La sédentarité tue plus que le tabac selon l’OMS. Pourtant 95% des Français ne bougent pas assez. Pierre Schlienger, pédicure-podologue et auteur de Prenez soin de vos pieds (DBS ÉDITIONS), partage ses protocoles précis pour marcher efficacement, choisir ses chaussures et prévenir les pathologies. Un guide qui remet la marche au centre de votre quotidien.
Pendant ses 9 années d’exercice, Pierre Schlienger a appris à soigner des pieds. On lui a tout enseigné sur la biomécanique, l’anatomie, les pathologies. Mais jamais on ne lui a expliqué à quoi sert réellement de marcher.
« La marche sert pas juste à se déplacer. En fait, la marche, je me suis rendu compte que plus ça va et plus on la perd. » Cette perte a des conséquences dramatiques sur notre santé globale.
Le chiffre qui change tout
5 millions de morts par an dans le monde dues à la sédentarité selon l'OMS. En France, 66 000 personnes meurent à cause du manque d'activité physique.
« Il faut savoir que 60% des gens ne respectent pas les recommandations de l'OMS qui sont claires. Il faut marcher 30 minutes tous les jours et faire 1h15 de sport par semaine », explique Pierre Schlienger.
Cette statistique révèle l'ampleur du défi. « La sédentarité, c'est la deuxième cause de mortalité évitable juste derrière la cigarette. Mais attention, ça grimpe en flèche. C'est en train de la rattraper et peut-être que ça va la dépasser. »
Nos pieds sont délaissés, oubliés dans nos chaussures. Résultat : 2 tiers des Français ont mal aux pieds. Cette statistique reste identique d'année en année, sans amélioration.
La vraie marche rapide : vitesse et technique
Pierre Schlienger distingue clairement deux types de marche. D'un côté la marche classique, de l'autre la marche qui soigne réellement.
Distinguer marche classique et marche rapide
« 4,5 km heure, c'est la marche classique. On flâne, on regarde les vitrines, on déambule dans un centre commercial. Moi je vous parle de
la marche rapide. On est à 6-6,5 km heure. »
La différence physique est nette : « Vous n'êtes pas essoufflé, mais vous êtes à la limite de l'essoufflement, vous pouvez tenir une conversation avec quelqu'un qui vous accompagne. C'est un très bon moyen de se motiver à marcher tous les jours. »
Cette intensité transforme l'exercice en véritable activité aérobie modérée à vigoureuse.
Le format fractionné qui fonctionne
Les emplois du temps chargés ne sont plus une excuse.
« Il y a des études qui ont montré que 10 minutes 3 fois dans la journée présente les mêmes bienfaits que 1 fois 30 minutes. »
Le protocole quotidien :
- 10 minutes de marche rapide le matin
- 10 minutes à la pause déjeuner
- 10 minutes en fin d'après-midi
- Intensité : limite de l'essoufflement
- Test : pouvoir tenir une conversation
Dix minutes représentent un geste simple : garer sa voiture un peu plus loin, descendre un arrêt plus tôt, faire le tour du pâté de maisons.
Impact sur la perte de poids
Pierre Schlienger détaille les bénéfices caloriques. Une heure de marche classique brûle 240 kilocalories chez une femme, 330 chez un homme. Passer à la marche rapide change la donne : 330 kilocalories pour une femme, 450 pour un homme.
« Si vous faites ça tous les jours, vous allez perdre. En moyenne, en termes de dépenses caloriques, vous pouvez perdre l'équivalent de 1 kilo par mois. Pas mal pour les gens qui sont en surpoids. À la fin de l'année, vous avez perdu 12 kilos, mais gratuitement. »
Sédentarité : comprendre les risques réels
Les Français passent 8 à 11 heures assis par jour. Pierre Schlienger détaille précisément les conséquences sur la santé.
L'escalade des risques selon le temps assis
« Les Français, lorsqu'ils restent assis pendant 4 heures, sans rien faire, tous les jours, ils augmentent leur risque de développer un diabète de 112%. Ils augmentent leur risque de développer des maladies cardiovasculaires de 15%. Ils augmentent leur risque de mortalité de 11%. »
L'escalade continue : « Si on passe à 7, 8 heures assis quotidiennement sans se relever, eh bien là, vous augmentez votre mortalité de 40 à 60%. Et ça, c'est quelque chose que la majorité des Français dépassent. »
Ces chiffres placent la réalité française dans une zone rouge alarmante.
L'équation du rattrapage
Compenser 8 heures d'immobilité demande des efforts considérables. « Il va falloir rattraper ce temps perdu. Et là, c'est plus 30 minutes de marche qu'il faut faire. C'est 60 minutes de marche rapide ou alors 1 heure de sport à haute intensité. »
Cette réalité explique pourquoi 95% des gens ne bougent pas assez. L'effort de rattrapage décourage plus qu'il ne motive.
Règle simple : Se lever 2-5 minutes toutes les 2 heures maximum.
Les bénéfices mesurables de l'activité
En respectant les 30 minutes de marche rapide quotidienne, les gains sont substantiels : « Vous réduisez le risque de faire un diabète de 30 à 40%. Vous réduisez les maladies cardiovasculaires de 15 à 20%. Pour les personnes âgées, vous allez réduire votre risque de mortalité de 40%. »
Pierre Schlienger compare : « 40% c'est énorme. En fait, ça équivaut à arrêter la cigarette. »
Le bonus longévité
« Vous êtes moins assis 3 heures par jour. Vous gagnez 2 ans d'espérance de vie en moyenne. »
Cette statistique concerne simplement le fait de décoller ses fesses du siège, d'aller boire un café, de discuter debout.
Chaussures : les critères qui comptent vraiment
Un tiers des Français portent de mauvaises pointures. Cette négligence crée des pathologies évitables.
La définition d'une bonne chaussure
« C'est quoi une chaussure ? C'est un dispositif qui protège votre pied. Sans le contraindre dans son mouvement », définit Pierre Schlienger. Cette définition élimine d'emblée les modes douloureuses.
Les pathologies dues aux mauvaises chaussures
Les exemples concrets abondent dans le cabinet de Pierre Schlienger. Le syndrome de Morton ressemble au canal carpien : un nerf serré entre les os. « Vous êtes trop serré dans votre chaussure, et bah vous faites un syndrome de Morton. C'est très douloureux. »
Les orteils en griffe proviennent des chaussures trop serrées. L'hallux valgus (l'oignon des grands-mères) touche 30% des femmes de moins de 50 ans, mais 60% au-dessus. « C'est pas seulement génétique. La balle, elle est de votre côté. Vous pouvez faire quelque chose pour y remédier. »
Les critères non négociables
Pour la majorité des gens :
- Chaussure plate
- Souple et large au niveau de l'empeine
- Contrefort postérieur suffisamment rigide
- Entre deux pointures, choisir la supérieure
- Essayage en fin de journée
Le protocole d'essayage :
- Prendre 5 minutes pour marcher avec les chaussures
- Retirer chaussettes et chaussures
- Inspecter le pied : aucune zone rouge
« Si c'est le cas, même si vous ne détectez pas de douleur à votre ressenti, c'est le signe que cette chaussure ne vous va pas. »
L'usure qui déforme
Pierre Schlienger observe un cercle vicieux : « Plus vous allez marcher dans votre chaussure, plus vous allez la déformer. Et donc si par exemple vous l'usez beaucoup sur l'extérieur, et bien du coup votre pied va partir sur l'extérieur. Et donc user encore plus la chaussure. »
Ce phénomène justifie d'avoir plusieurs paires en rotation et de changer régulièrement ses chaussures selon l'usure.
Talons hauts et sneakers : démêler le vrai du faux
Les talons hauts : une question de biomécanique
Pierre Schlienger explique la répartition du poids. En position normale : « 70% sur votre talon, 30% sur l'avant-pied. Au-dessus de 3 cm, c'est 55% sur votre avant-pied. »
L'escalade devient problématique : « Quand vous êtes au-dessus de 6 cm, c'est 70% de votre poids qui se retrouve sur votre avant-pied. Et je vous rappelle que quand vous marchez, vous alternez un pied après l'autre. Et donc 100% de votre poids se retrouve sur un pied. Vous imaginez, 10 000 fois par jour, vous faites ça. »
Cette surcharge explique pourquoi 14% des femmes qui portent des talons hauts développent des pathologies.
L'héritage masculin des talons
Pierre Schlienger rappelle l'histoire : « Le talon haut, en fait, c'est la verticalité. Et donc, dans la cour du temps des aristocrates, eh bien, c'était plutôt les hommes en majorité. » L'hallux valgus était alors masculin. Aujourd'hui, 80% des patients avec cette pathologie sont des femmes.
La philosophie du talon : « Les talons haut, c'est très beau. C'est comme les paillettes. Ça brille, mais c'est occasionnel. Comme le champagne, c'est avec modération. »
Le virage vers les sneakers
Pendant ses études, Pierre Schlienger entendait louer les chaussures rigides en cuir. « La bonne chaussure elle est simple, c'est la richelieu, c'est la derby, c'est la chaussure de costume, c'est la chaussure en cuir, rigide, qui tient bien le pied. »
L'expérience clinique l'a fait changer d'avis : « Moi je l'ai remarqué, dans mon cabinet, c'est des chaussures qui torturent les orteils, les gens sont trop serrés là-dedans, parce qu'il n'y a pas un pied comme un autre, chaque personne a des pieds différents, et on doit tous rentrer dans un gabarit de chaussures rigide, mais non. »
Le passage aux sneakers inquiétait la profession : « On nous a dit attention, là tout le monde est en train de passer à la sneakers, ça va être une catastrophe, vos cabinets vont être remplis de gens qui vont ramper sur le trottoir jusqu'à la porte, pour venir consulter. Bah je suis désolé mais moi je vois personne ramper dans la rue. »
Pourquoi les sneakers fonctionnent :
- Elles se déforment selon votre morphologie
- Position naturellement plate
- Épaisseur amortissante sur bitume et béton
- Souplesse respectant le mouvement naturel
Course à pied : au-delà des profils
Le monde de la course regorge de jargon technique. Pierre Schlienger démystifie ces concepts.
Comprendre les profils sans s'y enfermer
« Pied pronateur, vous avez le pied vers l'intérieur, vers le centre de votre corps. Pied supinateur vers l'extérieur. Ensuite, vous avez une course avant pied, on va dire aérien, et une course où vous vous appuyez beaucoup sur l'arrière pied, vous talonnez beaucoup, on va dire que vous êtes terriens. »
Ces catégories semblent logiques pour choisir ses chaussures. Pourtant : « Il y a eu des études qui sont sorties sur ce sujet-là. On s'est rendu compte que finalement dans la prévention des pathologies, eh bien finalement, le fait de vous conseiller des chaussures n'avait pas forcément beaucoup d'incidence. »
L'intelligence du pied
« Vous prenez une paire de chaussures qui vous sied, votre pied, il a 7000 capteurs sensitifs. Il est infiniment plus intelligent et plus complexe que les quelques critères que je viens de vous donner là. »
Cette approche privilégie le ressenti personnel sur les catégories théoriques. Pierre Schlienger recommande d'essayer différentes marques : certaines chaussent plus large, d'autres plus serré.
Budgets recommandés :
- Coureur occasionnel : 70-100 euros
- Coureur régulier (2-3 fois/semaine) : 100-130 euros
« Ce qui compte, c'est la motivation de répéter semaine après semaine. »
L'entretien et la rotation
« Si vous avez toujours la même paire de chaussures, elle va pas avoir le temps de respirer. » Pierre Schlienger recommande plusieurs paires en alternance.
Après chaque sortie : laisser s'aérer, utiliser des embauchoirs en bois pour absorber l'humidité. Les pieds peuvent produire jusqu'à 25 centilitres de transpiration par jour.
Hygiène des ongles : la technique qui évite l'enfer
L'ongle incarné représente une pathologie fréquente et douloureuse, souvent causée par une mauvaise technique de coupe.
Le cercle vicieux de la coupe arrondie
« La majorité des gens vont couper les ongles trop courts, ils vont les couper en arrondi. Qu'est-ce qui va se passer lorsque je coupe mon ongle en arrondi ? Il va y avoir un vide entre la peau et l'ongle. Ce vide, il va être comblé progressivement par la peau qui va se rabattre contre l'ongle. »
Cette erreur s'auto-entretient : « Vous allez avoir envie de le couper de plus en plus court, de plus en plus loin, et c'est un cercle vicieux où vous allez faire des ongles incarnés de plus en plus rapidement. »
Certains patients arrivent dans un état si avancé qu'une opération chez le chirurgien orthopédiste devient nécessaire.
La technique correcte
La bonne méthode :
- Coupe droite, suffisamment longue
- Limer légèrement les coins si souhaité
- Ne pas creuser profondément dans les angles
- Éviter d'arracher les cuticules
Pour entretenir l'aspect esthétique : « Vous mettez un corps gras, vous poussez un petit peu les cuticules, c'est tout. »
Gestion des douleurs aux coins
« Si vous avez de temps en temps petite douleur dans les coins, allez surtout pas me faire de la chirurgie de salle de bain. » Pierre Schlienger préconise une méthode douce :
- Quelques gouttes d'eau oxygénée
- Laisser agir (réaction effervescente)
- Brosser avec une brosse à ongles ou brosse à dents rigide
- Geste doux, sans agressivité
Cette approche nettoie, désinfecte et prévient les infections sans créer de traumatismes supplémentaires.
Quand consulter un pédicure-podologue
Pierre Schlienger milite pour une approche préventive de la santé des pieds.
La consultation préventive annuelle
« Toute personne devrait consulter un pédicure podologue une fois par an. Ce n'est rien que pour faire du dépistage, pour détecter d'éventuelles déformations ou anomalies de posture de votre pied qui pourraient développer plus tard des douleurs. »
Cette approche permet d'anticiper : « Il y a beaucoup de pathologies qu'on peut prévenir comme ça. »
Les signaux d'alerte
Motifs de consultation immédiate :
- Douleurs récurrentes aux ongles
- Ongles incarnés à répétition
- Antécédents familiaux d'ongles incarnés
- Douleurs d'appui persistantes
- Mycoses résistantes
Le rôle du pédicure-podologue
« Le pédicure podologue, il va traiter tous les problèmes de cors, mycoses, ongles incarnés, tout ce qui est au niveau de la peau, et c'est une vraie porte d'entrée vers les autres spécialités. »
Le bilan postural permet d'évaluer la marche, la posture, les risques de développer certaines pathologies. Les semelles orthopédiques représentent un outil de prévention efficace quand elles sont bien indiquées.
Pierre Schlienger insiste : « Vos pieds, ils méritent d'être bichonnés, il faut les écouter, et pour ça, il faut en parler au professionnel de santé, le plus à même de trouver des solutions. »
Programmes pratiques pour débuter
Sortir de la sédentarité progressive
Semaines 1-2 : 3 fois 10 minutes de marche normale quotidienne
Semaines 3-4 : Augmenter légèrement le rythme
Semaines 5+ : Atteindre la marche rapide (6-6,5 km/h)
L'objectif reste la régularité plutôt que la performance immédiate.
Spécificités des seniors
À partir de 65 ans selon les critères OMS, les besoins s'intensifient : « Vous devez marcher tous les jours, vous devez faire votre quota de sport par semaine, mais en plus vous devez rajouter du renforcement musculaire et des exercices d'équilibre 5 fois par semaine. »
Pierre Schlienger observe que beaucoup de personnes âgées peinent à se relever : « On dirait qu'ils développent l'énergie du soleil quand ils se relèvent. C'est pas normal, en fait ils manquent de fessier ces personnes là. »
Le fauteuil devient l'ennemi : « Il faut bien comprendre que ce fauteuil c'est le dernier arrêt avant le cercueil. »
Le programme "moins assis"
Gain mesurable : « Vous êtes moins assis 3 heures par jour. Vous gagnez 2 ans d'espérance de vie en moyenne. »
Applications concrètes :
- Se lever toutes les 2 heures
- Discussions debout
- Parking volontairement éloigné
- Pauses café debout
Conclusion
La marche rapide transforme la santé globale, pas seulement celle des pieds. Pierre Schlienger rappelle que derrière chaque conseil technique se cache une philosophie : « Soigner des pieds pour soigner des gens. »
Sa mission personnelle vient de son expérience en désert médical, où il a vu des patients manquer de soins par manque de moyens. « Vous imaginez pas la frustration quand vous avez les solutions pour soigner quelqu'un, elle en a besoin et vous pouvez pas le faire. »
Cette frustration a nourri sa démarche de prévention. Tous les problèmes évitables par des gestes simples ne devraient plus encombrer les cabinets.
« Ma mission, elle sera accomplie lorsque les gens auront moins mal aux pieds et surtout lorsqu'ils se mettront à marcher plus au bénéfice de leur santé. »
Le changement commence maintenant : levez-vous, enfilez des chaussures confortables, et sortez pour vos premières 10 minutes de marche rapide
Sources : Pierre Schlienger, pédicure-podologue, auteur de Prenez soin de vos pieds (DBS Éditions)
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