Couples à double carrière : comment s’aimer et réussir ensemble?
Publié le 15/12/2021, mis à jour le 05/11/2024
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Couples à double carrière : comment s’aimer et réussir ensemble?
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Rencontre avec Anne-Cécile Sarfati
Vouloir concilier amour, vie de famille et carrière professionnelle épanouissante est aujourd’hui le vœu de la très grande majorité des Français.
Mais ce vœu aboutit souvent à un divorce ou un burn-out au regard des obstacles divers et variés qui se dressent sur la route de tous les couples.
Parmi ces obstacles, on retrouve la charge mentale inégalement répartie, la jalousie, la rivalité professionnelle, l’argent et la baisse du désir dans le temps.
Comment réussir en couple, et également chacun dans sa voie ? Comment éviter les pièges qui mènent à l’échec du couple ? Sur quelles ressources et stratégies les couples peuvent-ils s’appuyer pour s’épanouir individuellement et réussir ensemble ?
Pour comprendre tous les enjeux du couple et de l’épanouissement professionnel, nous rencontrons l’auteure de « Nous réussirons ensemble : couples à double carrière » (Albin Michel, 2021), Anne-Cécile Sarfati, avocate puis journaliste, ancienne rédactrice en chef du magazine Elle et fondatrice du forum Elle active destiné à promouvoir le travail des femmes.
Votre livre est une étude sociologique des couples d’aujourd’hui, de ceux qui réussissent ou échouent à tout mener du front. On y trouve des témoignages très intimes sur la sexualité, le rapport à l’argent, la rivalité. Comment avez-vous procédé pour avoir cette profondeur d’échange et d’information ?
ACS : J’ai passé beaucoup de temps dans ma vie professionnelle à défendre l’égalité professionnelle. Et systématiquement, l’intimité et à l’inégalité dans le couple sur le plan domestique, notamment au niveau de la charge mentale, étaient évoquées.
Comme cela m’intéressait, dès que j’apercevais un sujet sur les difficultés à articuler réussite professionnelle et amoureuse, je commençais à remplir des carnets et à consulter des experts de la vie psychologique, intime et sociologique. Ainsi, lorsque j’ai décidé d’écrire ce livre, je disposais de suffisamment de témoignages éloquents et intéressants.
Quelles sont les difficultés du couple à double carrière ?
Un patriarcat inconscient
Quelles difficultés avez-vous relevé à l’épanouissement du couple ?
ACS : La difficulté est liée aux inégalités qui demeurent. Encore aujourd’hui, ce sont les femmes qui s’occupent de l’organisation de la PME familiale, de la charge mentale et opérationnelle.
La difficulté est d’autant plus grande que tout se passe dans la même décennie. C’est entre 30 et 40 ans que l’on construit aujourd’hui sa vie de famille et sa carrière professionnelle. Ainsi, face à cette surcharge d’activités, le temps manque et le couple passe en dernier. Or, si on n’essaye plus d’être bien ensemble, fatalement le couple ne dure pas.
Votre ouvrage ne concerne que les couples hétérosexuels. Pourquoi n’avoir pas abordé les couples homosexuels ?
ACS : Je souhaitais traiter les couples homosexuels, mais leurs problèmes ne sont pas ceux rencontrés par les couples hétérosexuels. Leur fonctionnement, qu’ils soient des couples d’hommes ou de femmes, est beaucoup plus égalitaire.
Même au sein des couples hétérosexuels aux convictions égalitaires, les inégalités persistent ?
ACS : Oui, parce que le couple hétérosexuel porte en lui les stigmates de centaines d’années de patriarcat et de réflexes patriarcaux. Ainsi, même lorsque les couples ont des convictions égalitaires, voire féministes, ils sont rattrapés inconsciemment par des vieux schémas de vie inégalitaires. A savoir que l’homme est chargé de rapporter l’argent, et la femme chargée de réussir la famille.
Une société décalée
Selon la sociologue canadienne, Chiara Piazzesi, « si on veut une véritable égalité professionnelle dans le couple et dans la société, on ne peut pas y arriver sans politique publique ambitieuse. Penser qu’on est responsable individuellement de la réussite, ou non, de son couple à double carrière, c’est nier la dimension systémique de ce que l’on vit. »
Vous avez souhaité mettre en avant cette citation de Chiara Piazzesi. Pourquoi ?
ACS : Parce qu’elle rappelle que tout ne repose pas sur le couple. La société n’est pas adaptée au couple à double-carrière. Elle lui oppose, au contraire, beaucoup de freins socio-culturels. Néanmoins ces freins et inégalités ne doivent pas être importés dans le couple, où l’on risquerait alors de tomber dans une logique comptable. Et inévitablement conflictuelle.
Les couples épanouis et aux convictions égalitaires ont l’intelligence de penser en termes d’équité et d’amour plutôt que d’égalité stricte et chiffrée.
Quels sont les secrets des couples qui réussissent ensemble ?
Sanctuariser des moments à deux
Vous citez le cas de Catherine, 55 ans, DRH, qui explique « on dit souvent que derrière chaque femme qui réussit, il y a un conjoint qui encourage et qui soutient ». Quels sont donc les secrets de ces couples qui réussissent ensemble ?
ACS : Au sein de ces couples, ce qui les fait s’aimer et se séduire mutuellement, c’est le fait que chacun ait son existence personnelle. Cela les stimule parce que cela booste leur altérité.
Par ailleurs, entre leurs enfants et la carrière exigeante de chacun, ces couples estiment que le temps passé à deux est un cadeau. Et parce que ce temps ensemble est limité, il contribue à stimuler leur désir.
L’absence ou l’érosion du désir est d’ailleurs l’un des premiers motifs de consultation chez les sexologues et les gynécologues. Qu’est-ce qui contrarie la libido du couple ?
ACS : Plusieurs situations y contribuent comme l’éducation de tout jeunes enfants, qui est une période magnifique mais qui est un contexte anti-érotique. A cette période de notre vie, il est donc important de savoir se retrouver seuls, entre adultes.
Il y a aussi l’érosion du désir qui concerne tous les couples. Estelle Perel, une célèbre sexologue, rapporte que les couples, où le désir est toujours présent après des dizaines d’années, sont très organisés. Ils programment des moments d’intimité à deux (une exposition, un cinéma, un restaurant) qui ne débouchent pas forcément sur des rapports sexuels, mais sont des préliminaires pour laisser monter le désir et la sensualité.
Pragmatisme et lâcher-prise
Cependant, beaucoup de couples ne trouvent pas le temps de sanctuariser du temps à deux…
ACS : Sanctuariser le temps à deux paraît compliqué, notamment pour les femmes, parce que cela demande de prendre en compte plusieurs facteurs : accepter de déléguer, de ne pas être perfectionniste au travail, et de réduire ses exigences familiales que l’on se fixe pour être une mère idéale.
Les femmes doivent donc apprendre à un peu lâcher-prise pour se faire du bien ?
ACS : Dans ces couples, les deux conjoints ont plusieurs casquettes. La casquette du bon professionnel qui veut réussir sa carrière, celle du bon parent qui aime ses enfants et celle du bon conjoint qui aime son partenaire. Or, si les hommes arrivent à changer de casquettes facilement, ce n’est pas le cas des femmes.
Les femmes ont besoin d’un moment de transition pour elles-mêmes. Cela peut être le sport, la couture ou aller se faire masser. C’est en se donnant du temps à elles qu’elles pourront pivoter entre les différentes casquettes.
En s’octroyant ce bon temps, les femmes regagnent de l’énergie, elles sont mieux dans leur vie personnelle et meilleure au travail. C’est, à tout point de vue, un écosystème vertueux.
En conclusion
Tout est au final une question de choix et de conscience.
Et à ce propos, il est bon de se rappeler que lorsque le travail disparaitra (au moment de la retraite) ou quand les enfants quitteront le nid, seul restera le conjoint. Et qui souhaiterons-nous voir en face de nous ? Un quasi-étranger ou le même amant rencontré plusieurs années auparavant ?
Il ne s’agit pas de délaisser ses enfants ou de revoir ses ambitions professionnelles à la baisse, il s’agit de se souvenir que l’amour demande aussi des efforts. Comme le rappelle l’écrivain Martin Gray :
« l’amour n’est pas seulement un miracle né d’une rencontre, il est jour après jour ce que l’on veut qu’il soit. »
Article rédigé à partir des propos d’Anne-Cécile Sarfati recueillis par Amal Dadolle
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