Fasciathérapie : quand le toucher réapprivoise le corps traumatisé
Publié le 23/07/2025, mis à jour le 24/07/2025
Conseils pour se sentir bien
Fasciathérapie : quand le toucher réapprivoise le corps traumatisé
4 min de lecture
Et si le premier soin à offrir à un corps meurtri n’était ni un médicament, ni une parole, mais un simple toucher ? Un toucher doux, respectueux, profondément humain. C’est la conviction de la Dre Agnès Afnaïm, médecin généraliste et praticienne en fasciathérapie. Elle accompagne depuis plusieurs années des survivants de torture. Dans cet épisode du podcast BloomingYou, elle partage une approche bouleversante du soin.
Ces échanges ont été enregistrés lors du 1er Congrès international de Fasciathérapie, coorganisé par FasciaFrance et le CERAP (Centre d’Étude et de Recherche Appliquée en Psychopédagogie Perceptive). Ce moment unique a permis à des thérapeutes, chercheurs et penseurs du vivant de croiser leurs regards pour redessiner les contours d’une médecine plus sensible.
Quand la médecine classique ne suffit plus
Le Dr Afnaïm a longtemps exercé dans un centre de soins spécialisé dans l’accompagnement des victimes de torture. Très rapidement, elle se retrouve démunie face à certaines situations.
« Les médicaments fonctionnaient, mais pas assez profondément. Et je ne pouvais même pas les toucher. »
En effet, les outils classiques montrent leurs limites. Le déclic survient un jour, presque par hasard, lorsqu’une amie lui raconte une expérience marquante de fasciathérapie. Curieuse, Agnès Afnaïm se forme immédiatement à cette approche manuelle.
Le respect avant tout
Toucher un corps traumatisé exige une attention extrême. Le thérapeute ne peut avancer qu’avec prudence. Il doit d’abord détecter les signes d’alerte. Selon le Dr Afnaïm :
« La première chose qu’on perçoit, c’est la peur, le retrait, le froid dans les tissus. »
C’est pourquoi elle évite systématiquement de faire allonger ses patients lors des premières séances. En effet, la position couchée peut raviver des souvenirs traumatiques. Elle préfère commencer debout ou assis, en posant sa main là où c’est possible — parfois sur l’avant-bras, parfois ailleurs.
Cependant, chaque histoire est différente. Par exemple, un homme ancien enfant soldat ne supportait plus qu’on le touche au bras. C’était précisément par là qu’on l’avait arraché à sa famille. Dans ce cas, l’approche du toucher devait s’adapter avec une infinie précaution.
Le soin comme portage
Nombre de patients accueillis sont dissociés. Ils vivent loin d’eux-mêmes, prisonniers de scènes de violence anciennes. La fasciathérapie ne cherche pas à les “ramener” brutalement, mais plutôt à les accompagner doucement vers eux-mêmes.
« Avant que le mouvement interne ne les porte, c’est moi qui les porte », explique-t-elle.
Le corps, d’abord anesthésié, peut retrouver une certaine présence. La main du thérapeute agit alors comme un appui. Il ne s’agit pas d’un contact mécanique, mais d’une forme de chaleur humaine. Certains patients vivent dès la première séance une transformation réelle, même si elle reste souvent silencieuse.
Reconstruire la confiance, pas la rendre
Le Dr Afnaïm insiste : elle ne rend pas confiance à ses patients. C’est eux qui retrouvent, à leur rythme, le chemin de la sécurité.
« Je n’offre pas la confiance. Je crée les conditions pour qu’elle puisse revenir. »
Ce retour passe par une co-perception. Le thérapeute nomme ce qui émerge, met des mots sur les sensations. Grâce à cela, le patient commence à ressentir ce qu’il vit, au lieu de rester bloqué dans le passé. Ce travail de conscience sensorielle est la clé.
Le fascia, une mémoire vivante
Au cœur de cette méthode se trouve un tissu longtemps négligé : le fascia. Présent dans tout le corps, il enveloppe muscles, organes et articulations. Il garde en lui les traces du vécu corporel.
Contrairement à un massage, la fasciathérapie repose sur une écoute fine du tissu. Le thérapeute perçoit ses tensions, ses micro-mouvements. Il accompagne leur relâchement avec patience.
« Ils ne sont pas là. Ils sont encore dans les scènes de violence. »
Peu à peu, le patient revient. Ce retour passe par le corps. Il s’appuie sur une attention partagée.
Une reconnaissance qui changerait tout
Aujourd’hui, la fasciathérapie reste peu reconnue par les institutions. Pourtant, ses effets sont majeurs, à la fois pour les patients et pour les soignants. Le Dr Afnaïm continue à prescrire des médicaments, mais elle voit dans cette pratique manuelle un complément précieux.
« La fasciathérapie, c’est inestimable. Pour mes patients, pour moi, pour notre relation. »
Intégrer cette approche dans les parcours de soins permettrait de construire une médecine plus complète. Plus humaine aussi. Une médecine du lien.
Soigner transforme aussi le soignant
Cette démarche transforme également la posture du médecin. Le Dr Afnaïm se décrit comme une personne timide, longtemps pleine de doutes. La rencontre avec le toucher l’a métamorphosée.
« Je suis là, aujourd’hui. Et ça, c’est énorme. »
Soigner autrement l’a rendue plus vivante. Elle ne soigne pas seulement les corps blessés : elle soigne aussi la relation.
Une médecine du vivant
À travers ce témoignage, une autre vision de la médecine émerge. Plus lente. Plus incarnée. Plus sensible au vivant. Elle nous rappelle que le soin, parfois, commence par une main posée en silence.