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Publié le 17/11/2020, mis à jour le 27/06/2022
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Confinement et détresse psychologique, l’autre fléau de la Covid-19
La santé mentale, la grande oubliée de la Covid-19
Quelques chiffres
Selon la dernière enquête de Santé Publique France, notre taux d’anxiété général a doublé, passant de 13,5 % en 2017 à 26,7 % à la fin du mois de mars 2020. Dans les détails, on s’aperçoit que la proportion de personnes en état dépressif a, elle aussi, doublé en trois ans passant de 9,7 % à 19,9 %.
En parallèle, une étude sur le suicide de la Fondation Jean Jaurès vient conforter cette tendance. Selon les personnes interrogées, 20% ont déjà envisagé sérieusement de se suicider. Parmi eux, 25 % sont âgés entre 18 et 24 ans et trois catégories socio-professionnels ont un taux d’intention remarquable : les dirigeants d’entreprises (27%), les chômeurs (27%) et les artisans-commerçants (25%). Il est évident que la détresse économique sous-tend la détresse psychologique.
Rencontre avec le Professeur Nicolas Franck
Médecin psychiatre, chef de Pôle du centre hospitalier Le Vinatier, responsable d’enseignement à l’Université Claude Bernard à Lyon, Nicolas Franck est l’auteur de « La schizophrénie. La reconnaître et la soigner » en 2006, et « Entrainez et préservez votre cerveau » en 2013, ainsi que de nombreux autres articles et ouvrages scientifiques destinés aux professionnels de la santé mentale.
Son dernier livre ” Covid 19 et détresse psychologique.” chez Odile Jacob, traite du confinement instauré pour pallier l’épidémie de la Covid-19, et de ses conséquences psychologiques importantes.
De l’impact psychologique du confinement sur les adultes et les enfants
- Comment le confinement est venu troubler la santé mentale des Français ?
- Pr Nicolas Franck : Le confinement est venu troubler la santé mentale des Français par le stress qu’il a généré. A la mi-mars 2020, nous nous sommes retrouvés sidérés face à une situation où nous avons perdu tous nos repères.
Ensuite, nous nous sommes adaptés. Certains se sont sentis mieux et ont su tirer du bénéfice et du plaisir grâce à un quotidien qui fonctionnait bien, quand d’autres ont vécu des difficultés.
Ce stress a donc été vécu différemment selon notre degré de résilience et certains facteurs personnels (mode de vie et entourage). Mais en moyenne, ce stress a généré une altération de la santé mentale des Français.
Les 3 facteurs de stress de la Covid 19
Selon le professeur Franck, 3 facteurs de stress sont liés à la Covid-19 :
- La peur du virus et des conséquences très sévères sur la santé
- La restriction de circulation avec le sentiment d’être emprisonné chez soi
- La coupure sociale partielle ou complète, car certains sont confinés seuls.
- Comment avez-vous pu évaluer le bien-être mental de la population ?
- Pr Nicolas Franck : Grâce à une échelle de bien-être mental faite pour la population en 14 items avec des questions qui reflètent la manière dont nous nous sentons.
Cette échelle était insérée dans une enquête mise en ligne dès la 2e semaine de confinement et qui est restée ouverte jusqu’à la 8e semaine. Avec des dizaines de milliers de participants.
Cette enquête a montré que le bien-être mental des Français n’a cessé de diminuer au fil des semaines de confinement.
Pour rappel, on définit le bien-être mental comme le fait de se sentir bien, d’être en harmonie avec son environnement et d’avoir des objectifs que l’on peut atteindre.
- Vous soulignez également le niveau de stress important qui a été infligé aux enfants et adolescents. Vous mentionnez, à ce titre, une étude ayant mise en évidence un score de stress post-traumatique quatre fois plus élevé chez les enfants confinés que chez d’autres enfants qui ne l’avaient pas été.
- Pr Nicolas Franck : Tout à fait mais il n’y a pas seulement ça. Dans notre enquête, on apprend aussi que
Plus jeunes étaient les personnes, plus faible était leur niveau de bien-être mental
Le 1er confinement a été terrible pour les enfants qui se sont retrouvés à la maison avec une scolarité interrompue brutalement. Certains ont pu la poursuivre en ligne avec des enseignants très investis mais pour d’autres il n’y a eu pratiquement rien.
Même si les enfants s’adaptent et rebondissent, cela a vraiment été pour eux une épreuve de rupture très forte avec la réalité antérieure, et pour les plus petits une incapacité à se projeter dans l’avenir.
Autres personnes fragilisées : les étudiants, coupés de leurs familles et amis et contraints de vivre seuls dans de petites surfaces avec de petits moyens financiers. Pour eux également, cela a été très difficile à vivre et continue à l’être puisque le 2nd confinement réunit pour eux les conditions du 1er. Ce qui n’est pas le cas pour les enfants qui peuvent continuer d’aller à l’école.
- Pour les enfants qui sont en crèche, et même en primaire, le contact avec des instituteurs qui portent des masques n’empêche-t-il leur bon développement cognitif ?
- Pr Nicolas Franck : le plus délétère c’est pour les tout-petits parce que ne pas voir l’expression d’autrui ne permet pas d’établir des liens, de comprendre et de se construire. Je pense qu’il serait bien que les instituteurs et leur entourage portent des masques transparents avec eux.
Les enfants en primaire se débrouillent mieux, parce que leurs échanges passent par la parole.
De l’art de bien gouverner et de bien confiner
- Quelle est la durée idéale ou maximale d’un épisode de confinement pour qu’il soit efficace pour l’ensemble d’une population ?
- Pr Nicolas Franck : Il n’y a pas de durée idéale pour un confinement. Plus c’est court mieux c’est, car plus le confinement se prolonge, plus longtemps le stress se poursuit et plus le bien-être mental se détériore. Ce constat est l’objet de la 3e publication scientifique que nous tirons de notre étude, qui va être soumise dans les prochains jours à un journal scientifique international.
Mettre en place un confinement adapté, c’est bien aussi, parce que cela permet aux enfants de ne pas interrompre leur scolarité et aux personnes âgées en EHPAD de ne pas se retrouver isolées. Mais je pense qu’il faudrait en plus associer la population aux décisions en la préparant, faire en sorte qu’elle se les approprie et cela nécessite une communication plus large.
- Ne pensez-vous pas qu’il y a une utilisation abusive du confinement ? Est-ce que la solution est finalement pire que le mal ?
- Pr Nicolas Franck : Il ne faut pas forcément mettre en compétition ou en rivalité les différentes dimensions de l’épidémie. Il faut avoir une vision intégrative des choses et tenir compte des trois dimensions :
- Il y a la dimension de la réanimation, de la lutte directe contre l’épidémie et de ses conséquences les plus importantes, c’est-à-dire les cas les plus sévères avec une détresse respiratoire. Cela touche au maximum quelques pourcents de la population, mais ils sont la priorité numéro 1 parce qu’il faut assurer la survie immédiate des personnes.
- Les conséquences économiques et la détresse financière qui touchent beaucoup plus de monde.
- La santé mentale qui touche tout le monde, notamment les plus fragiles (ceux qui ont une fragilité psychologique antérieur à la Covid-19 et ceux qui vivent dans des conditions précaires). Pour ceux-là, il faut vraiment de l’aide, de la communication, de l’écoute et une aide médicamenteuse s’il y en a besoin.
- Que pensez-vous de la communication du gouvernement qui a été choisie au regard de la gestion de la pandémie lors du 1er confinement ?
- Pr Nicolas Franck : Pendant le premier confinement, il y avait eu une peur due à une grosse vague qui arrivait et dont personne ne savait quoi faire. La communication a été bonne, parce qu’elle a déstigmatisé les soignants et permis qu’ils soient valorisés et applaudis tous les soirs.
Pendant les épidémies antérieures, les soignants ont toujours été les premières victimes, parce qu’ils sont des vecteurs de transmission et que la population les rejetait pour cela. Ce sont eux qui vivent le plus de stress post-traumatique et de conséquences psychologiques en général.
- Que pensez-vous de la communication du gouvernement pour le 2nd confinement ?
- Pr Nicolas Franck : Les choses se sont érodées, parce que cet été il n’y a pas eu de préparation de la 2e vague. Les Français ont cru que c’était terminé et ont été très surpris de voir brutalement le retour du virus qui n’avait pas disparu. Comme toutes les épidémies saisonnières, la Covid-19 s’est redéveloppée au moment le plus propice, c’est-à-dire à l’automne, quand les températures commencent à se refroidir, quand les gens commencent à se regrouper. Je pense qu’il aurait été intéressant de mettre à profit les 6 mois qui ont séparé les deux confinements pour préparer la population à la suite.
De plus, la 2e vague n’était pas une grande surprise et pourtant c’est ainsi qu’on l’a vécue. Comme si on avait fait preuve de déni le plus tard possible et d’un seul coup on impose des mesures. Ce n’est pas une très bonne communication.
Je suis plutôt favorable à l’éducation à la santé, à une communication très large en associant la population et à trouver des manières pour préserver la santé mentale et supporter les mesures.
Exemple simple ? Laisser ouverts les librairies et les espaces culturels des grandes surfaces comme en Allemagne et en Belgique.
Des clés de résilience pour vivre avec un virus
- Quelles sont les stratégies que l’on peut mettre en place pour résister aux situations de stress lors d’un confinement et limiter les dégâts sur le bien-être mental ?
- Pr Nicolas Franck : Il faut faire comme les astronautes et les spéléologues qui vivent ces situations de manière choisie. Il faut aménager notre emploi du temps, en essayant de se fixer des objectifs positifs quotidiens, et à plus long terme pour baliser toute la période du confinement. Il faut aussi garder les contacts sociaux et rester solidaire car vivre une épreuve à plusieurs c’est beaucoup plus facile que de la vivre seul.
- Vous donniez des exemples de pays qui ont mis en place une autre politique de gestion de l’épidémie, y a-t-il un pays dont nous devrions suivre le modèle ?
- Pr Nicolas Franck : La vraie question c’est de savoir comment laisser la vie continuer, comment pouvoir faire avec et rester dans quelque chose de positif pour nous tous au lieu de tout bloquer. C’est ce qui fait qu’on le vit encore plus douloureusement. On a la double peine : un risque de mourir et une mauvaise qualité de vie au quotidien, qui rejaillit sur notre bien-être.
Apprendre à vivre avec le virus est quelque chose qui aurait été plus intéressant que simplement attendre le vaccin qui vient d’arriver.
- Quel était état votre état d’esprit en écrivant ce livre ?
- Pr Nicolas Franck : Plutôt difficile au début. Je ne pouvais pas continuer à faire certains travaux habituels, à suivre les patients comme d’habitude, parce que c’était impossible et qu’en plus l’état d’esprit ne s’y prêtait pas.
En faisant ce livre, j’ai voulu me mettre en harmonie avec le contexte, à savoir un évènement mondial très inattendu et particulier. J’ai voulu essayer de comprendre ce qu’il se passait et surtout de comprendre comment la population allait y faire face. C’était la notion de résilience qui m’intéressait.
A titre personnel cela m’a aidé en me fixant un objectif, et j’ai essayé d’être utile pour les autres en donnant des conseils pratiques.
- Un dernier mot ?
Pr Nicolas Franck : L’humanité a vécu plein d’épreuves dont des épidémies, et elle y a toujours fait face même quand elle n’avait pas de vaccin. Il faut donc se projeter, savoir que cette crise aura une fin et que nous allons la surmonter collectivement.
Must read : Covid-19 et détresse psychologique. 2020, l'odyssée du confinement. Nicolas Franck aux éditions Odile Jacob. Propos de Nicolas Franck recueillis par Amal Dadolle
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