dr Christophe Fauré, Après le suicide d’un proche chez Albin Michel
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