Comment soulager la douleur chronique sans recourir aux médicaments?
Publié le 20/04/2022, mis à jour le 30/10/2024
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Comment soulager la douleur chronique sans recourir aux médicaments?
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Qu’est-ce que la douleur chronique ?
Une douleur, un cachet !
Depuis presque deux siècles, et grâce aux découvertes scientifiques et technologiques, la médecine n’a cessé de faire d’incroyables progrès.
Elle a ainsi éradiqué des maladies dévastatrices, prolongé considérablement notre durée de vie, et réduit drastiquement la mortalité infantile.
Aux côtés de ces avancées incontestables, subsistent néanmoins de sérieux points de vigilance. Le plus important d’entre eux étant la prescription excessive des médicaments pour soulager des douleurs chroniques.
Et si le grand public n’ignore rien des dérives du tout-médicament et des addictions qu’elles produisent, il en ignore néanmoins tout des alternatives non médicamenteuses.
Une situation qui a poussé le Dr Marc Lévêque, neurochirurgien spécialiste de la douleur à publier Libérons-nous de la douleur (aux éditions Buchet-Chastel) consacré à la découverte de ces nouveaux traitements.
Qu’est-ce que la douleur pour un spécialiste de la douleur ?
Marc Lévêque : La douleur est le premier motif de consultation chez le médecin généraliste, et touche 14 millions de Français, c’est-à-dire 1 personne sur 5.
La douleur a plusieurs natures :
La douleur aigue, utile pour préserver notre intégrité physique, et dont on arrive à se protéger assez facilement grâce, notamment, aux opioïdes.
Et la douleur chronique, qui s’installe et perdure sans préserver notre intégrité physique. C’est une douleur inutile et plus difficile à traiter avec les opioïdes, parce qu’ils provoquent beaucoup d’effets indésirables à long terme. A savoir l’addiction, le dérèglement du seuil de la douleur et l’intensification de la douleur.
Comment la morphine s’est imposée pour soulager les douleurs chroniques?
On apprend dans votre livre que l’épidémie de l’addiction à des narcotiques de prescription aux Etats-Unis a pris racine dans un petit article daté de 1980 consacré à une étude sur la toxicomanie de la morphine des chercheurs Porter et Jick. Comment est-ce arrivé ?
Marc Lévêque : C’est le battement de l’aile du papillon. Porter et Jick avaient écrit dans le The New England Journal of Medecine, un minuscule article d’une dizaine de lignes disant qu’il y a peu de risque d’accoutumance à la morphine dans la douleur chronique, et sans que soient mentionnées de véritables études. Cette publication est arrivée au même moment où les Etats-Unis ont connu une forte campagne médiatique pour promouvoir les morphiniques dans la douleur chronique non-cancéreuse. Ces patients sous morphine, de plus en plus dépendants, vont finalement mourir d’une overdose. Ce que certains vont appeler «la mort sur ordonnance».
Aujourd’hui le problème demeure : Entre 2020 et 2021, 100 000 Américains sont morts par opioïdes prescrits.
Par ailleurs, une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association, démontre que la cartographie des morts par opioïdes correspond à celle recensant les électeurs de Trump. Ceux qui ont été touchés par la mondialisation et le chômage ont trouvé dans la morphine une sorte de cataplasme à leurs souffrances. En cela, la douleur est un phénomène bio-psycho-social.
Qu’en est-il en France ?
Marc Lévêque : La comparaison en valeur absolue n’a rien à voir. Néanmoins, il y a des indicateurs d’évolution assez préoccupants. Récemment une commission a rappelé le cadre de la prescription morphinique (notamment de tramadol), parce qu’il y a une tendance à la prescrire de plus en plus facilement pour traiter les douleurs chroniques non-cancéreuses (arthrose, lombalgies, fibromyalgie, maux de têtes, etc.)
Comment les techniques de neuromodulation soulagent la douleur?
Que sont les techniques de neuromodulation?
Des traitements électriques et locaux
Vous évoquez comme traitements alternatifs aux médicaments, des techniques non médicamenteuses issues des progrès informatiques et technologiques, comme la neuromodulation et la neurostimulation électrique transcutanée (TENS). En quoi consistent-elles ?
Marc Lévêque : La douleur est un phénomène électro-chimique. Nous traitons son aspect chimique par les médicaments. Avec les techniques de neuromodulation, nous traitons son aspect électrique, via les nerfs. L’avantage de ces traitements est qu’ils traitent la douleur à un niveau très local, contrairement au médicament qui se diffuse dans tout l’organisme et engendre des effets indésirables. Avec la neuromodulation, vous épargnez les tissus sains et ne vous occupez que de la zone douloureuse.
L’avantage majeur des techniques de neuromodulation est donc la précision. Le médecin se focalise soit sur la peau avec la TENS, soit sur les nerfs avec des électrodes posées sur les structures nerveuses, la moelle épinière ou le cerveau. Cette dernière technique est appelée la simulation magnétique transcrânienne.
Quelles pathologies et maladies peuvent-elles traiter ?
Marc Lévêque : Toutes les douleurs. Si on prend par exemple une douleur neuropathique (douleur liée au fait que les nerfs ont été abîmés) que cela soit par une hernie discale, une intervention ou un accident, on va venir brouiller le message électrique de la douleur directement sur la moelle épinière.
La moelle épinière dispose de deux voies anatomiques : une voie qui véhicule les caresses, les sensations agréables, et une autre voie qui véhicule la douleur. En stimulant la voie qui véhicule les caresses, la voie de la douleur est bloquée.
Pourquoi la neuromodulation est-elle si peu connue?
Comment bénéficier de ces traitements ?
ML : C’est le parcours du combattant. Toutes ces techniques non-médicamenteuses, notamment de neuromodulation, ne sont accessibles que par des centres de la douleur déjà surchargés. Sur les 14 millions de douloureux chroniques en France, seuls 3 % sont pris en charge dans les centres de la douleur.
En parallèle, ces techniques sont en avance sur le législateur. Il n’y a donc pas de codage, pas de remboursement et donc pas de mutuelle non plus.
Quelles sont les solutions selon vous ?
ML: La prise en charge de la douleur devrait sortir des murs de l’hôpital. Nous sommes dans un système « hospitalo-centré ». C’est comme si vous vouliez accéder à votre médecin généraliste en passant par les urgences. Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est qu’il y ait davantage de médecins de la douleur, notamment en libéral.
Cela passe également par une reconnaissance de cette spécialité à part entière comme la dermatologie, la cardiologie etc. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Dans l’enseignement, il y a seulement une vingtaine d’heures obligatoires.
Quels sont les autres traitements anti-douleurs valable ?
Que pensez du cannabis thérapeutique et des médicaments en vente libre?
Vous évoquez le cannabis thérapeutique dans votre livre, qu’en est-il réellement de son efficacité comme anti-douleur ?
ML : Le cannabis thérapeutique a suscité énormément d’espoir à sa sortie. C’est une plante domestiquée par l’homme depuis 5000 ans, et si elle avait des vertus antalgiques fortes, cela se saurait. Le cannabis, un peu comme le vin, est à la fois un petit antalgique, un petit anxiolytique et un petit somnifère, avec toutefois des effets collatéraux au niveau de la concentration et du psychisme.
On considère donc que seulement 1 % des patients qui sont en centre de douleurs peuvent en tirer profit, notamment ceux qui ont des douleurs neuropathiques liées à des lésions au niveau du cerveau, ou par la sclérose en plaque.
Quid des effets du paracétamol et de l’aspirine qui sont en vente libre, quelles sont leurs limites ?
ML : Pour l’aspirine, on a coutume de dire qu’aujourd’hui son autorisation de mise sur le marché serait refusée parce qu’il y a beaucoup d’effets secondaires. A trop grande dose, elle peut perforer votre estomac et votre tube digestif.
Pour le paracétamol, c’est une molécule qui est métabolisée par le foie, mais si vous en prenez en trop quantité, et trop fréquemment, votre foie ne va plus être en mesure de l’éliminer. Ou, si par exemple, vous avez une pathologie du foie comme une cirrhose, vous n’allez pas pouvoir l’éliminer et ce médicament va même devenir toxique pour votre foie et vous être fatal.
Quelles sont les autres alternatives non médicamenteuses fiables pour soulager la douleur chronique ?
En parallèle de la neuromodulation et de l’électrostimulation transcutanée, vous évoquez également les thérapies alternatives comme l’hypnose, la musicothérapie, ou l’acupuncture. Quels sont leur bénéfice dans le traitement de la douleur ?
ML : Leurs bénéfices sont immenses. Toutes ces techniques nous aident à combattre la douleur au niveau psychique. L’activité physique, par exemple, est aujourd’hui une technique efficace, reconnue et validée scientifiquement. Faire du sport en musclant votre dos diminue les douleurs lombaires. Seulement, le sport sur ordonnance à encore du mal à être prescrit par les confrères, et il n’est pas non plus remboursé.
Comment vous expliquez cela ?
ML : Il y a déjà un manque d’informations de la part des médecins et des patients. D’autre part, c’est beaucoup plus commode pour un médecin de prescrire un antalgique et une radio que de vous questionner sur votre alimentation et votre situation professionnelle, familiale, amoureuse etc. Souvent on s’aperçoit qu’un mal de dos est révélateur de quelque chose, ou qu’il peut être combattu en faisant de la natation. La médecine à l’acte favorise d’enchaîner les consultations, et ce n’est pas tellement propice à l’écoute et au conseil.
Bientôt la fin de la culture du "tout médicament"?
« Tandis que la recherche dans l’antalgie chimique piétine, les progrès dans le soulagement électrique de la douleur, eux, s’emballent ». Entre ce constat du Dr Lévêque et la méfiance croissante de la population, il ne fait aucun doute que nous assistons au déclin, long mais inévitable, de la « culture du tout médicament ».
Le véritable défi du traitement de la douleur n’est pas tant technologique que sociétal, où nous devons encore comprendre que la douleur ne peut être réduite au seul champ du physique, tout comme la santé au seul domaine du médecin.
Il s’agit, au contraire, de passer d’un système vertical avec un patient passif à un système de relation et de dialogue avec un patient acteur de sa guérison et une équipe médicale empathique, soucieuse de comprendre et d’agir sur l’environnement qui a vu naître la douleur.
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