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Publié le 05/10/2025, mis à jour le 08/10/2025
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Gérard Haddad, psychanalyste : pourquoi le sionisme trahit le judaïsme
Le sionisme est une idéologie anti-juive : un psychanalyste brise l’omerta
Dans Éloge de la trahison, paru chez Passeurs éditions, le psychiatre et psychanalyste Gérard Haddad livre douze lettres adressées à son maître spirituel, le philosophe Yeshayahou Leibowitz. Un ouvrage qui interroge ce que signifie rester humain face à l’inhumanité, et comment garder son intégrité quand son propre camp dérape.
Un homme aux multiples vies
Le parcours de Gérard Haddad sort de l’ordinaire. Ingénieur agronome à Grenoble, il a d’abord travaillé dans la brousse sénégalaise auprès des paysans. À trente ans, son analyse avec Jacques Lacan change tout. Il reprend ses études, devient médecin psychiatre. Plus tard, il soutient un doctorat en philosophie. “Bac plus 25”, lance-t-il en souriant.
Psychanalyste de formation lacanienne, Haddad a consacré ses recherches à renouveler la discipline en proposant le “complexe de Caïn“, le conflit fraternel comme moteur premier de la violence humaine, là où Freud voyait le complexe d’Œdipe.
Face à Gaza, l’écriture comme thérapie
Devant la situation à Gaza, Haddad réagit comme toujours : il écrit. “Ma thérapeutique, c’est d’écrire.” Deux livres naissent de ce bouleversement. Le premier, Archéologie du sionisme (Salavator éditions), creuse jusqu’à “l’ADN” de cette idéologie, bien au-delà des analyses journalistiques habituelles. Le second, Éloge de la trahison, interroge le devoir moral de s’opposer à son groupe d’appartenance.
“Je pense que d’abord, je voudrais vous dire ma tristesse et ma peine de voir que la situation de Gaza… depuis deux ans des millions de gens doivent traverser des souffrances. Aucun mot ne peut rendre compte de cette souffrance.”
Des amis médecins revenus de Gaza lui ont confié : “Tu ne peux même pas imaginer ce qui se passe là-bas.” La destruction systématique, universités, hôpitaux, écoles, églises, mosquées, cimetières. “Pour ne pas laisser trace. C’est quoi ça ? Si vous n’êtes pas bouleversé par cette situation, c’est quelque chose qui ne va pas chez vous.”
Distinguer nostalgie religieuse et projet colonial
L'analyse de Gérard Haddad du sionisme commence par une distinction radicale. D'un côté, le "vieil Yishouv" : ces Juifs qui, depuis toujours, finissaient leur vie à Jérusalem par dévotion religieuse. Ils représentaient 5% de la population palestinienne au XIXe siècle et vivaient en harmonie avec les populations locales : musulmanes, chrétiennes, arméniennes. "On n'a pas trace d'un incident."
La naissance du sionisme politique
De l'autre côté, le sionisme politique émerge fin XIXe siècle. Son acte fondateur ? L'État des Juifs de Theodor Herzl (1896). Le jugement d'Haddad est sans appel : "C'est un des livres les plus mauvais que j'ai jamais lu. Ce qui est dans ce livre, à part une chose, rien n'est passé. C'est complètement aberrant."
Max Nordau et l'obsession de la "dégénérescence"
Le véritable cerveau serait Max Nordau, ami d'Herzl, obsédé par la "dégénérescence". Cette idée faisait fureur à l'époque. En effet, Charcot voyait les malades mentaux comme des "dégénérés". De même, Zola construisit toute sa saga des Rougon-Macquart sur ce thème. "C'est le coup de génie de Freud d'avoir dit : 'Mais non, mais non, mais non. Ils ne sont pas dégénérés, ils ont des souvenirs traumatiques. Ils souffrent de réminiscence.'"
Un peuple "dégénéré" qui produit des génies
Pour Nordau, le peuple juif était "dégénéré". Cependant, Haddad relève l'ironie : "Le peuple dégénéré en question, je vais me flatter un peu, parce que j'en fais partie, il a donné quand même à l'époque Einstein, le plus grand physicien depuis Newton, Sigmund Freud, c'est pas négligeable, Stefan Zweig, par exemple, un des merveilleux écrivains."
Un projet colonial de "régénération"
Par conséquent, le sionisme devait "régénérer" ce peuple par la violence. Contexte de l'époque : l'idéologie coloniale triomphait. "Le projet herzlien, c'était un projet colonial."
Anecdote révélatrice : en 1899, Nordau aurait dit à Herzl : "Tu sais l'horreur de ce que j'ai appris ? Il paraît qu'il y a des Arabes en Palestine. Ah bon ? Tu es sûr ?"
De plus, la célèbre phrase "Une terre sans peuple pour un peuple sans terre" ? Prononcée par un ecclésiastique chrétien, pas un Juif.
La "forclusion" du judaïsme
Haddad emploie un concept lacanien : la forclusion, soit le rejet radical d'un élément fondateur de l'identité. Le sionisme, selon lui, a opéré une forclusion du judaïsme lui-même.
"Le sionisme va balayer tout ça. Tout ça, ça fait partie du passé. On n'en parle plus. La religion juive, c'est un ramassis de superstitions dont il faut se débarrasser pour le remplacer par le merveilleux discours scientifique de l'époque."
Cette dynamique rappelle L'Internationale : "Du passé faisons table rase." Haddad s'insurge : "J'appelle ça une forclusion, moi. Le passé, on le critique, on le travaille, mais on ne fait pas table rase. On le reprend, on le modernise."
En psychanalyse, la conséquence d'une forclusion ? La folie. "Le sionisme est une forclusion du judaïsme. C'est une idéologie antisémite, anti-judaïque, ça, c'est sûr." Il précise : "Ça serait amusant de dire que le sionisme est antisémite. Il est anti-judaïque, c'est sûr."
Leibowitz : le prophète de 1967
En 1989, jeune médecin sioniste installé à Jérusalem, Gérard Haddad rencontre Yeshayahou Leibowitz. Personnage hors norme : médecin, physicien, quatre doctorats, dix-neuf langues. Juif ultra-orthodoxe militant pour la laïcité de l'État.
Haddad vient discuter philosophie, messianisme, Maïmonide. Mais Leibowitz veut parler d'autre chose : "La première chose dont il voulait me parler, c'est de la mort des enfants palestiniens. À l'époque, nous sommes en 1989, 300 enfants palestiniens ont été assassinés. Il me dit : 'C'est une tache sur nous. Je n'en dors pas.' 300 aujourd'hui... On en est à plusieurs dizaines de milliers."
Leibowitz militait dans la rue, "ce vieux monsieur avec ce petit chapeau". Il voulait le partage de la Palestine en deux États.
En 1967, au lendemain de la victoire éclair des Six Jours, Leibowitz choque tout Israël : "Cette victoire militaire est le plus grand désastre d'une histoire juive depuis Auschwitz. Nous allons devenir un peuple de flics, de tortionnaires. Et nous allons détruire les valeurs sur lesquelles nous avons construit le projet de créer un État juif." Tout le monde l'a pris pour un fou.
Lors de la guerre du Liban en 1982, il emploie pour la première fois l'expression "judéo-fascisme". Puis il parlera de "judéo-nazisme" pour certains courants de la société israélienne. "Ces courants aujourd'hui sont au pouvoir", constate Haddad.
Leibowitz déclare publiquement : "Je veux qu'on me considère comme traître à toutes les valeurs qui dominent ce pays."
Deux types de trahison
Haddad distingue soigneusement deux formes de trahison. La "trahison crapuleuse" - pour l'argent, l'intérêt personnel. Exemple : Guy Mollet, socialiste pacifiste, qui mena la plus longue guerre d'Algérie.
Et la "trahison noble" : "C'est le gars qui, par fidélité à des valeurs, se détache du groupe."
La tradition juive regorge de ces "merveilleux traîtres". Le prophète Jérémie, "un magnifique poète", alla jusqu'à traiter avec Nabuchodonosor qui assiégeait Jérusalem.
Rabbi Yohanan ben Zakkai, "le fondateur du judaïsme tel que nous le connaissons", quitta clandestinement Jérusalem assiégée par les Romains pour négocier : "Il va voir les Romains, il dit : 'La ville est à vous. Mais moi, donnez-moi un endroit où je puisse avec mes élèves étudier.' Parce que pour lui, l'idéal, c'était l'étude. Malheureusement, un idéal que les sionistes ont détruit."
Haddad cite aussi le général de Gaulle en 1940, Jean Jaurès opposé à la guerre de 1914 et assassiné pour cela, Romain Rolland réfugié en Suisse. "Donc vous avez ces grands hommes... dans la tradition juive."
Les valeurs qui règnent en Israël aujourd'hui ? "C'est l'armée, il faut être un guerrier. Toutes les valeurs, genre l'étude, l'étude des traditions, de la littérature, ces valeurs qui étaient traditionnelles dans le monde juif, ont été détruites par le sionisme. Donc ce sont ces valeurs sionistes que je suis un traître."
Le complexe de Caïn : la haine du frère comme carburant des guerres
Au cœur du travail d'Haddad : le conflit fraternel comme moteur de la violence humaine. "Dans la Bible, à la quatrième page, on nous dit que le premier homme, ce qu'il a fait, c'est de tuer son frère. Et ce complexe de Caïn, il est permanent."
Freud lui-même, dans un texte tardif, écrit sur Napoléon et son frère aîné Joseph : "Il l'a haï à mort." Cette haine s'est transformée en amour - au point que Napoléon nomma Joséphine (Joseph) la femme qu'il aima. Mais, écrit Freud, "cette haine a-t-elle disparu ? Non, elle a été déplacée. Et c'est cette haine qui va servir de carburant à toutes les guerres napoléoniennes." Si Napoléon avait tué son frère, "il aurait épargné à l'Europe les centaines de milliers de morts des guerres napoléoniennes."
Haddad élargit : "Toute guerre est une guerre fraternelle. Comment voulez-vous lancer les gens, les uns contre les autres, par exemple les Français contre les Allemands, les Juifs contre les Arabes, les Russes contre les Ukrainiens ? Le carburant c'est quoi ? Il faut réveiller en l'homme la haine initiale refoulée qu'il avait pour son frère ou pour sa sœur."
D'où vient cette haine ? De la rencontre traumatique avec son image. "Quand vous voyez votre image dans le miroir ou dans l'eau, c'est qui lui ? C'est toi chéri ? Ah bon ça va, ça me rassure. Mais quand même..."
Le Palestinien comme double de l'Israélien
"Qu'est-ce qu'un Palestinien pour un Israélien ? C'est son double."
Ils aiment le même pays. Ils mangent la même chose : "Il mange le houmous, le falafel, la tahina, la pita, tout ça, ce sont des aliments palestiniens, libanais, turcs peut-être."
Beaucoup de Palestiniens sont probablement des descendants de Juifs de l'Antiquité restés sur place, convertis au christianisme ou à l'islam selon les invasions. Haddad cite une étude génétique : "Rima Hassan, elle s'est fait un génotype, elle a trouvé qu'elle avait 30 à 40% de gènes juifs. Ces Palestiniens, une bonne partie d'entre eux, ce sont des Hébreux de l'Antiquité qui s'en sont restés et qui se sont convertis."
Conclusion : "Le Palestinien est un double pour l'Israélien. On ne peut pas vivre avec son double, il faut le tuer. Sauf si vous le tuez, vous vous suicidez."
Otto Rank, dans Le Double, montre que toute la littérature romantique repose sur la terreur vis-à-vis de son double. Dans les rêves, les nouvelles, quand on rencontre son double, on le tue - mais tuer son double, c'est se suicider.
Shoah et sionisme : un lien rétrospectif
L'analyse d'Haddad brise un tabou : "Il n'y a aucun rapport entre le sionisme et la Shoah. Quand il y a eu, en 1940, les Israéliens, les sionistes, ne se sont pas du tout occupés de ce qui se passait en Europe."
L'indifférence pendant la guerre
Une femme échappée d'un ghetto vint supplier lors d'une réunion sioniste : "Elle a poussé un cri de désespoir : 'On nous tue, on nous massacre, faites quelque chose.' Ben Gourion n'a rien trouvé de mieux à faire que de quitter la salle. Il a dit : 'Quand on entend parler comme ça, ça m'arrache les oreilles.' Pourquoi ? Parce qu'elle parlait en yiddish."
La recherche démographique après 1948
Après la création d'Israël en 1948, problème démographique : ils cherchent des Juifs partout. D'une part, les rescapés regroupés en Suède ou à Chypre sont amenés. D'autre part, les Juifs des pays arabes aussi, "avec des moyens très bizarres. En Irak, par exemple, on a mis des bombes dans les synagogues en disant que c'était des ennemis qui avaient mis des bombes. Alors que c'était pour faire fuir les Juifs irakiens."
Le mépris des survivants
Les rescapés arrivent en Israël : "Ils ont été reçus comme des chiens. Il y a eu beaucoup de mépris." Pourquoi ce mépris ? "L'idéal, l'Israélien, c'est l'héroïsme militaire. C'est d'être un combattant. Vous ne vous êtes pas battus, vous avez été dans les camps comme les moutons vont en l'abattoir. C'est l'expression qui était employée." Par conséquent, on les obligeait à porter des manches longues pour cacher leurs tatouages.
Aucun dirigeant israélien n'était un survivant. Pendant longtemps, un seul lieu de mémoire existe : le musée des combattants du ghetto - ceux qui se sont révoltés, comme à Varsovie. Pas de mémorial pour les déportés.
Une exploitation tardive
Les Allemands versent des sommes folles à Israël. "Et ces pauvres rescapés touchaient des pensions lamentables. Jusqu'à présent, il y a d'ailleurs à l'Assemblée, à la Knesset, très récemment, il y a un an ou deux, des gens qui ont protesté, les derniers survivants, ils crèvent de faim."
Dans les années 60 seulement, avec la capture et le procès d'Eichmann, "les dirigeants se sont dit : 'Ah, ça serait quand même une bonne idée d'exploiter ce thème de la Shoah.'" C'est alors que le grand musée Yad Vashem est construit. "C'est à partir de là qu'on a développé cette idée : Israël est le pays qui a été créé."
Conclusion amère : "Dire que l'État d'Israël est le refuge des Juifs, c'est l'endroit aujourd'hui où les Juifs sont le plus en danger."
Gaza : deux ans de destruction
"Depuis deux ans, ce n'est pas depuis une semaine ou un jour, depuis deux ans des millions de gens doivent traverser des souffrances. Aucun mot ne peut rendre compte de cette souffrance."
Des amis médecins sont allés à Gaza : "Ils m'ont dit : 'Tu ne peux même pas imaginer ce qui se passe là-bas, dans les destructions.' Et en plus, on bombarde les destructions. On a tout détruit. On a détruit les universités, les hôpitaux, les écoles, les églises, les mosquées, les cimetières pour ne pas laisser trace."
L'épisode des otages illustre l'absurdité : "Les otages devaient être échangés contre les otages palestiniens, parce qu'il y a 12 000 ou 11 000 dans les prisons israéliennes, qui sont violés, qui sont maltraités, qui sont affamés. Il y a des morts de faim dans les prisons israéliennes. Donc ce sont des otages."
Un accord avait été trouvé. En mars 2025, premier échange. "Et au lieu de ça, M. Netanyahu, avec sa clique de fascistes, Benkvir et Smotrich, qui sont des malades mentaux... Ils sont tellement malades que même l'armée israélienne, quand ils étaient jeunes, à 18 ans, l'armée a dit : 'Non, ils n'ont pas le profil, ce sont des psychopathes, on ne peut pas les mettre dans l'armée.' Benkvir a été rejeté de l'armée parce qu'il est malade mental. Il est au pouvoir maintenant."
L'armée reprend les bombardements, empêchant la libération des derniers otages. "Tout ça d'une tristesse, d'une médiocrité."
Benkvir visite Barghouti en prison : "On a vu comment il était amaigri, affaibli, parce qu'il est mal nourri, mal soigné. Barghouti l'insulte en prison : 'Vous êtes indigne, vous êtes en dessous de tout M. Benkvir.'"
La hasbara et l'accusation d'antisémitisme
Haddad analyse l'antisémitisme comme "une arme portée à la perfection via la hasbara" (la propagande israélienne).
"On ignore qu'il y a énormément de Juifs en France auxquels les médias n'accordent pas d'intérêt et qui sont bouleversés par ce qui se passe, qui sont contre. Alors vous avez des associations comme l'UJFP (Union Juive Française pour la Paix), comme CEDEC, qui disent 'not in my name'. Nous sommes malheureux. Ce sont nos frères qui meurent là-bas, ce ne sont pas des sauterelles, ce sont des êtres humains comme moi."
Un membre de l'UJFP, Nathanson, signe toujours ses messages d'une phrase du Lévitique : "Si un étranger habite avec toi, tu ne dois lui faire aucun mal et tu l'aimeras comme toi-même, car toi-même tu as été un étranger."
Haddad commente avec ironie : "L'étranger pour l'Israélien, c'est qui le prochain ? C'est le Palestinien. Je vais l'aimer comme moi-même. Mais ce livre, la Torah, Moïse est un antisémite. Il me pousse à aimer mon voisin, le Palestinien. C'est dingue, non ?"
Pensée chic contre pensée vraie
"La pensée chic, c'est la pensée médiatisée. Il y a un mouvement comme ça qui est très chic qui s'appelle les Guerrières de la Paix (Women Wage Peace). Ils veulent avoir le prix Nobel. Et dites-moi, mes chéris là, vous pourriez dire un mot comme quoi il y a un génocide en cours ?"
"La pensée chic, c'est pas penser du tout. C'est joli, c'est médiatisé, ça vend, ça vend des livres, mais c'est creux."
La vraie pensée ? Celle du prophète Jérémie : "Tout le peuple était d'accord qu'on allait faire la guerre à Nabuchodonosor. On va avoir l'appui des Égyptiens, l'armée du Pharaon. On va écraser cette mouche qui vient de Babylonie. Et Jérémie dit : 'Vous avez tort, la catastrophe viendra du Nord.'"
"La pensée vraie, moi, ça me crée du tort. Mon idéal, je ne dis pas que je suis dans la vérité, j'essaie, je la cherche, je l'aime, je ne peux pas vivre. Si je suis convaincu que je mens, je ne peux pas, c'est tout. Mais je peux me tromper. Le type qui croit qu'il a la vérité dans sa main, c'est un fanatique. J'espère ne pas l'être."
Un combat par fidélité au judaïsme
"Le judaïsme n'a rien à voir avec ce qui se passe. Le judaïsme est trahi dans ce qui se passe. C'est par fidélité du judaïsme" qu'Haddad prend position. "Je me bats pour le peuple juif, qui est trahi."
En tant que Juif tunisien (un "Mizrahim", oriental), il porte une mémoire spécifique : "Nous, les Juifs, on a vécu pendant treize siècles dans le monde arabe. On était expulsés de tous les pays d'Europe. Plusieurs fois par les rois de France, par l'Espagne, par tout le monde. Et à chaque fois, le refuge, c'était l'épée arabe. C'était pas forcément le paradis, mais au moins on ne nous tuait pas."
Lors de l'Inquisition espagnole, "le sultan à l'époque de l'Empire ottoman a dit que les Juifs d'Espagne étaient vraiment des gens d'élite. Et ce sultan a dit : 'Nous, on les accueille.'"
"Le névrosé répond au cadeau par la haine. Moi, comme j'ai fait une analyse, je suis peut-être un peu moins névrosé. Je pense que nous devons une reconnaissance à ceux qui nous ont tendu la main."
Il n'a pas supporté qu'Israël bombarde la Tunisie : "La Tunisie n'a jamais bombardé personne. C'est le pays le plus pacifique, avec la Suisse peut-être même, plus encore. Et ils ont bombardé la Tunisie, Borj Sedria, une trentaine de morts. Des Tunisiens, qu'est-ce qu'ils auront fait ?"
Un dirigeant de l'OLP fut "assassiné à Sidi Bousaïd, c'est-à-dire à la banlieue de Tunis devant sa femme et ses enfants. Ça, je ne supporte pas ça."
L'humanité est une
"Dans le premier chapitre de la Bible, premier, deuxième, troisième, on nous dit que Dieu a créé un homme et une femme, Adam et Eve, et que toute l'humanité sort de là. Donc il y a une seule humanité. Ça a l'air, personne ne fait attention à ça, mais c'est génial."
Comparaison avec la culture spartiate (dont Netanyahu se réclame) : "Les Spartiates considéraient que, vous savez d'où ils viennent ? Pour eux, il y avait un dieu dont le sperme est tombé sur le sol, et les Spartiates sont sortis du sol, ils sont des autochtones."
"L'enseignement biblique repris par le Coran : l'humanité est une. Si vous mettez en question ça, vous êtes raciste, c'est tout."
Le besoin mutuel des peuples
Haddad collectionne les poèmes de Azizine et d'autres poètes palestiniens : "Ce sont peut-être les plus beaux textes qu'on peut lire aujourd'hui en poésie."
Sa métaphore : "C'est comme une table grandissime, une table de tous les peuples de la Terre. Chaque famille a une chaise autour. Il y a une chaise palestinienne. Il faut qu'elle soit occupée par les Palestiniens. Nous avons besoin d'eux parce qu'on les aime d'abord. Moi, je les aime."
Il a dédié l'édition tunisienne de son livre à la petite Hind Rajab : "Une gosse. Mais ces enfants palestiniens, je les vois, des fois les images, ils ont le défaut d'être beaux. Comment peut-on tuer des enfants comme ça, sans pitié, sans remords ? C'est hallucinant."
"Le salut du peuple palestinien, c'est le salut aussi des Juifs. Nous avons intérêt. Je suis bassement intéressé par la défense des Palestiniens."
Le courage n'est pas exceptionnel
Quand l'intervieweuse salue son courage, Haddad refuse : "Il n'y a pas besoin de courage pour ça, c'est évident. Moi ce que je me demande, c'est comment devant l'horreur que nous avons sous les yeux, qui est visionnée, tout le monde peut voir ce qui se passe... Comment peut-on ne pas réagir devant ça ?"
"Moi je n'ai pas de courage, moi je ne sais pas comment ils font les gens qui nient cette situation. Ils devraient tous... Moi c'est ça que je ne comprends pas. Je ne me sens aucun courage. Je suis simplement bouleversé. C'est trop évident que nous sommes devant la barbarie et qu'un Juif devant la barbarie, il doit se lever et dire non, on lutte contre cette barbarie."
Il ajoute : "Ça ne me fait pas mal de prendre ces positions, je me sens libéré, au contraire. Je respire mieux. Donc j'invite tous ceux qui hésitent, qui font dans la nuance : rendez-vous compte et vous verrez que vous vous sentirez beaucoup mieux."
Une leçon qui nous concerne tous
La démarche d'Haddad dépasse le conflit israélo-palestinien. Elle pose des questions universelles : peut-on s'éloigner d'une cause pour mieux honorer les principes qui nous l'avaient fait embrasser ? Comment naviguer entre loyauté et conscience quand elles s'opposent ?
Dans un monde où l'appartenance tribale exige la loyauté aveugle, Haddad rappelle qu'il existe une fidélité supérieure : celle aux valeurs universelles. La "trahison noble" n'est pas une trahison de l'essentiel, mais la plus haute forme de fidélité.
Son message résonne aujourd'hui, où les camps se durcissent et où la nuance passe pour de la faiblesse. Haddad montre qu'on peut honorer sa complexité sans se perdre, évoluer sans se trahir, aimer assez profondément pour oser dire non.
Leibowitz l'avait dit, Haddad le répète : un système qui repose uniquement sur la violence peut avoir des succès brillants, mais il est condamné. La véritable force réside dans le courage de penser contre soi-même quand son propre camp dévie de l'humanité fondamentale.
Au-delà des positions politiques, reste une vérité simple : la souffrance des innocents, quelle que soit leur origine, nous rappelle notre humanité partagée. Rester humain n'est pas un acte de courage exceptionnel, mais le devoir le plus élémentaire. L'indifférence devant la barbarie reste inexcusable.
Ouvrages de Gérard Haddad : Éloge de la trahison, Passeurs éditions — Archéologie du sionisme (Salvator) - Dans la main droite de Dieu : Psychanalyse du fanatisme
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- Ce que les peuples premiers savent mieux que nous
Publié le 05/07/2024, mis à jour le 30/10/2024