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Publié le 12/10/2025, mis à jour le 22/10/2025
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Gaza : ce que l’effondrement du droit fait à nos consciences

Une blessure morale collective
Comment prendre soin de soi quand l’horreur se déroule sous nos yeux ? Comment rester humain face à l’inhumanité sans se laisser anesthésier par l’habitude du désastre ? Ces questions traversent cet épisode de BloomingYou, qui aborde une réalité difficile : depuis le 7 octobre 2023, nous sommes tous témoins de ce que beaucoup qualifient de génocide à Gaza.
Pour en parler avec rigueur et clarté, j’ai invité Insaf Rezagui, docteur en droit international à l’université Paris-Cité, qui analyse comment le droit international fonctionne ou dysfonctionne dans ce contexte, et Nitzan Perelman Becker, docteur en sociologie également à Paris-Cité, qui étudie l’évolution de la société israélienne, ses contradictions et ses fractures. Toutes deux contribuent à Yanni, un blog de jeunes chercheurs qui documentent les faits au-delà des slogans et des simplifications.
Hannah Arendt nous a montré comment la banalité du mal se construit sur l’incapacité à penser, à questionner, à résister aux récits simplificateurs. Et Albert Camus nous disait : “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.”
C’est pour cela que BloomingYou en parle aujourd’hui : parce que le bien-être authentique ne peut se construire sur le déni, parce qu’il n’y a pas de santé mentale dans une société malade de son indifférence.
La radicalisation de la politique israélienne depuis 2009
Nitzan Perelman Becker a quitté Israël et étudie l’évolution de sa société depuis 2009. Elle explique que le terme “changement” ne suffit pas à décrire ce qui s’est passé : il s’agit plutôt d’une radicalisation, une amplification de caractéristiques déjà présentes.
“On voit vraiment une radicalisation de tous les éléments du sionisme qui arrivent à leur pic avec le retour de Netanyahu au pouvoir. On voit des gouvernements de droite et d’extrême droite qui s’enchaînent et qui amplifient ces trois caractères : nationaliste, colonial et religieux.”
Ces éléments étaient présents depuis 1948, mais depuis 2009, tout est beaucoup plus assumé, beaucoup plus visible et beaucoup plus radical. Les plans de colonisation et d’annexion se multiplient, la volonté de renforcer le caractère juif de l’État s’intensifie, tout comme l’implication de la religion juive dans le système étatique.
Les défaillances révélées par le 7 octobre 2023
L’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 a brisé plusieurs mythes fondateurs de la société israélienne. Nitzan explique que cet événement a révélé une réalité qui fait peur aux Israéliens : l’image d’une armée toute-puissante, d’un renseignement infaillible, et l’idée que les Palestiniens seraient “impuissants” ou “pas assez intelligents” pour mener une attaque de cette ampleur.
“C’est une des idées les plus importantes au sein de la société israélienne qui se brise. On voit des Palestiniens qui arrivent à planifier une attaque très importante, et que non seulement l’armée, mais aussi l’État n’arrive tout simplement pas à réagir, pas à aider les citoyens.”
Pendant trois semaines, ce sont les citoyens qui ont mené les initiatives d’aide. Aujourd’hui encore, l’État refuse de mener un comité d’enquête sur ce qui s’est passé, malgré les demandes des familles d’otages et des victimes. Cette défaillance a brisé le mythe selon lequel Israël serait “le seul État qui peut protéger les juifs”.
Un système d’apartheid : les statuts différenciés des Palestiniens
Pas de cohabitation, mais une domination coloniale
Nitzan, qui vient de Haïfa, une “ville mixte”, démystifie l’idée de cohabitation pacifique : “On ne peut pas parler de coexistence, de cohabitation. On peut juste parler de deux groupes qui vivent l’un à côté de l’autre.”
Les Palestiniens de la Mer au Jourdain, quel que soit leur statut, sont soumis à une domination coloniale et à une oppression importante. Même les Palestiniens citoyens d’Israël, souvent présentés comme des “citoyens égaux”, subissent une discrimination systémique.
Depuis la fondation de l’État en 1948, des lois différencient clairement entre juifs et non-juifs :
- Des lois foncières réservent certaines terres uniquement aux juifs
- Tous les juifs du monde peuvent devenir quasi automatiquement citoyens d’Israël
- Les Palestiniens expulsés pendant la Nakba (1947-1949) ne peuvent pas revenir chez eux
- Une loi de 2003 empêche un Palestinien citoyen d’Israël marié à un Palestinien de Cisjordanie, Gaza ou Jérusalem d’obtenir un titre de séjour
Quatre statuts, quatre réalités
Insaf Rezagui précise les distinctions juridiques entre les différents groupes de Palestiniens:
1. Les Palestiniens de Gaza : soumis à un blocus total (maritime, terrestre, aérien). Ils ne peuvent pas sortir du territoire. L’État civil est contrôlé par Israël, même via les autorités du Hamas.
2. Les Palestiniens de Cisjordanie : sous régime militaire avec plus de 2000 ordres militaires qui régissent leur vie de la naissance à la mort. Ils dépendent des tribunaux militaires israéliens (contrairement aux colons juifs qui dépendent des tribunaux civils). Près de 600 barrages militaires quadrillent leur territoire.
3. Les Palestiniens de Jérusalem-Est : ont un simple statut de “résidents”, comme des étrangers avec un titre de séjour. Ils peuvent perdre ce statut s’ils ne justifient pas d’une année de résidence à Jérusalem, ou pour “manquement de loyauté” à l’État d’Israël (messages sur les réseaux sociaux, conversations enregistrées).
4. Les Palestiniens citoyens d’Israël (appelés “Palestiniens de 1948”) : ont des droits politiques, peuvent être au Parlement, voter. Mais la loi distingue très clairement ce qui concerne les aspects fonciers, et ils restent suspects d’être “l’ennemi intérieur”.
Plusieurs organisations internationales et israéliennes ont documenté ce système d’apartheid de la Mer au Jourdain qui distingue très clairement entre groupes ethniques sur la base de l’origine et du lieu d’habitation.
L'enfermement massif : plus de 10 000 Palestiniens dans les prisons israéliennes
Depuis le 7 octobre 2023, il y a un renforcement massif du contrôle militaire. Insaf révèle des chiffres alarmants : plus de 10 000 Palestiniens croupissent dans des geôles israéliennes militaires, en violation totale du droit international.
4000 d'entre eux sont en détention administrative, ce qui est illégal au regard du droit international : ils sont emprisonnés sans connaître les charges retenues contre eux, sans accès à un avocat, sans pouvoir parler avec leurs familles, de manière indéfinie. Tous les 6 mois, cette détention peut être prolongée. Certaines personnes restent ainsi plusieurs années en prison sans jamais savoir pourquoi. Cela inclut des mineurs, des enfants enlevés de leur maison.
Un outil de répression
Le problème des tribunaux militaires, explique Insaf, c'est le flou absolu. On ne connaît pas le fondement juridique sur lequel quelqu'un est inculpé. "C'est un outil de répression et de peur. On veut empêcher toute possibilité de résistance des Palestiniens en prenant dans les familles, souvent les jeunes hommes qui contribuent à soutenir financièrement les familles."
Ces personnes sont souvent soumises à la torture et à des mauvais traitements, ce qui est documenté par les Nations Unies. Israël a recours à des méthodes complètement interdites en droit international : sévices physiques et psychologiques.
L'argument sécuritaire : comment tout est justifié
Comment ces traitements sont-ils justifiés auprès de la population israélienne ? Nitsan est claire : tout est justifié par l'argument sécuritaire.
"Il faut le faire parce que c'est pour protéger la sécurité des juifs israéliens, du peuple juif, et donc tous les moyens sont bons pour le faire."
Depuis le 7 octobre, cette idée s'est renforcée. On parle même du génocide pour "protéger la sécurité des Israéliens". Les affirmations génocidaires de la part des dirigeants politiques et militaires sont justifiées par cet argument de sécurité.
La "démocratie défensive"
Nitzan a étudié le concept de "démocratie défensive" : en Israël, contrairement à l'Allemagne qui l'utilise contre des acteurs antidémocratiques pouvant changer le régime, ce concept est utilisé contre toute personne non-juive, surtout palestinienne, qui pourrait mettre en risque le caractère juif de l'État.
Il faut comprendre qu'il n'y a pas de terme en hébreu qui englobe tous les citoyens juifs et non-juifs de l'État. Quand on dit "Am Israël" (le peuple d'Israël) ou "Am Yehudi" (le peuple juif), on parle toujours, exclusivement, des citoyens juifs de l'État ou de tous les juifs dans le monde.
La loi de l'État-nation de 2018 le dit clairement : l'État d'Israël est l'État-nation du peuple juif, responsable de la sécurité des juifs du monde entier. Cela crée une équivalence dangereuse entre juifs et Israéliens, impliquant tous les juifs dans les actions de l'État, qu'ils soient sionistes ou pas.
Breaking the Silence : de héros à "traîtres"
En 2004, des soldats israéliens créent l'organisation Breaking the Silence pour publier des témoignages de leur service militaire en Cisjordanie. Ils sont alors invités au Parlement israélien, la Knesset, où leurs photos et témoignages sont exposés.
En 2018, ces mêmes personnes sont considérées par cette même institution comme des traîtres, l'ennemi de la nation. Une loi appelée "Loi Breaking the Silence" vise à empêcher l'entrée de cette organisation dans les écoles israéliennes.
Briser le mythe de "l'armée la plus morale"
Qu'est-ce qui a changé ? Nitzan explique que Breaking the Silence n'a pas présenté les crimes de l'armée comme des cas exceptionnels, mais comme une politique quotidienne, régulière, une politique d'État.
"C'est ça qui a embêté les gens, même les partis du centre et de la gauche sioniste : ils dévoilent la politique de l'État et les crimes que l'État commet, le fait que l'armée n'est pas l'armée la plus morale."
Le fait de briser ce mythe, central dans la société israélienne, était un "crime" aux yeux de beaucoup. Et surtout, Breaking the Silence publie ses témoignages en langues étrangères : c'est le soldat, le "fils du peuple", le héros, qui ose dire qu'il s'agit d'une politique très réfléchie de l'État.
Ces témoignages ont pu servir à documenter les rapports des Nations Unies et d'autres instances internationales, bien que les ONG palestiniennes aient été les premières à documenter les crimes qu'elles subissaient.
Le "democratic-washing" : un concept pour démasquer l'hypocrisie
Nitzan a travaillé sur le discours critique contre Breaking the Silence et a découvert quelque chose de fascinant : à chaque fois qu'on essaie de promulguer une loi pour réduire au silence cette organisation, on utilise des arguments démocratiques.
Elle a inventé le concept de "democratic-washing" pour décrire cet écart entre un discours qui mobilise des principes démocratiques (démocratie, égalité, liberté, volonté du peuple) et la réalité anti-démocratique que ce discours vise à légitimer, justifier, promouvoir.
Exemples concrets
La loi de 2011 sur les communautés juives : elle vise à autoriser la construction de communautés purement juives et à empêcher les Palestiniens d'y vivre, surtout dans les zones où la présence palestinienne est importante (Galilée au nord, Néguev au sud).
Un parlementaire justifie ainsi : "On vit dans un État démocratique. Et dans un État démocratique, j'ai le droit de choisir mes voisins, et je dois aussi pouvoir ne pas vivre à côté de mes ennemis."
C'est complètement contradictoire avec la Déclaration des droits de l'homme qui dit que chaque personne a le droit de choisir où vivre dans le pays où elle a la citoyenneté.
La loi sur l'État-nation : pour la justifier, un parlementaire du Likoud déclare que "les juifs représentent une minorité dans le monde, alors cette loi vise à renforcer les droits de minorité". Un écart paradoxal entre le discours et la réalité qu'il promeut.
La loi de 2016 sur la transparence des ONG : présentée comme démocratique, elle cible en réalité les organisations de défense des droits, accusées "d'abuser de la liberté d'expression" et de "mettre en risque la sécurité des citoyens".
Cette stratégie n'est pas exclusive à Israël, précise Nitzan. On la trouve aussi en France, aux États-Unis, dans beaucoup de pays occidentaux dits "démocraties libérales". Il faut faire attention à cet écart, car c'est très important.
La reconnaissance de l'État de Palestine : blanchiment occidental ?
Plusieurs pays, dont récemment la France, ont reconnu l'État de Palestine. Qu'est-ce que cela change concrètement ? Insaf est très critique sur cette "séquence" politique.
"On se rend compte que ces États — je mets de côté peut-être l'Espagne qui est un cas à part — ont reconnu la Palestine pour peu de frais, pour se racheter une bonne conscience, parce qu'ils savent que ce sont eux qui financent, qui arment militairement, politiquement, économiquement l'État d'Israël dans son projet colonial."
Un double standard flagrant
Au lieu de prendre des mesures réellement dissuasives, comme des sanctions, ces États sortent "la reconnaissance du chapeau" pour contenter une opinion publique qui attend que les choses changent, sans froisser l'allié israélien.
Insaf rappelle l'exemple de la Russie : quand elle est entrée en guerre sur le territoire ukrainien, on n'a pas attendu 22 mois. Aujourd'hui, la Russie fait l'objet de 18 paquets de sanctions contre le gouvernement russe. On n'a pas attendu pour prendre des mesures financières, pour arrêter de commercer, pour adopter des sanctions contre les hauts dirigeants.
Avec Israël : rien de comparable.
Deux problèmes urgents
Il y a deux problèmes aujourd'hui :
- Un ordre colonial partout en Palestine qui empêche les Palestiniens de disposer de leur droit fondamental à l'autodétermination
- L'urgence du génocide, qui devrait être la priorité de tous les États de la planète
La reconnaissance ne va pas empêcher le génocide. La preuve : le jour même de l'annonce par l'Australie, le Royaume-Uni et le Canada, Israël a tué 50 Palestiniens à Gaza. Et Benjamin Netanyahu a déclaré "noir sur blanc" : "Cela n'arrivera pas. Il n'y aura pas d'État palestinien sur la base de la solution à deux États."
Le droit de se défendre : un mensonge juridique
Comment le droit international traite-t-il l'argument selon lequel "Israël a le droit de se défendre" ?
Insaf est catégorique : ce droit n'a jamais existé dans ce contexte.
"La seule chose qu'Israël avait le droit de faire le 7 octobre, c'était du maintien de l'ordre. C'est-à-dire que sur son territoire, elle pouvait repousser les assaillants. D'ailleurs, elle l'a fait : il y a 1500 combattants des groupes armés palestiniens qui ont été neutralisés."
Ce qu'elle a fait ensuite, c'est mener une agression armée contre un territoire qui ne lui appartient pas et sur lequel elle n'a aucun titre de souveraineté. La légitime défense ne pouvait donc pas s'appliquer.
Une question déjà tranchée en 2004
Cette question a été tranchée par le droit bien avant le 7 octobre. Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice a déclaré très clairement : "Une puissance occupante n'a pas le droit à la légitime défense dans les rapports qu'elle entretient avec le peuple et le territoire qu'elle occupe."
Israël n'a pas le droit d'invoquer la légitime défense sur un territoire sur lequel elle n'est pas censée être présente. La Cour l'a redit dans un avis rendu le 19 juillet 2024.
Proportionnalité et nécessité : deux principes bafoués
Même s'il avait ce prétendu droit, deux principes fondamentaux s'appliquent : proportionnalité et nécessité. Or, nous sommes aujourd'hui à :
- Près de 100 000 Palestiniens morts (les chiffres sont sous-estimés)
- L'intégralité de la population de Gaza déplacée, parfois plusieurs fois
- 90% des biens d'habitation complètement rasés
- Plus de structure médicale viable
- Plus d'école : 700 000 enfants palestiniens n'ont pas fait leur rentrée scolaire depuis deux ans
Les gains militaires escomptés sont complètement mis en balance par ces chiffres.
Vers quoi se dirige la société israélienne ?
Nitzan voit une continuité logique : "Depuis 1948, c'est tout un processus d'accélération, de radicalisation, et surtout tout devient plus visible et plus assumé."
Avant, des propos génocidaires auraient peut-être été moins légitimés par certains groupes, notamment de la gauche et du centre sioniste. Aujourd'hui, c'est le cas.
Mais la vraie question, pour elle, est ailleurs : qu'est-ce qui va se passer sur ce territoire entre la Mer et le Jourdain ?
"Ce qui nous embête énormément, c'est que les Occidentaux, en France aussi, avec cette reconnaissance, veulent imposer une solution. Ça veut dire qu'on ne comprend pas entièrement ce qui se passe. On ne veut pas comprendre qu'il s'agit d'un ordre colonial et que tous les processus de décolonisation dans l'histoire, ce n'est pas le colon qui a changé quoi que ce soit, mais c'est bien le peuple colonisé."
Le seul droit qui devrait primer
Pour Insaf, le problème n'est pas la question de la société israélienne. On sait que c'est un ordre colonial. Le problème, c'est qu'en face, vous avez un peuple colonisé, le peuple palestinien, qu'on n'a jamais sollicité pour savoir ce que lui voulait.
"Il n'y a qu'un droit qui prime dans ce conflit aujourd'hui, c'est le seul qui devrait guider les actions politiques de la société internationale : le droit à l'autodétermination du peuple palestinien."
Les modalités de mise en œuvre de ce droit appartiennent au seul peuple colonisé. C'est à lui de décider ce qu'il veut, pas ce qu'on lui impose.
Quand on impose une solution à deux États, c'est une posture néocoloniale qu'adopte la France et d'autres États, parce qu'on impose une solution politique à un peuple colonisé sans jamais le consulter.
Un génocide colonial déjà en marche avant le 7 octobre
Le génocide qu'on voit aujourd'hui fortement à Gaza était déjà en place avant le 7 octobre. Les éléments matériels du crime étaient visibles en Cisjordanie. L'année qui a précédé le 7 octobre était l'année la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis la seconde intifada au début des années 2000, avec 600 Palestiniens tués.
Alors qu'on parlait dans les médias d'un "moment de paix", d'un "statu quo", le gouvernement accélérait la colonisation comme jamais, avec des plans de colonisation qui tombaient "du ciel tous les quatre matins".
L'effondrement du droit international
Un système aux fondements coloniaux
Insaf parle de l'effondrement de l'ordre international et du droit international. Gaza et la Palestine révèlent tous les biais d'un système international qui a des postures coloniales.
Le droit tel qu'on le connaît a été forgé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par des États qui étaient encore de grands empires coloniaux : France, Royaume-Uni, etc. Ces grandes puissances ont créé un système dont les Nations Unies sont le cœur.
Ce système créé avec 51 États seulement (aujourd'hui 193) n'est pas représentatif de la situation mondiale actuelle. Une grande partie des peuples d'Afrique, d'Asie, d'Amérique Latine étaient encore sous joug colonial à l'époque.
Le droit de veto : un outil de domination
Ces grandes puissances se sont arrogé un droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. Malgré l'évolution géographique et politique de la planète, il n'y a jamais eu de réforme structurelle du Conseil de sécurité.
5 États décident pour le sort de milliards de personnes.
Récemment, un projet de résolution demandant un simple cessez-le-feu humanitaire à Gaza a obtenu un vote favorable de 14 États. Un seul État s'y est opposé : les États-Unis. Le fait que l'ambassadrice américaine à l'ONU lève la main empêche ce texte de rentrer en vigueur.
L'absence d'effectivité
Même quand une résolution parvient à être adoptée, le problème est qu'on n'a pas d'outil pour la mettre en place. La Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale n'ont pas de force de police. La CPI ne peut pas aller arrêter Netanyahu en Israël pour l'amener à La Haye.
Le problème, c'est la volonté politique des États. Or, ce sont les États-Unis et les États de l'Union européenne qui décident, et jamais ils n'ont eu l'envie d'imposer les décisions de justice internationale.
Le double standard
La Palestine révèle le double standard dans l'application du droit : la Russie fait l'objet d'un paquet de sanctions économiques et financières, mais pas Israël pour des crimes comparables, voire pires.
Des États du Sud et des opinions publiques en Occident tentent d'utiliser les mécanismes existants pour changer les choses (comme l'Afrique du Sud devant la CIJ), ou de créer de nouveaux espaces internationaux. Mais les rapports de force restent tellement déséquilibrés que les États occidentaux ont encore la mainmise sur le sort du monde.
La France est particulièrement concernée : elle n'a toujours pas fait son introspection sur son propre passé colonial. La difficulté d'une partie de l'opinion publique française à critiquer Israël vient du fait que "ça nous renvoie à ce que nous-même on a pu faire par le passé et ce qu'on continue peut-être aussi de faire aujourd'hui."
Insaf conclut : "Comme on n'a toujours pas fait ce travail de reconnaissance de nos propres crimes coloniaux, on a du mal à dire : en fait, Israël commet des crimes coloniaux aujourd'hui encore contre les Palestiniens."
Que peut-on faire en tant que citoyen européen ?
Face à cette réalité écrasante, que pouvons-nous faire ?
La mobilisation citoyenne fonctionne
Insaf pense que ce qui a poussé la France à reconnaître la Palestine, c'est justement les mobilisations citoyennes. Il y a une vraie envie que les choses changent de la part des citoyens.
Les actions concrètes :
- Visibiliser la situation en Palestine : ne pas arrêter d'en parler, en dire à son entourage, sur les réseaux sociaux, dans les conversations, dans les cafés, dans les universités. La Palestine est un sujet central car en son sein, on trouve toutes les problématiques de notre système international.
- Se renseigner et apprendre : pour empêcher l'instrumentalisation de ce génocide et surtout l'instrumentalisation de l'antisémitisme, comme le souligne Nitsan.
- Le boycott : quand on commerce ou qu'on a des partenariats avec certaines entreprises israéliennes, on participe indirectement à financer les crimes de masse.
- Les universitaires doivent se mobiliser davantage : ils ont un rôle à jouer.
- Manifester : les opinions publiques doivent continuer à se faire entendre.
Distinguer juif, israélien et sioniste
Nitzan insiste sur un point crucial : l'instrumentalisation de l'antisémitisme joue en faveur du gouvernement israélien et de l'État d'Israël, qui essaie de faire une équivalence complète entre juifs et Israéliens.
"C'est très dangereux. Il faut savoir distinguer entre ce qu'est juif, ce qu'est israélien, ce qu'est un acte antisémite et ce qu'est une position antisioniste qui ne peut pas être mélangée."
L'antisémitisme est un crime très grave, un crime raciste. Mais son instrumentalisation réduit la gravité de ce qu'est réellement un acte antisémite et silencie toute critique envers Israël — une critique qui est aujourd'hui devenue obligatoire.
Nitzan, en tant que juive qui a eu de la famille tuée en masse pendant la Seconde Guerre mondiale en Pologne, est particulièrement sensible à cette question. Elle voit l'instrumentalisation comme une double violence : envers les Palestiniens, mais aussi envers la mémoire de la Shoah.
La Palestine : un miroir de notre société
Insaf conclut : "La Palestine, ce n'est pas que la Palestine, c'est aussi nous en miroir, notre manière de faire société."
C'est pour cela qu'il faut en parler, se mobiliser, et refuser le silence qui permet l'impunité.
En guise de conclusion
Ce que nous venons d'entendre est difficile. Près de 100 000 morts à Gaza. Un territoire détruit à 90%. Des systèmes de contrôle qui fragmentent un peuple selon son lieu de résidence. Des lois qui distinguent les citoyens sur une base ethnique. Un droit international qui s'applique différemment selon les États concernés.
Face à cette réalité, on peut se sentir impuissant ou, pire, s'habituer. C'est peut-être là le plus grand danger : cette anesthésie progressive qui fait qu'on finit par ne plus vraiment voir, ne plus vraiment sentir.
Insaf et Nitzan nous ont montré quelque chose d'essentiel : les mécanismes précis par lesquels l'oppression fonctionne. Les ordres militaires en Cisjordanie. Le blocus de Gaza. Les statuts différenciés. Le "democratic-washing" qui habille de langage démocratique des pratiques anti-démocratiques.
Elles ont nommé les choses avec précision. Et dans ce monde saturé de slogans et de simplifications, cette précision est un acte de résistance.
Elles ont soulevé une question qui nous concerne tous : que signifie notre complicité passive ? Nos gouvernements, nos impôts, nos échanges commerciaux sont impliqués. Quand la France laisse un premier ministre sous mandat d'arrêt international survoler son espace aérien, quand elle continue de commercer avec un État accusé de génocide par la Cour internationale de justice, nous sommes concernés.
Ce n'est pas une question lointaine. C'est une question de cohérence morale, individuelle et collective.
On ne peut vraiment parler de bien-être, de vie bonne, tout en détournant le regard de l'effondrement des principes censés protéger l'humanité.
La philosophe Judith Butler écrit que certaines vies sont considérées comme "grievable" — dignes d'être pleurées — et d'autres non. Ce que révèle Gaza, c'est cette hiérarchie mortifère des vies humaines. Et reconnaître cela, c'est déjà un premier pas.
Que pouvons-nous faire ?
- Nous informer rigoureusement, au-delà des récits préfabriqués
- Soutenir le travail de documentation des organisations de droits humains
- Manifester cette solidarité concrète qu'évoquait Insaf : le boycott, les mobilisations citoyennes
- Refuser l'instrumentalisation de l'antisémitisme qui sert à faire taire toute critique
- Et surtout, continuer d'en parler dans nos cercles, nos universités, nos cafés
Car c'est ce silence-là que recherche l'impunité.
Il n'y a pas de séparation étanche entre notre santé mentale et l'état du monde. Nous portons en nous cette fracture morale. La question est : qu'en faisons-nous ? Est-ce qu'elle nous paralyse, ou est-ce qu'elle nous mobilise ?
Pour approfondir :
- Blog Yanni (analyses et documentation des chercheurs) : yanni.fr
- Rapport de B'Tselem sur l'apartheid
- Avis de la Cour internationale de justice (9 juillet 2004 et 19 juillet 2024)
- Rapports des Nations Unies sur la détention administrative et la torture
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