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Publié le 01/06/2022, mis à jour le 13/02/2024
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Comment nos microbiotes influencent-ils notre santé?
Comment les microbes ont-ils réhabilités ?
Rencontre avec Geneviève Héry-Arnaud, professeur de bactériologie
Considérés hier comme les principaux ennemis sanitaires de l’Homme, les microbes sont aujourd’hui élevés au rang d’amis et alliés grâce aux nombreuses recherches et études consacrées au microbiote.
Il apparait ainsi qu’un microbiote intestinal d’aplomb est le socle d’une bonne santé et qu’un microbiote affaibli et déséquilibré (un état appelé dysbiose) fait le nid des maladies diverses et variées, aussi bien psychologiques que physiologiques.
Par ailleurs, le microbiote intestinal n’est pas seul. Cohabitent avec lui d’autres microbiotes comme le microbiote bucco-dentaire, pulmonaire, cutané ou encore vaginal.
Ces découvertes récentes, et loin d’être mineures, posent plusieurs questions :
- A quel point notre santé dépend-t-elle de nos microbiotes ?
- Comment ce nouveau regard sur les microbes révolutionne notre compréhension de la santé et de l’émergence des maladies ?
- Et ce faisant, comment la médecine va-t-elle évoluer, notamment dans son offre de soins ?
Afin de mieux comprendre ces compagnons aussi minuscules qu’essentiels, nous recevons l’auteure de l’ouvrage « Ces microbes qui nous veulent du bien » (HumenSciences), Geneviève Héry-Arnaud, professeur de bactériologie, praticienne hospitalier au CHRU de Brest et chercheuse à l’Inserm.
Brève Histoire d’une réhabilitation bactériologique
- Comment les microbes autrefois jugés dangereux, ont-ils « trouvé grâce » auprès de la communauté scientifique ?
- GHA : Il est vrai que la bactériologie médicale est née sous l’angle négatif, et pour cause, elle est surtout axée sur les infections et des épidémies qui ont provoqué des millions de morts.
A la fin du XIXème siècle, Louis Pasteur, son challenger allemand Robert Koch, ainsi que leurs successeurs, ont décrit les bactéries responsables des grandes épidémies en établissant un lien entre la présence de ces micro-organismes et la survenue de symptômes infectieux (fièvres & pus).
Ces découvertes ont débouché sur la grande aventure des antibiotiques pour combattre ces micro-organismes, avec toutefois certaines limites en raison de l’émergence de résistances.
- GHA : En parallèle des antibiotiques, s’est développée à bas bruit, et dans des milieux pas forcément médicaux, une vision beaucoup plus optimiste des microbes. Une vision qui a pris pied dans la médecine grâce à l’innovation technologique via un nouvel outil appelé le séquençage haut débit (une sorte de grand stéthoscope moléculaire capable d’ausculter notre monde microbien), qui nous a permis de mieux observer les microbes, et de comprendre leurs rôles bénéfiques.
- Pourquoi sommes-nous passés de la « flore intestinale » au microbiote intestinal ? Qu’est-ce qui a motivé ce changement de nom ?
- GHA : En médecine, comme ailleurs, le lexique est important pour décrire le réel. La notion de flore est extrêmement passive. Or, le microbiote désigne quelque chose de proactif, qui agit comme un véritable organe pour assurer des fonctions essentielles à notre bonne santé.
Quelle place occupent les microbes dans notre vie ?
La moitié de notre être
- Que (ou qui) sont les microbes ?
- GHA : Le microbe se définit à la fois par la taille et le nombre :
- Le mot microbe vient du mot « microscopique ». C’est un médecin militaire et chirurgien français, Charles-Emmanuel Sédillot qui est le premier à proposer ce terme de « microbe », qui signifie littéralement « petite vie ».
- C’est aussi une façon de mesurer en quantité. Les microbes sont très nombreux dans notre organisme et constituent la moitié de nos cellules.
- On peut donc se voir comme une espèce hybride, faite pour moitié de cellules dites humaines et de cellules microbiennes.
- Alors que la quantité d’eau chez l’humain fluctue selon l’âge, le poids et le sexe entre 50% et 80% d’eau, quelle part de nos gènes représentent les gènes microbiens ?
- GHA : Les gènes microbiens, appelé le microbiome, comptent jusqu’à 10 millions de gènes. Ce qui est impressionnant par rapport aux 23 000 gènes d’origine humaine.
- Quelles sont les principales fonctions du microbiote intestinal connues à ce jour ?
- GHA : Il y a toute une kyrielle de rôles, mais les deux grandes fonctions sont :
- La digestion. Sans l’équipement enzymatique de nos bactéries, nous serions incapables de digérer les fibres et d’incorporer certains éléments essentiels à notre bonne santé.
- Son rôle dans le système immunitaire. Les microbes agissent sur notre capacité à tolérer certaines choses (d’où leur impact sur le champs des maladies allergiques, auto-immunes) et éduquent notre système immunitaire afin d’être fort face aux rencontres pathogènes.
- Comment le microbiote se construit-il ?
- GHA : Il se construit dès les premières secondes de la naissance. Puis, le microbiote se constitue et mature durant les deux premières années de vie, suivant différentes phases en fonction de l’environnement, de l’alimentation et des médicaments reçus.
Un rôle protecteur précoce et déterminant
Extrait de « Ces microbes qui nous veulent du bien » :« [A propos du mode d’accouchement,] une grande étude a récemment apporté une démonstration magistrale de ce qui était subodoré depuis quelques années : l’impact délétère de l’accouchement par césarienne qui met en contact le nouveau-né avec les bactéries du microbiote cutané et des bactéries environnementales, le privant des bonnes bactéries maternelles qui s’acquièrent lors de l’accouchement par voie basse, en particulier les lactobacilles du microbiote vaginal et les bactéries Bacteroides et Bifi dobacterium (bifidobactéries) du microbiote intestinal.
Chose fascinante, il semblerait que le « legs bactérien » de la maman à son bébé soit optimisé par la mère pendant la grossesse. En effet, l’augmentation de la progestérone pendant la gestation enrichit le microbiote maternel en bifidobactéries. Certaines bactéries bénéfiques sont ainsi programmées pour se transmettre de manière verticale.
« L’Homme passeur de microbes » de génération en génération, quoi de plus beau que ce lien ancestral qui nous unit avec ces microbes qui nous veulent du bien! »
- Pourquoi avoir choisi de partager cet extrait ?
- GHA : Peut-être en raison de mon côté femme et maman. Les femmes transmettent aux nouveau-nés de bonnes bactéries. Je suis persuadée qu’à l’avenir, l’aspect préventif sera déterminant en médecine. Or, le microbiote est justement un levier d’action préventif.
- Quel environnement doit-on privilégier pour que les deux premières années de la vie soient favorables à un bon microbiote ?
- GHA : Il y a deux points-clés :
- La rencontre avec des microbes (en traînant par terre, avec des animaux etc.) pour éduquer le système immunitaire afin que, plus tard, celui-ci ne reconnaisse pas ces micro-organismes comme étrangers et ne déclenche une réaction allergique ou auto-immune.
- Une alimentation diversifiée incluant la consommation de fibres (épices, herbes, fruits, légumes, chocolat).
Comment le microbiote ouvre la voie à de nouveaux soins?
De nouvelles pistes thérapeutiques
- Vous écrivez que « la pharmacologie du futur devra tenir compte à la fois du patient, de sa maladie, certes, mais aussi de son microbiote ». Pourquoi ? Comment le microbiote et le médicament interagissent ?
- GHA : Jusqu’à présent, on savait que certains médicaments, en particulier les antibiotiques, agissaient sur le microbiote, mais ce que l’on savait moins, c’est que cette interaction était à double sens et que le microbiote agit aussi sur la transformation des médicaments.
Cette pharmacologie du futur impliquant le microbiote est appelée la pharmacomicrobiomique. Elle consiste actuellement à essayer de comprendre pourquoi certains patients ayant la même pathologie et les mêmes fonctions de métabolisation au niveau hépatique ou rénale, répondent différemment aux mêmes traitements médicamenteux.
Ce qui fait dire à Geneviève Héry-Arnaud : « Il y a ici un nouveau champ qui s’ouvre en pharmacologie et je pense que cela sera quelque chose de très important quel que soit le domaine médical dans le futur. »
- Vous donnez d’ailleurs l’exemple du cancer de la peau dans votre livre.
- GHA : C’est encore un petit peu différent, car ce n’est pas l’action du microbiote cutané sur un médicament particulier, mais plutôt l’action protectrice de certaines souches (c’est-à-dire un sous-ensemble d’une espèce appelée staphylococcus epidermidis) qui empêche la multiplication anarchique des cellules de la peau (appelées des kératinocytes) provoquée par l’exposition aux U.V.
Ces études sur le microbiote cutané offrent à la fois des éléments de compréhension sur les différentes sensibilités des peaux aux expositions des U.V., mais également une possible nouvelle offre de soin contre les effets nuisibles du soleil.
- GHA : Certains industriels s’intéressent de très près au microbiote cutané avec l’idée d’utiliser des bactéries de la peau comme probiotique cutané.
Le chaînon manquant entre pollution et infection
- Comment l’air que nous respirons, et notamment la pollution, agit sur le microbiote pulmonaire ?
- GHA : Depuis la pandémie du covid-19, de grandes études épidémiologiques ont établi des corrélations importantes entre les zones qui sont géographiquement très polluées et le risque d’infectivité par le covid.
Par exemple, la plaine du Pô, une zone d’Italie du Nord très industrialisée avec une forte pollution atmosphérique, représente à elle seule 40 % des cas de covid en Italie.
- En parallèle de ces études, des équipes de chercheurs se sont intéressés aux impacts de la pollution au niveau de l’épithélium respiratoire et sur le microbiote pulmonaire, un microbiote bien présent mais en très faible quantité et donc assez fragile. Il apparait que les particules fines, ou les gaz comme l’ozone, participent à la production d’espèces réactives de l’oxygène, qui tuent les bactéries faisant partie de nos défenses naturelles au niveau pulmonaire. Ces espèces réactives de l’oxygène fragilisent l’épithélium pulmonaire et l’exposent à l’infection de virus respiratoires.
Le microbiote pulmonaire apparait donc comme le chaînon manquant qui vient éclairer le lien entre la pollution et le risque d’infection.
- Comment peut-on se prémunir quand on vit dans une ville comme Paris ?
- GHA : C’est une énorme question, malheureusement nous sommes totalement passifs en tant qu’individu. Les pouvoirs publics prennent conscience de ces problèmes, notamment en souhaitant diminuer les particules fines.
- Quand on souffre de maladies respiratoires comme la bronchopneumopathie chronique obstructive ou l’asthme chez les enfants, l’un des conseils est de rester chez soi.
Comment rétablir un microbiote intestinal affaibli?
Les signes d’un microbiote affaibli
- Que peut-on faire aujourd’hui pour rétablir un microbiote affaibli ?
- GHA : Il y a différentes façons d’agir. Tout dépend du niveau de gravité. Si je pars de scénarios catastrophes avec des patients qui souffrent de diarrhées chroniques dues à une bactérie qui s’appelle le Clostridium difficile, résistante aux antibiotiques et qui a drastiquement appauvri leur biodiversité intestinale, le seul traitement efficace est le TMF, le transfert de microbiote fécal.
Le TMF a fait date dans l’Histoire de la médecine en 2013, lors de la publication d’une étude dans le New England Journal of Medecine, démontrant que ce traitement fonctionnait à 90 %. Une véritable avancée par rapport au traitement de référence avec antibiotique, qui ne fonctionnait qu’à 30 %.
- GHA : Pour d’autres scénarios moins graves, on peut rétablir un microbiote affaibli via plusieurs éléments :
- L’alimentation, avec la prise de fibres et de produits riches en bactéries comme les produits lactés et fermentés.
- La pratique du sport, de façon régulière et par petites touches, entretient la biodiversité.
- La prise de probiotiques ou de certaines fibres appelées prébiotiques pour certaines pathologies.
- A côté de la diarrhée, quels autres symptômes nous avertissent d’un microbiote affaibli ?
- GHA : Cela dépend des patients. Toutefois, les douleurs intestinales sont un bon signe avertissant d’une baisse de la biodiversité ou de quelque chose qui ne serait pas normal d’un point de vue microbiologique au niveau intestinal.
L’alimentation, la première médecine
- On apprend dans votre livre que « la perte de la biodiversité du microbiote intestinal constatée dans les sociétés occidentales est à mettre en regard du développement croissant de certaines maladies dont les maladies cardiovasculaires et métaboliques, les cancers, les allergies, les maladies inflammatoires et auto-immunes, et peut-être même les troubles autistiques ». On sait que ces maladies sont liées à l’alimentation, quel est donc le menu idéal pour le microbiote ?
- GHA : Actuellement, s’il y a bien un régime pour lequel on a des données scientifiques solides, basées sur la preuve, c’est le régime méditerranéen riche en fibres, et qui permet d’entretenir les bactéries bénéfiques que l’on a au niveau intestinal.
Le régime des fast food, est tout le contraire de ce qu’il faut pour nos bactéries. Ce qui explique pourquoi une perte de la biodiversité intestinale (= nombre d’espèces bactériennes que l’on a dans son intestin) est observée dans les régions riches.
Les études démontrent très clairement de grandes différences de biodiversité entre les populations de cueilleurs-chasseurs et les populations occidentales et citadines. Ces dernières ont perdu certaines bactéries qui étaient pourtant essentielles au maintien d’une bonne santé.
- GHA : Hippocrate disait que « ta nourriture soit ta première médecine », ce qui est vrai. Par sa nourriture on entretient son microbiote et donc on favorise, ou non, une bonne santé.
Même s’il nous reste encore beaucoup à apprendre sur les microbiotes, il apparait de plus en plus évident que ces découvertes dessineront à la fois de nouveaux paradigmes sur notre vision du corps et une nouvelle médecine.
Certes la route est encore longue, mais comme le rappelle en toute fin de son livre le professeur Héry-Arnaud, si le défi est grand, la cause l’est tout autant : la santé de tous.
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