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Publié le 07/07/2020, mis à jour le 12/01/2023
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Jean-Claude Kaufmann : le consentement et la sexualité dans le couple
Rencontre avec un sociologue de la vie de couple
Pas envie ce soir
En 2018, l’Ifop réalise une étude sur la satisfaction sexuelle des Européennes à l’occasion de la journée de l’orgasme (21 décembre) qui dévoile un étrange paradoxe au sujet des Françaises. Alors que près d’1/3 d’entre elles se déclarent insatisfaites sexuellement, ce sont pourtant les Françaises qui sont les plus ouvertes dans leur pratique sexuelle et les plus actives.
Sans pouvoir répondre totalement à ce paradoxe, nous détenons peut-être des clés pour mieux le comprendre grâce à Jean-Claude Kaufmann.
Sociologue, directeur de recherches au CNRS, Jean-Claude Kaufmann est également l’auteur de nombreux ouvrages sur le quotidien et la fidélité dans la vie conjugale. Son dernier ouvrage « Pas envie ce soir » est une enquête éclairante sur l’articulation du désir entre l’homme et la femme et la question du consentement dans le couple.
Dans notre entretien, Jean Claude Kaufmann décrit comment l’évolution des mœurs dans la sexualité a impacté les relations amoureuses et quels sont les écueils à l’épanouissement et à l’expression du désir féminin. En fin de partie, il nous explique également pourquoi la situation conjugale amène à l’infidélité et le carcan monogamique au polyamour.
Ce qui change avec #MeToo
- Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
- JCK : Il y a des sujets que je prépare à l’avance et d’autres qui me tombent dessus suivant l’actualité des évènements, comme l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo pour mon livre « Pas envie ce soir ».
- Depuis des siècles et des siècles, les rituels de séduction consistaient pour l’homme à forcer les défenses et les barrages mises en place par la femme. L’art féminin c’était de céder progressivement même si le désir était là. D’un coup, #MeToo révolutionne complètement cette histoire-là, il faut partir du consentement des personnes alors que les échanges dans la séduction ne passent pas toujours dans la parole mais dans les gestes et les baisers. Dont les baisers volés.
- Le couple étant mon sujet d’enquête depuis très longtemps, j’ai donc décidé d’enquêter là. On se dit, tout de suite, que cela fait bizarre d’évoquer le consentement dans le couple. Or depuis #MeToo, il faut s’interroger et se demander comment cela se passe dans l’articulation du désir de l’un et du désir de l’autre : est-ce que c’est toujours harmonieux ? Dès que je suis entré dans l’enquête j’ai vu que ce n’était pas harmonieux du tout.
Retour sur le mythe de la sexualité conjugale épanouie
Un gouffre entre la fable sociale et la réalité dans l’intimité
- Dans votre enquête vous soulignez un certain nombre de fables que la société se raconte comme la fable de la sexualité épanouie ou encore celle de l’égalité. Y a-t-il un mal-être sexuel en France ?
- JCK: Ces fables ont une part de vérité et sont en même temps utiles. C’est bien de raconter des fables aux enfants. Cela permet de se lancer dans un univers de désir, mais il est important de ne pas prendre la fable pour la réalité.
Le vrai problème n’est donc pas tant les fables que notre enthousiasme collectif qui les a transformées en injonctions. Ce discours est devenu tellement prédominant que nous avons tous l’impression que tout le monde a une vie sexuelle super active et ultra performante.
- JCK : La fable de la sexualité épanouie est extrêmement utile parce qu’il y a un siècle, la fable de la sexualité n’était pas épanouie du tout. Toucher à la sexualité, c’était entrer dans les interdits, les mystères, les angoisses, cela provoquait des névroses, ce qui a donné beaucoup de travail à Freud.
- Par rapport à cette époque-là, on a vraiment avancé. On en parle beaucoup plus facilement dans les médias et les espaces publics. Mais à l’intérieur du couple, c’est vraiment beaucoup plus difficile et on est loin de l’épanouissement et de la liberté de parole par rapport à la sexualité.
De ce paradoxe, Jean-Claude Kaufmann a constaté qu’il en ressort une énorme culpabilité de la part des femmes, mais aussi des hommes, qui ne répondent pas aux normes de la fable. A cause de cette culpabilité, beaucoup décident de se forcer parce que la première chose qu’ils se disent est : « c’est de ma faute, je dois payer d’une certaine manière ».
- JCK : Il faut lever ce tabou. La fable qui a été trop loin est celle qui crée de la souffrance et fait du mal. Un peu de fable c’est bien, mais il faut rester ancré dans la réalité.
Tous perdants
- Le mythe de la sexualité épanouie se pose uniquement au féminin ?
- JCK: La sexualité est plus facile pour les hommes puisqu’ils continuent d’être en situation de confort et de domination dans le couple d’aujourd’hui. Dans leur situation, ils ne veulent parfois pas voir les signaux qui sont envoyés par les femmes pour exprimer leur non-consentement.
- Au lieu de s’exprimer par la parole (qui est un signal fort) les femmes vont exprimer leur non-consentement par un langage corporel : en se retournant ou en restant très passive, du style « je fais la morte. » Pour elles, elles ont envoyé un message de non-consentement à l’homme : je te laisse faire mais c’est un peu contre moi parce que je n’ai pas de désir.
- Face à cela, il y a des hommes qui ne veulent pas voir et il y a beaucoup d’hommes qui ne comprennent pas et qui se disent « ce n’est pas terrible mais c’est comme ça que ça marche ».
Conclusion ? En plus de l’énorme culpabilité des femmes à ne pas être des performeuses au lit, les hommes cachent leur incompréhension et leur frustration devant le manque d’enthousiasme de leurs conjointes, Il y a énormément de non-dits et d’interprétations, dont une importante : les hommes estiment que les femmes les rejettent si elles ne désirent pas faire l’amour aussi souvent qu’eux.
- JCK : Qu’une femme ne veuille pas de rapports sexuels avec un homme parce qu’elle n’est pas (ou plus) attirée n’est pas toujours faux bien sûr, mais la plupart du temps, ce n’est pas ça du tout. Et elles le disent dans mon enquête : « j’aime mon partenaire, il est beau, je suis bien avec lui, mais pour le désir ce n’est pas ça. » Ce n’est donc pas un désamour, mais les hommes le comprennent comme tel.
Les 4 cas de figure de non-consentement
Du décalage des désirs au viol conjugal
- Comment s’installe une situation de non-consentement ?
- Il y a très souvent une baisse de libido et un décalage des désirs, notamment avec l’arrivée d’un enfant, mais cela a commencé même avant la naissance.
- Cette baisse de libido est très variable selon les femmes. Cela va être un petit peu moins de désir pour certaines, quand pour d’autres cela va être une chute vertigineuse de leur désir, sans qu’elles ne comprennent pourquoi.
- Par culpabilité et par peur des répercussions (je vais le perdre si je le frustre), ces femmes s’obligent à se forcer un peu sans jamais rien exprimer de leur non-désir. De plus, beaucoup se disent que les concessions font partie de la vie de couple, et comparent le fait de faire l’amour à faire du ménage.
Chiffre intéressant : Jean-Claude Kaufmann estime que dans 10 % des couples, on assiste à la situation inverse : ce sont les hommes qui connaissent une baisse de libido par rapport à leurs conjointes.
- Vous décrivez plusieurs graduations de situation et de vécu en termes de rapports non désirés. Pourriez-vous nous les résumer ?
- JCK : Le 1er degré est celui où on se force un petit peu. Je n’en ai pas envie mais faut le faire. Toutefois, il peut arriver que le désir monte après les premiers préliminaires.
- Le 2nd degré c’est quand on rentre dans une pratique de simulation, quand on n’a vraiment pas envie des rapports et qu’il faut se forcer. Cette situation est plutôt très répandue aujourd’hui, et n’est pas saine du tout.
- Le 3ème degré c’est quand la femme entre dans une véritable souffrance et qu’il est grand temps d’en parler. Au début, se forcer un peu peut ne pas être un problème, mais le risque c’est que si la situation s’aggrave et que l’on a de moins en moins envie, on se force de plus en plus. Et plus l’habitude de ne rien dire est prise, plus il sera difficile de parler et alors on rentre dans une grande souffrance.
- Le 4èmedegré ce sont les viols avec violence et méchanceté.
La violence conjugale encore mal reconnue
31 % de l’ensemble des viols faits par le conjoint sont presque totalement impunis. Un chiffre dont on peut être assez certain qu’il soit plus important, puisqu’il est calculé en fonction du nombre de dépôt de plaintes. Or c’est plus compliqué de porter plainte contre son conjoint.
Dans le cadre de l’entreprise, ou d’une agression dans la rue on peut avoir des traces, des témoignages, des écrits ou des vidéos, mais dans un couple il n’y a souvent pas grand-chose. Jean-Claude Kaufmann donne l’exemple d’une jeune femme qui a déposé une plainte considérée comme nulle et non avenue parce que le policier a été convaincu par une histoire de sado-masochisme inventée par le mari.
- JCK : Il ne faut pas mélanger toute la zone grise (où l’on ne comprend pas les signaux de l’autre, et où il va falloir mieux communiquer pour exprimer les désirs et non-désirs de l’autre) avec la ligne rouge ou il y a des agressions et des viols.
- Ce n’est pas seulement dans le couple qu’il va falloir progresser, c’est aussi au niveau de la police, justice, des associations de soutien pour faire exprimer ces situations difficiles.
Comment expliquer la baisse du désir féminin ?
La routine
- Comment expliquer cette baisse de libido chez les femmes après un certain temps de vie commune ?
- JCK : Il n’y a jamais une seule explication, il y a toujours un faisceau d’explications où beaucoup de femmes expliquent que c’est la routinisation qui est à l’origine de la baisse de leur libido.
- On ne peut pas empêcher un minimum de routine dans un couple parce que c’est ce qui rend la vie confortable. Le problème, c’est quand la routine devient complétement envahissante et quand il n’y a pas l’autre temps de l’existence, c’est-à-dire le temps de la présence forte, de la surprise, de communication et de l’attention à l’autre, sur ses attentes et ses désirs.
- On ne peut pas être tout le temps dans la surprise et la rupture avec le quotidien, sinon la vie conjugale serait épuisante mais il faut jouer sur ces deux temps : routine et moment de rupture, d’évasion.
La charge mentale
- JCK : Un autre élément essentiel, c’est le jeu de rôle à l’intérieur du couple, où il y a encore une forte inégalité dans le partage des tâches.
- Alors que les hommes vont dans le sens de la décontraction, du bien-être immédiat, les femmes sont au centre du foyer par leur corps parce qu’elles font l’essentiel des tâches ménagères et par leur esprit parce qu’elles nourrissent de fortes attentes pour leur vie conjugale, le soin des enfants et l’entretien de la maison. D’où une charge mentale qui génère fatigue et angoisse, et ne leur donnant pas la disponibilité nécessaire pour que le désir apparaisse.
Puisque c’est l’environnement et le contexte qui sont à l’origine de la baisse du désir féminin, alors ce problème n’est pas insoluble. Quand le couple retrouve des moments de surprise, de complicité ou quand il y a une rencontre imprévue avec un autre partenaire, alors le désir se réveille. La culpabilité disparaît dans la foulée, parce qu’on comprend que le problème ne venait pas du tout de soi, mais du contexte.
Quelles sont les solutions pour conserver ou réveiller le désir ?
Les illusions du polyamour
- Le polyamour peut il être une solution pour fuir la routine ?
- JCK : Le polyamour est très à la mode aujourd’hui. C’est une solution alternative un peu rêvée chez beaucoup de jeunes aujourd’hui. Pourquoi s’attacher au carcan monogame qui va nous enfermer dans une routine et qui peut tuer le désir ?
- Ceci dit le polyamour devient plus compliqué quand il y a des enfants. C’est plus facile dans les débuts du couple. Mais très souvent il y a une marge importante entre le rêve « ça serait bien le polyamour » et la mise en pratique qui s’avère beaucoup plus difficile, et qui bute sur des jalousies. Dans une relation polyamour, on ne devient pas plus apaisé et serein.
La nouvelle force encore peu reconnue du couple
- Quelles sont les limites du polyamour ?
- JCK : On n’arrive pas à mettre en pratique le polyamour parce qu’il y a une nouvelle fonction cachée du couple d’aujourd’hui, qui est extrêmement importante et qui continue à se développer : le couple est fondé sur une relation de confiance mutuelle, de reconnaissance mutuelle, qui nécessite une certaine exclusivité et c’est pour ça que ça se combine assez mal avec le polyamour.
- Le partenaire conjugal remplit le rôle de thérapeute à domicile, de premier fan. C’est lui qui redresse notre estime de soi et notre moral.
Si cette nouvelle dimension du couple est apparue, Jean-Claude Kaufmann l’explique par la nature de notre société. « On vit dans une société très dure psychologiquement avec un système de concurrence agressive et d’évaluation systématique qui est très destructrice pour l’estime de soi. »
Lâcher-prise sur les injonctions à la performance
- Un dernier point avant de conclure : pourquoi la banalisation du porno a abîmé la relation intime ?
- JCK : Le porno et également les modèles, pas simplement sexuels mais d’injonction à la performance propagent l’idée que partout autour de soi ça fonctionne au maximum et que la sexualité est totalement centrale.
- Or c’est très variable et c’est à chaque couple de faire ses choix. Pour certains couples, la sexualité reste quelque chose d’important et de central après des années de vie commune. Pour d’autres couples, elle est presque toujours essentielle au début, mais par la suite il y a plein d’autres choses qui rentrent en considération : moment de complicité, tendresse, bonne entente, confiance mutuelle etc.
- En règle générale, les hommes voudraient qu’elle garde une place plus centrale que les femmes pour qui cela peut être un moment agréable, mais pas obligatoirement le centre du couple. Du coup cette impression que dans le reste de la société c’est ce qu’il y a de plus déterminant, là encore ça culpabilise.
- Que devenons-nous retenir de votre enquête ?
- JCK : Il faut prendre tout ça avec beaucoup de décontraction, c’est extrêmement important. La grande leçon, c’est qu’il faut réussir à parler dans le couple mais sans se donner une nouvelle injonction, ou tomber dans un nouveau modèle de perfectionnement. C’est normal de ne pas savoir en parler, il faut aussi savoir se décontracter. Pour commencer, il faut avoir un prétexte pour amorcer un début de conversation et en parler un petit peu. Cette ouverture va entrainer un engrenage positif en nous sortant du refoulement et du silence autour de cette question.
Un grand merci à Jean-Claude Kaufmann !
Pas envie ce soir : la question du consentement dans le couple aux éditions Les Liens qui Libèrent
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Publié le 07/07/2020, mis à jour le 12/01/2023