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Publié le 07/05/2019, mis à jour le 09/09/2022
Sujets d'actualité
Science : Pourquoi les riches sont égoïstes?
Chacun pour soi et Dieu pour tous
L’image du riche
L’image du riche pingre et sournois et celle du pauvre naïf mais gentil se retrouvent dans beaucoup de contes ou de récits religieux, en France et ailleurs. D’où peuvent-elles venir ? Mais, surtout, ne seraient-elles que des préjugés ou auraient-elles un fond pertinent ?
Comment peut-on répondre à cette question ? Les travaux de Paul Piff, chercheur en psychologie sociale à l’université de Californie à Berkeley, traitent des rapports hiérarchiques entre groupes sociaux et des émotions et comportements qui en découlent.
Ainsi, parmi les différents comportements, on distingue ceux que l’on appelle « prosociaux » : « c’est-à-dire les actions bénéficiant aux autres ou à la société dans son ensemble (partage, bénévolat, coopération, entraide). »
Or, que nous apprennent ces études ? Que les plus prosociaux sont majoritairement issus des classes sociales inférieures, et que les plus égoïstes sont les classes supérieures.
La légende disait vrai
Paul Piff n’a pas lésiné sur les études comparatives entre les comportements des classes inférieures/intermédiaires et supérieures. Deux sont particulièrement révélatrices de l’égoïsme des plus aisés. L’une portait sur la conduite sur la route des uns et des autres. « les personnes au volant de véhicules de plus haut standing étaient plus susceptibles de couper la route à d’autres conducteurs au lieu d’attendre leur tour, et moins susceptibles de céder le passage à des piétons qui s’apprêtaient à traverser. »
Une autre expérience révèle également l’égoïsme des classes supérieures. Des participants issus de toutes les classes sociales devaient répondre à une série de questions autour d’une fiction où les personnages principaux commettaient des actes immoraux (triche, mensonge, force) pour parvenir à leur fin. Ainsi, a la question de savoir si les participants pouvaient imiter le comportement immoral des personnages, ceux qui affirmaient faire de même étaient majoritairement issus des classes supérieures.
Un égoïsme légitime
Les riches seraient-ils irrécupérables ? Pas totalement. en effet, les nombreuses expériences de Paul Piff conduisent toutes à cette même conclusion ! Quel que soit notre milieu social, nous avons tous des comportements égoïstes, orgueilleux ou de pingre. Mais si ceux des classes moyennes et inférieures se permettent moins de pencher dans leurs travers, c’est parce qu’ils ont vécu plus d’expériences de vie où ils ont eu besoin des autres. En d’autres termes, ils sont plus conscients de la valeur du partage et de l’entraide.
En parallèle, les résultats des études indiquent que ceux issus des classes supérieures ont le sentiment que s’ils passent en premier et qu’ils ont davantage, c’est parce qu’ils y ont droit. Ainsi, Carlos Ghosn en est le parfait exemple. Il estimait que ses salaires mirobolants et autres privilèges divers et variés étaient ce qu’il y avait de plus normal. Après tout, n’est-il pas celui qui a redressé Renault au bord de la faillite ? Son génie légitime l’inégalité salariale à ses yeux. Et Carlos Ghosn n’est pas le seul à le penser, l’Occident est imprégnée de l’idée que nous acquérons notre position sociale et notre salaire par le travail et le mérite.
De fait, si les riches ont davantage, c’est parce qu’ils ont tout simplement plus de mérite que les autres. Ce n’est néanmoins pas la seule explication.
Pourquoi les riches se croient-ils tout permis ?
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Dans la tête du riche et égoïste Picsou
Paul Piff distingue deux raisons à l’égoïsme des riches :
1. « Premièrement, il se pourrait que les individus plus fortement motivés à maximiser leur position sociale soient aussi, par nature et par tempérament, plus antisociaux. »
2. « Deuxièmement, nous avons peut-être tous tendance à mal nous comporter à l’égard de ceux qui sont situés plus bas que nous sur l’échelle sociale ; or, mécaniquement les individus de rang social élevé ont en dessous d’eux un plus grand nombre de personnes. »
Cependant, ces deux raisons décrivent des comportements singuliers, propres aux individus et étant donné que pauvres comme riches, nous sommes tous uniques, nous ne pouvons en faire une généralité.
Tout est question de contexte
En fait, la vraie raison de l’égoïsme des riches se trouve dans leur environnement, autrement dit dans le pays dans lequel ils habitent. Suivant si celui-ci est marqué par une forte inégalité de revenus et de positions sociales, leur générosité va en pâtir. Dans le cas contraire, elle est large.
Aux Etats-Unis
Une étude issue des travaux de Paul Piff en 2015 a montré que dans les pays occidentaux égalitaires comme les Pays-Bas, la Suède ou le Japon, les riches sont autant généreux que les autres. Aux Etats-Unis, l’étude a révélé que « la moindre générosité des riches ne s’observe que dans les Etats les plus inégalitaires. Ils ont découvert que si les riches sont moins généreux que les pauvres dans les Etats ou l’inégalité est la plus criante, ils le sont au contraire davantage dans les Etats les plus égalitaires. »
En Europe
Une autre étude en science sociale, menée par les chercheuses Marie Paskov et Caroline Dewilde, s’interroge sur les liens entre inégalité de revenus et solidarité au sein de l’Union européenne. Elles se sont appuyées sur les résultats de l’Enquête européenne sur les valeurs.
A la question : Entre vos voisins, les malades, les seniors et les immigrés, pour qui seriez-vous prêt à faire quelque chose de concret pour améliorer les conditions de vie ? Un seul point converge : les immigrés sont les derniers que les Européens veulent bien aider. Mais pour le reste, « les résultats par pays révèlent des différences substantielles. En Suède, 85 % des participants sont prêts à aider les personnes âgées, contre seulement 54 % en Grande-Bretagne et 33 % en Estonie ; 68 % des Suédois sont prêts à aider les immigrés, contre 14 % des Britanniques et 4 % des Lituaniens. »
Conclusion ?
Les riches ne sont pas par nature des personnes égoïstes. Ils le deviennent parce que l’environnement inégal les insécurise et les pousse à davantage penser avec la peur (où l’on s’enferme sur soi) qu’avec le cœur (où l’on s’ouvre aux autres). L’inégalité sociale ne va donc pas plus dans le sens du bien-être personnel des gens aisés que celui des autres.
Une société malade
A quelle qu’échelle que nous soyons dans une société où l’inégalité des revenus et des positions sociales est présente, nous en subissons tous les conséquences au quotidien. Du stress, de l’énervement, de l’anxiété, des psychotropes pour dormir ou tenir le coup, de l’alcool pour se réconforter, etc. Problèmes personnels à part, toutes ces « béquilles » trouvent leur naissance dans l’angoisse que provoquent les fortes disparités salariales et sociales au milieu d’un monde du travail très compétitif.
Le prix à payer pour les riches
Plus on monte les échelles pour gravir la hiérarchie sociale, plus féroce est la lutte. Le but du jeu étant de montrer à tous que nous sommes le meilleur. Or se sentir en danger, jouer des coudes pour montrer qu’on est le meilleur, envier son prochain, tout cela fatigue, stress et ruine le moral, la santé, voire sa vie privée. Voilà ce que paient les classes supérieures. Bien qu’elles n’en soient pas forcément conscientes.
Que pensent les riches de l’égalité ?
Une idée qui plaît aux riches
Les classes supérieures, parce qu’elles vivent mieux que les autres, ne sont pas forcément conscientes qu’elles subissent les revers des inégalités sociales. Quand elles prennent conscience que l’égalité sociale peut avoir des bons aspects, celle-ci leur paraît nettement plus préférable à l’inégalité.
Paul Piff a pu observer ce changement de cap à partir d’une expérience qui comprenait deux groupes composés uniquement de gens issus des classes supérieures. Chaque groupe devait disserter sur la phrase « la cupidité est une bonne chose ». Dans le 1er groupe, les instructeurs leur ont demandé de réfléchir préalablement à trois avantages de l’égalité sociale. Avec leurs idées encore claires dans leur esprit, quand ils ont abordé la cupidité, leurs réponses étaient nettement moins narcissiques ou immorales que celles du 2nd groupe. En clair, ils reconnaissaient que tout ne leur était pas dû.
Prendre conscience que nous sommes tous liés
Par définition, on ne vit jamais vraiment seul quand nous vivons dans une société. Une société n’étant au fond rien d’autre qu’une communauté à grande échelle, et nous y vivons tous ensemble. Nous ne sommes pas coupés des uns des autres, mais reliés pour le meilleur et le pire. En prendre conscience, c’est comprendre que l’inégalité sociale ou économique n’est pas vivable à long terme. Nous y perdons tous, tôt ou tard.
Source : Kate Pickett & Richard Wilkinson, “Pour vivre heureux vivons égaux », éditions LLL, 2019
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