Les émotions jouent un rôle capital dans nos vies. Nos choix de vie affective et professionnelle, le regard sur nous-mêmes et le monde découlent de notre relation à nos émotions. Parmi elles, il y en a une inéluctable et qui fait office de vilain petit canard, c’est la peur.
Celle-ci vient très tôt suivant les circonstances de l’enfance, et a de multiples visages. La peur de mourir ou d’être perdu. La peur d’échouer, la peur d’être abandonné, rejeté, jugé, ou encore d’être seul et de se débrouiller par soi-même.
Très tôt, donc, on comprend que vivre, c’est avoir peur. C’est même gravé en nous, car la peur se loge dans le cerveau reptilien, la partie la plus ancienne et la plus puissante du cerveau. C’est pourquoi la voix de la peur s’exprime avec force quand nous faisons des choix. Ce n’est pas un mal en soi, car la peur nous enseigne la prudence. En cela, elle a grandement contribué à la survie de notre espèce.
En 2003, l’université de Coventry a publié une étude démontrant les bienfaits de la peur sur l’organisme. Sous le coup de cette émotion, le corps produit davantage de globules blancs, des cellules qui combattent les infections et réparent le corps.
Ressentir occasionnellement de la peur est donc une bonne chose. Surtout quand nous le choisissons délibérément en regardant un film d’horreur ou en se lançant un défi.
La peur est donc fondamentalement un atout émotionnel. Elle ne devient un fardeau et une nuisance que si elle devient chronique.
Du fardeau à l’atout
Bien que nous vivions aujourd’hui dans un contexte social plus confortable et sécurisé, la peur est toujours là, mais sans qu’elle soit explicitement nommée.
A la place, on évoque le stress, la nervosité, l’angoisse, l’anxiété, voire des problèmes gastro-intestinaux. Des états qui ont pour conséquence, à long terme, de fatiguer le système immunitaire et d’ouvrir une porte aux maladies.
Toutefois, penser la peur comme un dysfonctionnement mental revient à se tromper lourdement selon Kristen Ulmer, ancienne skieuse professionnelle, et auteure de L’art de la peur (Amphora).
La peur n’a rien d’un boulet, au contraire elle peut être un atout au service de notre épanouissement. Encore faut-il savoir l’apprivoiser, au lieu de vouloir à tout prix la museler.
Une leçon de vie par laquelle est passée Gabrielle Bernstein, ancienne addict à l’alcool, aux drogues et au travail, devenue une conférencière en développement personnel renommée aux Etats-Unis. Dans son dernier ouvrage «Happy Days. Libérez-vous de la peur» (Le courrier du livre), elle expose l’idée que la peur est une boussole dont on ne peut se défaire.
Paradoxalement, plus on décide d’ignorer cette boussole, plus elle guide notre vie. Et plus on prend conscience de son rôle dans notre vie, plus nous nous éloignons du cap qu’elle indique.
Un écho à la pensée du philosophe Alain: «On a assez remarqué que la peur est plus grande de loin, et diminue quand on approche.»
Encore faut-il vouloir s’approcher. Pour y parvenir, la psychologue Amélie Labbé décrit dans son ouvrage «Le jour où j’ai apprivoisé ma peur» (Le courrier du livre) les techniques actuellement connues.
Quels que soient les auteurs, le constat reste le même. Il est nécessaire de rencontrer sa peur car il est impossible de s’en libérer. Et ce, malgré les stratégies d’évitement.
Peut-on (vraiment) éviter la peur?
Les faux remèdes contre la peur
Pour calmer sa peur de l’avion, on conseille souvent de se référer aux statistiques qui le présentent comme le moyen de transport le plus sécurisé du monde. Cela n’a donc pas de sens de craindre l’avion.
Est-ce que la peur va pour autant disparaître? Possible, si votre confiance dans les statistiques permet de temporiser votre peur. Par cet exemple simple, on voit que l’intellect et le raisonnement vous aident à gérer votre peur, à l’encadrer. Mais en aucun cas, ils ne vous ont aidé à y faire face.
D’ailleurs, quand la raison ne suffit pas, on peut tomber dans les addictions pour continuer à éviter la peur. Mais cela s’avère inefficace, car c’est comme mettre un drap sur une commode. Vous ne voyez peut-être plus la commode, mais elle toujours est là.
Les addictions, rappelons-le, ne se cantonnent pas aux drogues ou à l’alcool. Se lancer frénétiquement dans le sport , ou se surmener au travail font partie des addictions, la différence étant qu’elles sont socialement valorisantes. Leur but est pourtant le même: retrouver un sentiment de sérénité qui nous échappe au moindre coup de stress.
Un autre signe qui montre que la peur ne peut être réellement contrôlée ni étouffée est le surgissement d’autres sentiments, telles que la tristesse, la honte, l’agressivité, la colère, la jalousie, ou le jugement . Si l’oisiveté est la mère de tous les vices, la peur, elle, est mère de toutes les émotions négatives.
Afin de mieux comprendre comment elle agit en nous, Gabrielle Bernstein propose un exercice simple d’autoanalyse.
Observer l’expression de sa peur
Sur une feuille, tracez trois colonnes.
Dans la première colonne, dressez une liste de toutes les situations où la peur s’est manifestée en enclenchant un sentiment réactif ou un mode de fuite. Par exemple, votre conjoint quittant le domicile sans vous dire au revoir, ou votre collègue qui vous signale que vous avez tort.
Dans la deuxième colonne, listez les sentiments provoqués par chaque situation. Cela peut être un accès de rage, ou les mâchoires qui se serrent.
Dans la troisième colonne, notez de quelle manière vous réagissez à cette situation, c’est à dire en quoi vous vous cachez, vous fuyez ou vous combattez. Cela peut être de vouloir prendre le contrôle sur autrui ou d’aller se détendre en buvant un verre.
Bien que la prise de conscience soit une étape essentielle, elle n’est pourtant pas suffisante pour s’en défaire concrètement.
Gabrielle Bernstein évoque comme solutions libératrices la thérapie, la méditation ou la reprogrammation mentale, consistant à remplacer le processus de la réactivité négative par un nouvel processus plus fécond mentalement (aller se promener, écrire ou appeler un ami). Avec le temps, le cerveau imprime ce nouveau mode réactif.
Toutefois, pour Kristen Ulmer, ces méthodes ont des résultats limités. Seule la méditation de la pleine conscience corporelle peut, à la rigueur, se montrer efficace. Car la seule clé permettant de diminuer l’emprise de la peur est de l’écouter par le truchement du corps.
Comment diminuer l’emprise de la peur sur soi?
À l’écoute du corps
Ressentir son corps demande du calme mais aussi un mental éteint, à défaut de quoi les pensées vont masquer ces ressentis.
Pour éteindre son mental, Kristen Ulmer préconise un état d’esprit particulier: celui de la confusion en acceptant d’être perdu. Il est facile de se perdre. Il suffit de se laisser noyer dans les nombreuses pensées et voix intérieures contradictoires.
Le but du jeu est de se laisser plonger dans le chaos, de l’accepter, d’éteindre son esprit et de sentir être son corps.
Et pour ne pas se perdre, pour éviter que le ressassement des pensées ne revienne, il faut s’accrocher aux ressentis. L’idée, c’est de ne plus se sentir comme un esprit pensant, mais être un corps pensant. Ainsi, on peut mieux entendre les ressentis.
A partir de cet état de conscience pure, vous pouvez penser à votre peur, la convoquer et vous installer dans cet état d’inconfort. Sentez le cœur s’affoler, l’estomac se nouer, la gorge se serrer. Il faut vivre physiquement sa peur.
La seconde étape consiste à converser avec sa peur en posant des questions. Tout en veillant bien à ce que les réponses ne viennent pas de l’intellect mais du corps lui-même. Et c’est là que le miracle arrive.
Converser avec la peur
Le secret pour se libérer des effets la peur se trouve dans le ressenti du corps et son questionnement. Par ce biais, on ne les retient plus, on les laisse s’exprimer, et c’est là qu’on les libère. Kristen Ulmer le résume ainsi :
« Plus vous laissez la peur s’exprimer, moins elle aura de choses à dire et donc moins elle aura d’emprise sur vous. C’est aussi simple que cela».
Si, dans les premiers temps, vous trouvez ce moment d’exploration particulièrement difficile, n’hésitez pas à faire un exercice de respiration pour vous soulager: faites une longe inspiration en imaginant inspirer la voix de la peur, et expirez avec l’espoir de vous débarrasser de cette peur.
L’intelligence émotionnelle n’est pas l’intelligence intellectuelle. Elle ne demande pas à ce qu’on la comprenne, mais à ce qu’on l’exprime. Les émotions ne sont jamais là pour nous nuire, elles sont toujours des signaux.
Dialoguer avec la peur, par les questions lancées, permet de mieux les saisir. En apprenant à connaitre sa peur, on se défie moins d’elle. Elle cesse d’être ce poison mental pour devenir un atout.
Ce qui peut s’apparenter à de la méditation est en fait de l’intéroception, une technique pour apaiser sa souffrance émotionnelle. On se concentre sur les ressentis douloureux en les laissant se déployer, atteindre un pic et redescendre. Toutes les études corroborent en ce sens. Accepter de ressentir les émotions et les sensations désagréables permet de diminuer leur intensité au bout de quelques minutes.
Si l’intéroception est pertinente pour les peurs subtiles, les peurs clairement identifiées peuvent être appréhendées de front grâce à des techniques d’exposition et de démystification.
Quelles techniques permettent de se libérer de sa peur?
La technique d’exposition progressive
Selon Amélie Labbé, la thérapie comportementale et cognitive utilise une méthode appelée «l’exposition progressive».
Le but étant de s’exposer à l’objet de peur ou de phobie tel que les avions, les serpents ou les situations que l’on n’ose pas affronter.
Cette méthode se décline en plusieurs versions:
La désensibilisation in vivo consiste à réaliser un exercice de relaxation, puis à s'exposer réellement à l'objet de sa peur ou de son angoisse
L'exposition virtuelle consiste à s'exposer à l'objet de sa peur via un casque de réalité virtuelle ou devant des images vidéo. Cette méthode peut être une étape cruciale pour surmonter une épreuve difficile, en aidant les personnes à affronter leurs peurs de manière progressive et contrôlée..
Puis l'exposition intéroceptive consiste à augmenter sa tolérance à l'inconfort en s'exposant à des sensations qu'on ne supporte pas habituellement (augmentation du rythme cardiaque, transpiration...).
L'exposition avec prévention de la réponse. Cela consiste à s'exposer à un stimulus anxiogène tout en s'empêchant d'y répondre comme à son habitude de manière ritualisée (par des TOC ou par une crise alimentaire).
Le flooding en imagination. L’exercice consiste à en imaginer le pire scénario possible, afin de constater que la situation est inoffensive.
Le flooding in vivo qui consiste à s'immerger réellement dans la situation qui nous fait peur.
Si la désensibilisation à sa peur est utile, elle est toutefois insuffisante. Les peurs, et notamment les phobies ou les situations évitées cachent souvent une peur plus profonde. Elles ne sont donc souvent que des symptômes pouvant réapparaitre sous une autre forme.
Un travail de fond, notamment sur les blessures d’enfance ou personnelles, est nécessaire pour totalement se libérer de l’emprise de la peur.
La technique de démystification de sa peur
Cette deuxième technique consiste à démystifier l’objet de sa peur (comme oser prendre la parole en public.
L’astuce consiste à remplacer le mot «peur» par un mot plus positif tel que l’audace, l’espoir, l’impatience ou la curiosité. Plutôt que de se dire «j’ai peur de prendre la parole en public» on exprime «je suis curieux(se) de parler en public.»
Cette simple astuce nous amène à être moins sensible à la perception du danger et à nous montrer la situation sous un angle différent. L’anticipation cesse d’être anxieuse pour devenir neutre ou confiante.
Il est à noter que si ces deux méthodes sont relativement efficaces, elles ne fonctionnent pas pour tout le monde. La raison étant que nous ne sommes pas tous égaux face à la peur et au stress.
Notre capacité à réguler nos émotions est en grande partie déterminée par un gène, le 5-HTT, impliquée dans le transport de la sérotonine (une hormone de bien-être). Les personnes possédant le gène 5-HTT à allèle courte seraient beaucoup plus sensibles au stress que les personnes ayant leur gène 5-HTT à allèle longue. Leur amygdale (centre du stress) serait particulièrement chatouilleuse et réactive.
Ces personnes ont donc besoin d’être accompagnées par un thérapeute pour faire face à leur peur.
Aussi dur soit le travail sur soi, il reste que nous avons plus à gagner qu’à perdre en faisant face à ses peurs.
Que gagne-t-on en faisant face à sa peur?
L’acquisition d’une véritable force intérieure
Faire face à sa peur permet de construire une solide et réelle confiance et estime de soi.
Même si elle est inconfortable et stressante, la peur est une formidable alliée. Sa vertu étant de nous obliger à agrandir notre zone de confort, à prendre des risques et à prendre conscience de conditionnements et croyances limitantes hérités du passé .
Comme le note Amélie Labbé: «il est intéressant de se demander si tout ce que nous manquons à cause de nos peurs n'est pas plus frustrant et pénible à supporter que l'inconfort suscité par la peur.»
Pour Gabrielle Bernstein, cela nécessite d’aller trouver et soigner son enfant intérieur.
Oser écouter sa peur et aller en profondeur nous donne ainsi l’occasion de grandir et de nous transcender.
Le développement personnel n’a pas d’autre but que cette évolution.
Pour soutenir ce travail sur soi qui demande de l’endurance mentale, il est (très) porteur d’imaginer quel état ou situation on souhaite atteindre. Ou de tout simplement imaginer comment nous agirions si nous n’avions pas peur.
L’imagination est encore trop assimilée à une activité passive où l’on se contente de rêvasser, voire de fantasmer une vie idéale. Même si l’exercice est agréable, il n’a pas beaucoup d’impact dans le réel.
En revanche, imaginer quels sentiments et ressentis on souhaiterait connaître dès le réveil est productif. Le cerveau ne faisant pas de différence entre l’imagination et la réalité, il favorise cet état d’esprit dès lors que nous prenons l’habitude de nous «brancher» sur cette vision.
L’imagination appréhendée en tant qu’activité cérébrale active nous sert ainsi à ressentir plus de force et de sérénité en soi.
Enfin, il existe un dernier appui dont nous parlons avec pudeur en France: la foi.
La foi, un vrai sujet
Contexte historique et religieux oblige, les Français sont beaucoup moins à l’aise avec la croyance en Dieu, la spiritualité et autres perspectives impalpables.
Ce n’est absolument pas le cas pour des Américaines comme Kristen Ulmer, et surtout Gabrielle Bernstein. A de nombreuses reprises dans son livre, elle affirme qu’elle n’aurait jamais abandonné ses addictions sans la foi en une Force supérieure.
La foi a, effectivement, ceci d’assez merveilleux: elle est un filet de sécurité et offre un réconfort absolument non négligeable. Et parce que nous ne nous considérons plus seuls sur notre chemin, et qu’une aide est présente, nous lâchons totalement prise sur les évènements. Comme disait Sénèque: «les dieux sont meilleurs juges».
La position de Gabrielle Bernstein n’est pas sans rappeler celle de Boris Cyrulnik selon lequel : «L’accès à la spiritualité ou la transcendance métamorphose la manière dont on ressent le monde. On peut alors accepter de faire un effort pour construire une cathédrale. Sans la spiritualité, nous restons dans le temps, c’est-à-dire la consommation immédiate et sans sens.»
Si nous devions terminer par un dernier argument faisant appel à la raison pour vous convaincre de rencontrer votre peur, retenons celui d’Amélie Labbé: «Il vaut mieux vivre notre vie avec nos peurs, que ne pas la vivre».
Sources : Kristen Ulmer, L’art de la peur, éditions Amphora, 2019
Gabrielle Bernstein, Happy Days, libérez-vous de la peur, éditions Trédaniel, 2022
Amélia Lobbé, Le jour où j’ai apprivoisé ma peur, Le courrier du livre, 2022
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J’ai la peur de vieillir en EPADH, j’ai été sur le terrain en tant qu’infirmiere, puis en tant que belle-fille d’une femme de 90 ans, qui était en pleine forme, mais le contexte de l’éloignement géographique à fait qu’elle est allée dans une EPHAd, c’est l’horreur ! Elle à fait un syndrome de glissement, et est décédée en 6 mois , avec amaigrissement, manque de soins etc…
Bonjour et merci pour ce super blog santé et bien être,
Je suis un lecteur régulier depuis de nombreuses semaines et je trouve ce blog d’une grande qualité…
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