Serions-nous tous narcissiques ?
Des petits et grands Narcisses
A travers l’engouement pour les réseaux sociaux, et l’étalage constant de nos vies et visage à force de selfies, qui échappe aujourd’hui au narcissisme ?
Le serions-nous tous devenus par la force des choses ?
Comment se repèrent les narcissiques les plus dangereux, les plus à même de nous faire du tort ?
Que dire et penser du narcissisme des hommes politiques ou des dirigeants des grands groupes ?
Pour tout comprendre du narcissisme et de ses différents teints, nous avons rencontré le professeur Jean Cottraux, docteur, psychiatre et l’auteur de « Tous narcissiques ! » (Odile Jacob, 2017)
- Serions-nous tous narcissiques ?
- JC : Oui tous, à des différents degrés. Il y a, cependant, différents types de personnalités narcissiques et certains sont plus préoccupants que d’autres. Ce que nous voyons dans les cabinets, ce sont des narcissiques instables ou alors des victimes de narcissiques malveillants. Je présente dans mon livre, une liste de gens sous l’emprise des pervers narcissiques, qui sont très bons pour attirer et rejeter les gens. Notre travail est de leur apprendre à se détacher d’eux ou d’elles, à quitter leur tyran.
Quelles sont les différentes personnalités narcissiques ?
Les 3 profils des personnalités narcissiques
1. Le narcissique malveillant, le pervers narcissique, qui est un prédateur. Il fonctionne sur un mode psychopathique transgressif, mais il sait aussi bien s’adapter à la société. Le pervers narcissique est un prédateur dissimulé, ce qui en fait le plus dangereux. Parmi eux, on trouve les harceleurs sexuels et toutes les autres personnes toxiques. Ces personnalités estiment qu’elles ont tout le temps raison, ce qui fait que la thérapie est complètement impossible avec elles.
2. Le narcissique dépressif et instable. C’est quelqu’un qui compense une faille narcissique par une espèce d’ambition démesurée, une image de soi impressionniste, un manque total d’empathie pour les autres ou qu’ils utilisent à ses propres fins.
3. Le narcissique charismatique et séducteur, qui se rapproche de la normalité et qui opère une balance entre ce qui est centré sur lui et ce qui est pour les autres.
- Pourquoi avoir eu envie d’écrire sur les narcissiques ?
- Jean Cottraux : C’est un thème que l’on rencontre constamment quand on est psychiatre, mais également dans la vie à travers les relations sentimentales et sociales. Toutes les relations sociales sont narcissiques, puisque par définition, on créé des différences. J’ai commencé au plus bas de l’échelle, et c’est en montant les échelons dans les entreprises ou hôpitaux, que l’on rencontre des gens tout à fait narcissiques.
Comment reconnaître les personnalités narcissiques ?
Où sévit le narcissisme ?
- On trouve des personnalités narcissiques dans les sciences ?
- Jean Cottraux : Il y en a beaucoup dans les sciences ! Par exemple, il y a eu le scientifique Bruno Bettelheim, qui était habile socialement et trafiquait ses données et son CV. Un autre, dans les années 40-50, avait produit une thèse avec de fausses données en disant que le QI était génétique. Comparé au monde de la science, dans le monde politique, le narcissisme d’une personne saute aux yeux de tout le monde, parce que l’on est dans l’admiration, l’adulation, la quête de puissance, du pouvoir, de la reconnaissance, tout cela dans le miroir télévisé des médias.
- Concernant la politique et l’actualité, vous dites que « le terrorisme est venu des pays musulmans, que le 11 septembre c’est le narcissisme culturel islamique qui a frappé en plein cœur le narcissisme occidental »
- Jean Cottraux : Oui, c’est une évidence. Cela a même été reconnu par les officiels américains de l’attentat du 11 septembre, qui ont qualifié cet attentat de « faible en technologie, mais haut en concept ». Après avoir ressenti l’humiliation des deux guerres successives du Golfe, ils ont humilié les USA. Sans porter de jugement sur les deux partis, ce que nous voyons dans les faits, c’est un affrontement de narcissisme culturel. C’est important de le dire. Chacun a sa part de responsabilité, dont l’Occident, qui n’a pas su négocier ce passage historique pour des raisons économiques. Il faut aussi avoir une réflexion là-dessus pour résoudre le problème.
Qui sont les pervers narcissiques ?
- Comment devient-on un pervers narcissique ?
- Jean Cottraux : C’est souvent quelqu’un qui a eu une éducation loupée.
Il y a deux façons de fabriquer des narcissiques. Soit une absence de frustration dans l’éducation avec une valorisation permanente de ce qu’il est. Quoiqu’il fasse il a toujours raison. L’autre façon, ce sont les familles où les parents demandent trop à l’enfant et qu’ils lui fixent des objectifs très difficiles à atteindre sans jamais être satisfaits.
C’est là où vous trouvez le narcissique instable. Je rajoute que pour le narcissique malveillant, il peut y avoir des traits génétiques puisque l’on sait que la psychopathie a des aspects génétiques. Ca va être un psychopathe camouflé, c’est-à-dire quelqu’un qui ne va pas prendre un fusil pour braquer une banque, mais qui aura la même philosophie.
- On entend beaucoup parler de pervers narcissiques. Et les perverses ?
- JC : Statiquement, on compte deux-tiers d’hommes et un-tiers de femmes. Les femmes ne sont pas non plus en reste à la tête des entreprises. Bien que les perverses narcissiques existent, c’est toutefois un trait qui est plus masculin. De même, la personnalité psychopathique, transgressive et sociopathique est plus masculine dans son ensemble. En revanche, les femmes sont plus dans le narcissisme instable, l’oscillation entre la dépression et la grandiosité.
Les personnalités narcissiques sont-elles toutes nocives ?
Churchill vs Hitler
- Vous comparez un personnage narcissique célèbre, Hitler, avec d’autres personnalités du paysage politique international d’aujourd’hui. Pourquoi ?
- JC : Il y a un narcissique, encore plus célèbre aujourd’hui, c’est Donald Trump, qui rassemble tous les critères du narcissique. Il a même ce que l’on appelle les critères de la triade noire : machiavélisme et manipulation, le narcissisme et la psychopathie. C’est quelqu’un qui a été décrit par son biographe comme un sociopathe et un prédateur. Ceci dit, au sommet des états, on trouve assez fréquemment ce type de personnalité, tous les politiques sont narcissiques.
Tout ce que peut l’on peut faire, en tant que citoyen, c’est élire un narcissique qui pense autant au bien du pays et des autres qu’à sa propre gloire personnelle. Un exemple de grand leader narcissique et bienveillant, c’était Churchill. Il avait d’énormes problèmes psychologiques, mais il a su les mettre de côté pour en faire quelque chose.
Leader serviteur vs Leader-toxique
- Dans le monde du travail, quels effets une personne narcissique peut avoir sur l’entreprise et comment elle se repère ?
- JC : Sur ce sujet, j’ai écrit dans le livre une pièce de théâtre intitulée « le bal des faucons ». Le faucon est celui qui voit loin et qui est assez habile pour entraîner une équipe derrière lui. Les chefs d’entreprise sont des faucons, dans le sens où ce sont des narcissiques visionnaires, qui veulent transformer les choses et sont capables de rassembler des troupes.
En se mettant au service des autres, dans cette position de leader-serviteur et en étant efficace, c’est à la fois bénéfique pour l’entreprise, mais aussi pour leur image et gloire personnelles (conf. Churchill).
Ceux dont on doit se débarrasser dans les entreprises, ce sont des narcissiques prédateurs et malveillants, qui tissent leur toile dans l’ombre et qui peuvent faire de gros dégâts !
Les narcissiques instables peuvent aussi faire de gros dégâts dans l’entreprise, parce qu’ils peuvent déprimer au moindre échec. Ils ont toujours besoin d’un accompagnement et d’une aide. Ce qui n’est pas optimal pour le fonctionnement d’une entreprise.
Comment les différentes générations manifestent-elles leur narcissisme ?
- Comment sommes-nous passés d’une génération silencieuse à la génération d’aujourd’hui, la génération « moi je » ?
- JC : C’est la faute de la génération des Baby-boomers. En élevant les enfants avec très peu de frustrations, ils sont devenus très égocentriques et cela s’est accentué autour du millénaire qui a vécu dans l’internet et les réseaux sociaux. Cela en fait une génération très centrée sur sa propre image. Une étude montre qu’il y a deux à trois fois plus de narcissiques dans la génération du millénaire que chez ceux qui ont plus de 65 ans ! Cela se retrouve sur le web où les gens vivent, uniquement, à travers les réseaux sociaux.
- Comment définiriez-vous le narcissisme de la génération des Baby-boomers ?
- JC : C’est le narcissisme du Prophète. Ceux qui ont tout inventé, mais qui au final laissent un monde qui n’est pas si formidable que ça.
- Quelle projection faites-vous sur la génération « moi je » pour les 10, 15, 20 ans à venir ?
- JC : C’est difficile d’en faire une. On peut dire qu’il y a deux générations du millénaire, qui est un peu l’une des thèses du livre, celle des occidentaux hédonistes et celle de Daesh. Ces deux types sont en train de s’affronter actuellement, ce sont des gens qui ont entre 20 et 30 ans. Le narcissisme de Daesh, c’est le narcissisme du héros martyr et rédempteur, qui s’est construit autour de l’humiliation des pays arabes suite aux guerres du Golfe. Pour eux, les occidentaux ont leurs responsabilités et doivent l’assumer. Ce sont les deux versants de la culture du narcissisme.
- Quelle génération narcissique voyez-vous venir après la génération « moi je » ?
- JC : Tout dépendra de l’évolution de la société et du monde, mais cela peut-être la génération des héros.
Pour aller plus loin: "Tous narcissiques", Jean Cottraux, Odile Jacob, 21,90 euros