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Publié le 10/11/2021, mis à jour le 23/06/2023
Connaissance de soi
Neurosciences et Histoire : pourquoi avons-nous besoin de sens ?
Qu’est-ce que le cortex cingulaire antérieur ?
« Nous, la civilisation rationaliste occidentale, devenue la civilisation humaine globale dans sa majeure partie, avons cru pouvoir vivre sans sens. Tout notre choix civilisationnel repose sur l’idée que le sens n’est pas nécessaire pour mener une existence pleine et heureuse.
Que la production de moyens de subsistance à grande échelle, de médicaments pour vivre plus longtemps, de machines pour se déplacer sans efforts et de distractions pour passer le temps suffit à justifier notre passage sur terre. Mais c’est une erreur fondamentale. »
Ces mots ne sont pas ceux d’un philosophe ou d’un religieux, mais ceux de Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho, écrivain et conférencier.
Son ouvrage à succès « Le Bug humain » (Robert Laffont, 2019) expliquait comment le striatum, une structure cérébrale dévolue à notre survie, nous pousse à toujours rechercher plus de nourriture, de sexe, d’information, de pouvoir social et de facilité.
Le striatum influence ainsi nos choix et comportements, expliquant en partie notre inertie face à la 6e extinction de masse en cours et la nécessité de changement.
Comme une suite au « Bug Humain », Sébastien Bohler publie l’année suivante « Où est le sens ? » (Robert Laffont, 2020).
Le sujet principal n’étant pas cette fois-ci le striatum mais le cortex cingulaire antérieur, un centre nerveux niché au-dessus du striatum, entre deux hémisphères cérébraux.
Sa fonction ? Sonner du tocsin dès que le cerveau perçoit une anomalie dans son environnement. Ce qui envoie automatiquement dans le corps une grande quantité d’hormones de stress (cortisol et noradrénaline).
Son intérêt ? Il est la preuve biologique que nous avons autant besoin de sens pour vivre que de pain et d’eau.
Pourquoi ? Comment ?
Comment le besoin de sens est-il apparu ?
Petite Histoire du cortex cingulaire
Il y a 20 ou 30 millions d’années est apparu le cortex cingulaire dans le cerveau d’un petit primate.
L’animal vivait sur un bout de Terre qu’il connaissait par cœur. C’était son chez-lui, une zone de confort sécurisante, où l’ordre et le prévisible régnaient.
Son cortex cingulaire s’activait peu, sauf quand il se frottait à quelques mystères. Ce fut le cas, par exemple, quand il découvrit que son stock de fruits avait disparu de sa cachette habituelle. Là, le cortex se réveilla et s’agita, cherchant l’anguille sous roche.
Des millions d’années plus tard, ce cortex cingulaire est toujours présent dans notre cerveau, avec toutefois une différence majeure : il ne réclame plus seulement de l’ordre autour de lui et des certitudes, il veut aussi du sens.
Cette évolution eut lieu pendant le Néolithique, quand des chasseurs-cueilleurs posèrent leurs valises pour devenir sédentaires. C’est la période où sont nées l’agriculture et les premières grandes villes accueillant des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes.
Nouveau monde, nouveaux défis
Pour le cerveau, cette nouvelle civilisation urbaine est à la fois un choc et un challenge.
Un choc parce qu’il se retrouve à devoir traiter beaucoup plus d’informations sensorielles et cognitives que lorsqu’il vivait dans un clan, où tous les visages et les personnalités lui étaient connus. Il savait qui était sérieux ou roublard, tendre ou dur.
C’est également un nouveau challenge, puisque le cortex cingulaire doit s’adapter et découvrir comment vivre en paix au milieu de ces milliers de gens, sans la crainte permanente qu’un furieux le tue ou le vole.
Autrement dit, comment le cortex cingulaire peut-il satisfaire sa soif d’ordre et de sécurité dans un environnement qui le dépasse ?
En nous faisant ressentir un nouveau besoin, qui serait l’aboutissement des besoins d’ordre et de prévisibilité : le besoin du sens de la vie.
Un nouveau besoin qui se manifeste instantanément dans les villes d’Egypte et de Mésopotamie. C’est entre ces murs que naissent les premiers grands récits racontant la naissance de l’univers ou les enseignements des dieux sur le but de la vie et de la mort.
Ces récits racontés jour et nuit partout et par tous, imprègnent le monde intérieur de chacun et forgent des paradigmes, puis des croyances et rituels collectifs rendant possible le « vivre ensemble ».
Le cortex cingulaire s’en trouve doublement apaisé. D’une part, parce que maintenant que tous les individus partagent les mêmes valeurs et codes de conduite, il n’est plus besoin de les craindre.
D’autre part, face aux aléas de l’existence, la foi en Dieu, ou à plus grand que soi, permet de trouver du sens au non-sens. Ce qui nous détache du besoin de contrôle, et favorise la résilience et le lâcher-prise.
Et puis, les siècles passèrent et l’Histoire fut témoin d’un déclin et d’une naissance.
Le déclin du sens et la naissance de la puissance.
Le besoin de sens vs le désir de puissance
Vers la fin du XVIIIème siècle, débute un long déclin du sens religieux et sacré, et l’avènement de la pensée rationnelle et scientifique.
L’avènement s’accompagna de progrès techniques qui permirent à la population d’accéder au confort matériel et la technologie.
Derrière cette direction de l’histoire, Sébastien Bohler y voit l’empreinte du striatum, puisque nous avons désormais instantanément accès à presque tout ce que notre striatum désire : sexe, nourriture, facilité (commander un uber plutôt que cuisiner), informations.
Mais qu’en est-il du cortex cingulaire ? Si le sens a doucement disparu de la civilisation occidentale, il en reste que notre besoin de sens perdure. Or, nous ne le nourrissons pas. Du moins, pas à l’échelle de la société.
Néanmoins le fait que nous ne soyons pas tous devenus totalement dépressifs indique que le cortex cingulaire a su y trouver son compte : s’il a effectivement perdu en ressources de sens, il a grandement gagné en sources de contrôle, de certitude et de sécurité.
Encore que cela reste à nuancer, puisque notre société accumule les motifs d’incertitude :
- Le contexte global est bancal avec l’accumulation de crises (économiques, sociales, sanitaires et écologiques) en cours et à venir.
- Le quotidien est intense entre la charge mentale et l’accélération du temps.
Pour éviter de s’alarmer toutes les 5min, le cortex cingulaire sait compenser grâce à des moments de micro-certitudes : l’accumulation d’argent, la nourriture, les drogues, les séries télévisées, jeux vidéo. Bref, tout ce qui peut être susceptible de nous rendre addicts.
Au final, les neurosciences viennent confirmer ce que les sciences humaines avaient décelé : derrière les multiples crises se cache une crise du sens.
Une crise que l’on cherche à mener tant bien mal avec ses propres ressources issues de ses différents bagages de vie. Chacun dans son coin.
A la recherche du sens perdu
Est-il possible de retrouver du sens à l’échelle d’une société ou du monde entier ?
Il est en tout cas permis de l’envisager comme Sébastien Bohler.
La première piste à envisager étant d’accéder à nouveau au sacré et à la transcendance. Des émotions qui sont possibles d’être ressenties pour la nature, le vivant et l’univers si nous sommes initiés à leur beauté et intelligence. Ensemble, ces deux qualités rendent possibles l’émerveillement.
Est-ce que cet émerveillement suffirait à nous faire renoncer à l’échelle d’une nation à l’abondance ?
Pour les plus convaincus et émerveillés, cette mesure n’a rien d’un sacrifice, puisqu’elle comble le besoin de sens de leur cortex cingulaire.
Pour les autres, tiraillés entre leur striatum et cortex cingulaire, renoncer à l’abondance est possible à la condition non-négociable que tout le monde joue le jeu. Les premiers comme les derniers de cordée.
Cette condition n’est pas si étonnante, car une société qui répond au besoin de sens de sa population n’est pas seulement tournée vers le sacré, elle est aussi, et peut-être avant tout, tournée vers la justice et la loyauté entre ses membres. Des critères incontestablement séduisants pour le cortex cingulaire.
Source : Sébastien Bohler, Où est le sens ?, éditions Robert Laffont, 2020
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