Nous vivons effectivement tous dans notre propre monde, qui se construit autour nos croyances sur le monde et sur nous-mêmes.
Lors de notre rencontre consacrée aux forces du hasard , le Dr Patrick Clervoy nous a effectivement expliqué qu’il existe autant d’individus que de réalités.
Nous vivons effectivement tous dans notre propre monde, qui se construit autour nos croyances sur le monde et sur nous-mêmes.
Si nous nous construisons autour de nos croyances, comment celles-ci se construisent-elles?
Autrement dit, quand et comment apparaissent les croyances ? Sont-elles seulement le fruit de notre raison, de notre culture et de notre milieu familial ?
Comment se fait‐il que nous puissions croire à certaines croyances et restions fermés à d’autres?
Enfin, comment pouvons-nous nous défaire des croyances qui nous desservent?
Pour répondre à ces questions, nous avons invité Fabrice Clément, l’auteur de LaFabrique des croyances chez l’enfant (Odile Jacob).
Fabrice Clément est professeur à l’Institut des sciences de la communication et de la cognition de l’Université de Neuchâtel. Son champ de recherche réunit les sciences sociales, l’anthropologie, la philosophie et les sciences cognitives.
Pour commencer, existe-il une ou plusieurs formes de croyances?
Quelles sont les différentes formes de croyance?
Définition d’une croyance
Qu’est-ce qu’une croyance ?
Fabrice Clément : La croyance est un sujet extrêmement compliqué dont se sont emparées de nombreuses disciplines.
L’anthropologie et les sciences sociales décrivent la croyance comme étant un objet mental plutôt naïf et limité aux autres. Ce sont, par exemple, les croyances des peuples premiers ou des classes populaires.
La philosophie décrit la croyance comme étant un contenu mental auquel nous accordons une certaine probabilité.
Fabrice Clément : Mon parti pris est que les croyances concernent tout le monde. Pour le démontrer, je suis passé par le développement cognitif de l’enfant en constatant qu’il existe plusieurs types de croyances:
On trouve les croyances primitives fondées sur des causes naturelles et qui apparaissent toutes seules.
Les croyances provenant de nos schèmes sociaux.
Et enfin les croyances réflexives, c’est-à-dire des croyances sur lesquelles on a réfléchi, où nous pouvons expliquer pourquoi nous pensons qu’un fait est vrai ou faux.
Nota Bene: Les schèmes sociaux sont des façons de penser et de vivre propres au groupe d’appartenance sociale auquel on appartient.
Les trois formes de croyances
Quelles sont les croyances fondées sur des causes ou des principes naturels?
Fabrice Clément : Ce sont les attentes liées à notre environnement qui se mettent en place dans notre cerveau dès les premiers mois de la vie. Un bébé qui voit un objet tomber puis se suspendre dans l’air, va être autant surpris que nous. Il sait que ce n’est pas normal parce qu’il s’attendait à voir l’objet tomber sur le sol.
Quelle est la différence entre une croyance réflexive et une croyance symbolique?
Fabrice Clément : Une croyance réflexive est une croyance acquise par l’expérience et notre environnement.
Par exemple, si le ciel s’obscurcit, nous anticipons (donc nous croyons) que la pluie approche.
Fabrice Clément : La croyance symbolique est un énoncé, un fait auquel on accorde du crédit sans vraiment le comprendre. Elle émane généralement d’une personne à qui vous accordez de l’autorité.
Un exemple de croyance symbolique classique est la formule d’Einstein sur l’énergie. On n’y comprend rien mais on croit à sa réalité. Comment comprendre dès lors que nous adhérons à certaines croyances et comment se construisent t-elles ?
Comment se construisent nos croyances?
La genèse des croyances
Vous avancez qu’à l’âge de 4 ans se produit une révolution cognitive en termes de croyance. Que se passe-t-il exactement?
Fabrice Clément : Avant l’âge de 4 ans, il n’y a aucune dissociation entre comment les autres et nous-mêmes voyons le monde. Les petits vivent et pensent comme si tout le monde pensait et vivait la même réalité qu’eux. Ce n’est qu’à partir de l’âge de 4 ans qu’ils s’aperçoivent que chacun peut avoir ses propres réalités et représentations du monde.
Par exemple, un petit de 2 ans jouant à cache-cache est persuadé que personne ne le voit s’il se cache sous une table en fermant les yeux. Ne voyant personne, il est persuadé que personne ne le voit en retour, alors qu’il est à la vue de tous.
L’idée que l’enfant soit un tableau vierge ou une éponge qui s’imprègne des croyances de son environnement est remise en question. Pourquoi?
Fabrice Clément : Très schématiquement, la sociologie avance que toutes nos croyances résultent d’une absorption directe de notre culture. Or, cette théorie est problématique d’un point de vue naturaliste car les conséquences en termes adaptatifs seraient catastrophiques.
Ce que l’on s’aperçoit aujourd’hui, c’est que les enfants trient les informations sans que cela soit toujours conscient et systématique. Notre cerveau est équipé de détecteurs nous permettant de faire ce tri.
La nature des croyances
Devons-nous distinguer la croyance de l’intuition?
Fabrice Clément : Selon moi, oui. Ce que nous appelons les croyances primitives ou premières des jeunes enfants sont plutôt des intuitions. Le cerveau produit des attentes de manière automatique qui sont de l’ordre d’une forme d’intuition, d’une certitude allant de soi. La croyance nécessite un certain recul, une certaine distance que l’on peut questionner et changer.
Quel rôle jouent les émotions dans la fabrication de nos croyances? Sont-elles aussi importantes que l’environnement culturel?
Fabrice Clément : Les émotions jouent un rôle essentiel non seulement dans le comportement extérieur mais également dans le comportement intérieur de nos pensées. Nous poursuivons toujours une pensée reliée à une émotion agréable. En revanche, si une pensée est liée à une émotion désagréable, notre attention se détourne sur d’autres aspects de notre environnement pour arrêter notre pensée.
Ce mécanisme explique pourquoi il est très difficile de prendre du recul sur nos pensées, et donc sur nos croyances. De la même façon, il explique pourquoi nous pouvons nous mentir à nous-mêmes et ne pas relever les incohérences entre nos actes et nos pensées. Est-il alors possible de questionner ses croyances?
Comment questionner ses croyances?
L’origine et la pérennité de certaines croyances
Comment expliquez-vous le succès des fake news et du complotisme actuel?
Fabrice Clément : Le filtre social joue ici un rôle important. Durant la pandémie, j’ai pu observer des gens ayant des parcours de vie et des formations similaires avoir des opinions totalement différentes sur l’efficacité des vaccins . Ceux qui avaient un médecin dans la famille étaient confiants. Les autres l’étaient beaucoup moins.
Dans les sociétés traditionnelles, il est assez facile de vérifier la fiabilité d’une personne. Dans les sociétés modernes et complexes, il est très difficile de savoir si les individus sont vraiment compétents.
Pendant longtemps, les autorités n’étaient pas remises en question. Aujourd’hui, nous sommes conscients que les solutions élaborées ne sont pas toujours les bonnes. Des failles s’ouvrent fatalement. Elle s’ouvrent d’autant plus facilement que nous disposons de nouveaux canaux d’informations. Ce qui laisse le champ ouvert aux fake news et au complotisme.
Peut-on changer volontairement une croyance?
FC: Oui, il y a des situations où les gens changent leur vision du monde. Toutefois, cela ne change pas forcément leur comportement. Leur résistance provient de la peur de perdre quelque chose ou de ne pas pouvoir s’adapter à leur nouvelle vision du monde.
C’est ce qui arrive à propos du dérèglement climatique. Nous croyons qu’il est bon de changer nos comportements, mais nous résistons car nous craignons de perdre notre confort.
Selon Fabrice Clément, pour adopter des comportements conformes à nos nouvelles croyances, nous avons besoin des artistes. Notamment des écrivains, qui auraient pour tâche d’imaginer et de décrire une façon de vivre qui soit tout aussi enviable que celle que nous connaissons actuellement.
Les pistes pour se défaire de ses croyances
Comment comprendre que certaines personnes arrivent à se détacher de leurs croyances?
FC: Très souvent, les chercheurs sont persuadés que les populations étudiées adhèrent à des croyances réflexives. Ils ont tendance à considérer que les gens ont des contenus mentaux précis auxquels ils adhèrent totalement. Or, la plupart du temps, ces croyances sont symboliques. Les gens s’en inspirent mais sans vraiment être prêts à parier leur vie dessus.
En clair, il est aisé de se détacher des croyances symboliques. Ces croyances étant plus floues et plus complexes que les croyances réflexives éprouvées par la logique et le réel.
Comment ne plus se faire avoir par ses mécanismes et ses croyances?
FC: Il faudrait rester ouvert en ne pensant pas que ce que pense l’autre est fondamentalement irrecevable. Personnellement, j’ai beaucoup de peine à condamner totalement une option théorique. Je me dis que si les gens ont réfléchi aussi longtemps et sont aussi convaincus, c’est qu’il doit y avoir quelque chose à retirer.
Quid des croyances dévalorisantes sur soi?
FC: Je n’ai aucune réponse. Je pense qu’il faudrait prendre du recul sur ces croyances, comprendre d’où elles viennent et se demander si elles sont toujours pertinentes.
Une croyance pertinente se jauge selon deux conditions. Cette croyance nous aide à traverser les peines de ce monde et à rester cohérent avec nous-mêmes sans heurter le bien-être des autres.
Il revient à chaque parent de transmettre ce type de croyance à son enfant en le mettant au contact de livres qui l’aideront à se construire de bonnes histoires.
Comme celles qui font s’évaporer les peurs et taire les soucis ou encore celles qui inspirent une vie bonne et heureuse.
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