Le temps où les seniors étaient perçus comme des sages que l’on écoutait religieusement a disparu. Si le terme de vieux était somme toute objectif pendant longtemps, on peut reconnaître aujourd’hui qu’il porte un ressenti négatif.
Disons-le crûment, la société n’aime pas les vieux (sauf en tant que consommateurs).
Son penchant va vers la jeunesse et ce qu’elle représente: l’avenir glorieux, la performance, la beauté des corps et une santé apte à relever les défis sportifs ou professionnels.
A 89 et 82 ans, Paule Giron, ancienne journaliste, et Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et anthropologue, s’insurgent contre ces préjugés dans leurs différents ouvrages.
Dans «Créer sa vieillesse» (InPress), Paule Giron met à nu les préjugés sur les vieux et la vieillesse pour en présenter une vision radicalement autre et rafraîchissante.
Geneviève Delaisi de Parseval quant à elle, rappelle dans «L’art d’accommoder la vieillesse» (Odile Jacob), que le regard sur les vieux a toujours été paradoxal.
Ou ils sont perçus comme des sages bienveillants complices de la jeunesse. Ou ils sont l’archétype des vieux aigris donneurs de leçons.
Ce paradoxe est loin d’être nouveau, puisque dès le Moyen-âge, il existait deux vieillesses:
Le terme «Senectus» désigne la vieillesse chaude, lucide, pleine de sagesse et d’expérience
Le terme «Decrepitas» désigne la vieillesse froide, faible de corps et d’esprit.
Ce paradoxe a le mérite de nous rappeler que si la vieillesse est un devenir naturel, elle est aussi un choix et une question: quelle vieillesse voulons-nous connaitre et vivre?
La réponse est naturellement de vouloir une vieillesse heureuse.
Pour ce faire, il convient de rappeler les avantages du troisième âge.
Pourquoi il est heureux d’être vieux!?
L’âge de la paix et de la tranquillité
Si la vieillesse est le temps des difficultés physiques et/ou cognitives, elles n’en sont pas pour autant les uniques marqueurs de la vieillesse.
Montaigne est le premier à mettre en lumière un bon sens oublié. La vieillesse c’est la fin des tourments, des doutes existentiels et des indécisions. C’est, enfin, le temps de la paix et de la tranquillité.
Cette paix et cette tranquillité ne sont pas forcément synonymes d’ennui. Pas quand on a conscience que nous sommes plus proches de la fin que du début. Car cette conscience de la mort rend forcément la vie et le quotidien plus intenses.
En plus de la tranquillité, la vieillesse apporte une vraie liberté face aux contraintes sociales. Elle est le temps où nous pouvons nous permettre d’agir en fonction de nos désirs profonds.
De son côté, Paule Girond affirme:
«Depuis que j’avance en âge, j’avoue que rien de ce que je découvre n’est conforme à ce que l’on dit. Rien.»
Beaucoup vivent ou envisagent le fait de vieillir comme une punition. Et pourtant, vieillir n’est pas mourir, c’est juste un nouveau cycle de vie qui s’accompagne d’un nouvel art de vivre.
C’est celui de la prise de recul, du discernement et du grand bilan de vie où l’on retrace son passé avec la maturité des années pour mieux comprendre ses choix. Dans le but de seulement toujours mieux se connaître et de toujours mieux s’aimer.
L’âge de la sagesse
Pour Geneviève de Parseval, vieillir c’est relire sa vie.
C’est un travail qui nous rend à nous-mêmes, et qui nous permet également de nous ôter de vieilles habitudes ou stéréotypes acquis dès l’enfance que nous n’avions jamais remis en question. En somme, c’est le temps de la sagesse.
Qui dit sagesse, dit grandes questions. Dont une, funeste mais inévitable, celle de la mort. C’est ce questionnement précis qui rapproche les vieux de Dieu, de la religion ou de la spiritualité. Cette attention portée à la foi n’est pas qu’un simple cheminement intellectuel, c’est un besoin.
A ce propos, Paule Giron rapporte une anecdote parlante à propos d’une jeune femme mourant du SIDA. Celle-ci savait ses jours comptés, et seule la lecture de l’Evangile l’aidait à surmonter ces angoisses dans ses derniers moments. Cela m’oxygène disait-elle.
«Dieu à un moment n’est plus vraiment une question de choix, on en a besoin comme on a besoin de l’eau et de l’air en somme».
Quand nous vieillissons, notre corps ralentit. Nous devrions respecter cet état naturel, qui invite à la contemplation et apporte une profondeur d’âme et un discernement de l’esprit.
Cependant, cet état naturel n’est pas toujours apprécié, car il implique d’affronter une blessure narcissique: celle de la transformation de son corps.
Comment accepter de se voir vieillir?
Rester la même personne
Ce qui est difficile dans le fait de vieillir est de se voir changer physiquement.
Pour surmonter cette blessure narcissique, le meilleur chemin est de rester connecter à ce que Geneviève Delaisi de Parseval appelle «son noyau jeune».
Le noyau jeune consiste à rester soi et ouvert.Cela comprend de pouvoir à la fois:
Garder le désir intact.
Rester surpris par ce qui arrive.
Avoir du sens de l’humour, le meilleur antidote face à l’adversité.
Prioriser le principe de plaisir, quitte à oublier celui de réalité.
Entretenir l’amour de soi.
Comme en témoigne l’anthropologue et psychanalyste, ses goûts, ses projets et désirs de femme de 80 ans sont les mêmes que ceux de la femme qu’elle a été à 40 ans.
Cet état d’esprit inchangé et cette connexion mentale avec la vie, apaisent sa relation avec un physique vieillissant.
Au final, peu de choses ont changé, si ce n’est la nécessité de s’appuyer sur plusieurs prothèses:
Une prothèse psychique (les livres, ses connaissances de psychanalyste)
Une prothèse cognitive (elle utilise Google en cas de trou de mémoire).
Et une prothèse corporelle (la médecine fait de merveilleuses prothèses actuellement).
Trouver du sens et du lien
Deux autres outils aident à mieux accepter et vivre sa vieillesse (et pas seulement son reflet), et que l’on retrouve au fondement de tout principe de résilience: le lien et le sens.
Pour surmonter une épreuve quelle qu’elle soit, il est important d’avoir des relations humaines de qualité. De s’entourer de quelques personnes avec qui ont partage des liens sincères d’amour, amicaux et chaleureux.
Quant au sens, on le trouve généralement après une relecture de sa vie et du fil rouge qui nous a conduit où nous sommes.
En dehors de ce travail intime, il est certain que nous accepterions mieux notre vieillesse, si la société pouvait changer son regard sur elle. Après tout, ne pas reconnaître la valeur des vieux en termes de savoir et de l’expérience, est un immense gâchis puisque c’est tout l’intérêt général qui en pâtit.
Comment prendre soin des vieux?
Au même titre que la question de l’égalité homme/femme, si nous mettons de côté une partie de l’humanité, comment la vie peut être viable? C’est exactement la même logique pour ce qui concerne les différentes générations. Mettre de côté une partie de la société, c’est ni plus ni moins que s’amputer.
Pour Paule Giron, ces maisons de retraite ou EHPAD qu’elle qualifie de mouroirs en disent long sur le peu de considération que nous avons pour nos vieux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que beaucoup de gens meurent après trois à six mois de résidence dans ces établissements. Ils ont l’impression d’être mis sur la dernière ligne droite, un mouroir.
Que proposer d’autre pour nos vieux?
Paule Giron ne manque pas d’idées:
«Qu’attend-on pour que ces mouroirs deviennent des lieux de vie? Des lieux où l’on fait entrer la culture, des livres, de l’art, de l’histoire, des voyages, de la réflexion, de la rigolade, de l’humain en somme, qui vous assure de mourir dignement? (…)Un vieux n’aurait-il plus rien à dire sur rien? Et n’aurait-il rien, plus rien à apprendre? Ni sur lui-même ni sur les autres?»
La vieillesse n’a rien de l’horreur que l’on veut bien nous décrire, la responsabilité des anciens est de l’accepter et de faire passer le message aux plus jeunes. Les vieux devraient également nous rappeler qu’ils sont notre avenir, que nous sommes tous mortels.
En acceptant la réalité de la mort, et du mouvement permanent de la vie entre morts et naissances, nous comprenons que celle-ci est fragile.
C’est ce qui nous rend vivants et nous rappelle que la vie est précieuse et se doit d’être appréciée et vécue peu importe le cycle de vie dans lequel nous sommes.
Sources : Paule Giron, Créer sa vieillesse, Editions InPress, 2018
Geneviève Delaisi de Parseval, L’art d’accommoder la vieillesse, Odile Jacob, 2022
Pour lire cet article, abonnez-vous gratuitement ou connectez-vous