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Publié le 12/11/2018, mis à jour le 22/06/2022
Choses à savoir culture générale
Zadok ben David ou l’antimanichéisme
De l’autre côté du miroir
Imaginez-vous passer une soirée dans un immense cabinet de curiosités habité de créatures fantasmatiques… Bienvenue au Musée de la Chasse et de la Nature ! C’est un des lieux les plus importants de Paris qui conjugue son histoire-propre avec celle dans laquelle nous vivons, autrement dit l’histoire des vivants. Ici, l’on expose le rapport de l’homme à l’animal à travers les âges et l’on s’appuie sur les exceptionnelles collections d’art ancien, moderne et contemporain réunies par les fondateurs et sans cesse augmentées depuis près d’un demi-siècle. Chaque mois, y sont organisés des conférences, des colloques et des prix qui mettent à l’honneur ce lien entre l’Homme et la nature. Il y a plus d’un mois, je m’y suis rendue pour y découvrir leur exposition temporaire.
A l’occasion de la Saison France-Israël, le musée avait invité deux artistes israéliens dont Zadok Ben David. Une salle entière était dédiée à son installation nommée « Blackfield », comprenez « champ noir ». Composée de centaines de fleurs de métal découpées et plantées dans une fine couche de sable, cette œuvre déroute. Elle étonne par la profusion de ces détails mais également par l’expérience que l’on a en tant que spectateur. Quelques semaines plus tard, j’ai eu la chance de m’entretenir avec l’artiste.
Quelques mots sur son histoire
Zadok Ben-David (né en 1949) est un artiste israélien travaillant à Londres. Né dans la ville de Beihan au Yémen, il immigre en Israël avec sa famille lors de son enfance. De 1971 à 1973, il étudie à l’académie d’art et de design Bezalel et poursuit ses études à l’Université de Reading. Puis il continue à la célèbre Saint Martin School of Art où il étudie la sculpture et ensuite enseigne. En 1988, Ben-David représentait Israël à la Biennale de Venise. Depuis 1980, il a présenté plus de quarante expositions personnelles. Ses œuvres figurent dans les collections d’institutions publiques et privées d’Europe, d’Asie de l’Est, des États-Unis, d’Israël et d’Australie.
- Pouvez-vous nous parler de votre approche artistique, de vos influences ?
- ZDB : Si je devais identifier un grand thème dans mon travail, je dirais que c’est la nature humaine. L’être humain est au centre avec sa relation avec le monde naturel. Cela remonte à déjà plus de 30 ans, depuis que j’ai quitté l’école d’art Saint Martins et que je développe des images issues de la nature. Cela a commencé par des animaux puis j’ai continué par d’autres formes de nature.
la technologie a séparée les hommes entre eux et de facto de la nature.
- Comment est née cette installation « Blackfield » exposée au Musée de la Chasse ?
- ZDB : Ici, il est davantage question de vie et de mort. Les fleurs qui sont exposées sont le meilleur symbole pour exprimer cette idée puisqu’elles sont données au moment le plus triste et au moment le plus heureux de la vie de l’homme. Je joue avec la perception et la perspective. Lorsque l’on rentre dans la pièce dans laquelle est exposée l’installation, on peut y voir en premier lieu le côté sombre de l’œuvre, c’est une métaphore de la tragédie, de la dépression, des forêts brûlées. Dans un second temps, l’on passe de l’autre côté et l’on y découvre la facette optimiste de l’œuvre représentant un champ de fleurs de toutes les couleurs. En quelques pas, on vit une expérience de l’œuvre complètement opposée. Vous savez, je ne pensais pas réellement que cette « action » pouvait être aussi émouvante et puis, j’ai doucement réalisé l’impact émotionnel que cela pouvait créer chez certaines personnes. En un instant, ils pouvaient basculer de la tristesse à la joie et inversement et pour certains spectateurs. C’était quelque chose de difficile à gérer !
- Pouvez-vous nous parler de vos dernières œuvres ?
- ZDB : J’ai une autre pièce que j’ai réalisée plus tard appelée « the Other Side of Midnight » (littéralement « de l’autre côté de minuit »). J’ai inversé le processus dramatique existant chez « Blackfield ». Aussi, la première impression en tant que spectateur est joyeuse puisque l’on distingue suspendue au centre de la pièce, une forme circulaire composée de papillons lumineux au corps d’hommes. Ces créatures multicolores nous invitent à la contemplation et à la conclusion que nous serions (nous public) dans un monde qui ne serait rempli que de ce genre de vison exquise, fantasmée. Pourtant, une fois que vous avez fait le tour de l’œuvre, elle vous révèle un aspect plus sombre, fait d’amas de scarabées et autres bêtes moins séduisantes. De plus, cette œuvre nous rappelle que ces papillons dont la durée de vie est courte peuvent être remplacés par des créatures moins séduisantes.
- Selon le philosophe John Dewey, l’expérience est au centre de la formation des désirs et des actions. On ne tient pour précieux que ce dont on a fait une expérience forte. De ce fait comment peut-on être ému par la nature et le vivant si l’on ne l’expérimente pas ?
- ZDB : Oui c’est évident. La plupart des gens oublient d’ailleurs qu’ils font partie de cette nature dont vous parlez.
- L’expérience fait donc partie intégrante de votre démarche artistique. Par cette démarche, vouliez-vous convaincre le public de quelque chose en particulier ?
- ZDB : Je crée avant tout pour moi-même. J’ai des idées que je veux explorer et expérimenter puis évidemment communiquer, mais je ne veux pas enseigner au public quelque chose de vrai en lui affirmant que c’est la seule et unique vérité. Dans l’univers de l’art, nous avons toujours posé des questions plutôt que donner des réponses. C’est tant mieux, parce que l’inverse est assez dangereux. Lorsque j’étais étudiant, nous avions un jeune professeur qui nous donnait la définition exacte de la sculpture, comment elle devait être et à quoi elle devait ressembler. Parallèlement, un de nos autres professeur plus tempéré et plus âgé avait l’habitude de nous dire « nous ne savons toujours rien ». Il avait plus de doutes. Lorsque vous vieillissez, vous devenez plus philosophe à propos de la vie et moins manichéen. De ce fait, je ne peux pas dire aux gens quoi penser mais seulement leur montrer des directions issues de mes réflexions et lorsque mon travail peut les influencer, les toucher, c’est une grande récompense. Un jour, à Los Angeles, où j’exposais « Blackfield », une personne est entrée dans la galerie et a parcouru tout le côté sombre de l’installation. Je me demandais qu’elle serait sa réaction à la découverte du côté coloré de l’œuvre. Etonnamment, l’homme s’est tourné vers le mur plutôt que vers l’installation et n’a donc pas pu voir le champ coloré. A ce moment-là, je me suis demandé si je devais lui dire : « oh tu devrais te retourner si tu veux pouvoir saisir l’œuvre dans son intégralité » mais finalement je me suis dit qu’il avait choisi sa manière de regarder, non seulement l’objet d’art mais également sa vie. Je ne voulais pas changer son destin en lui imposant ma façon de voir les choses. Cette approche est semblable dans mon travail et plutôt que de montrer, je préfère proposer.
- Dans vos différentes œuvres, vous évoquez tout de même un thème fort que sont la nature, la crise écologique et le cycle de la vie. Alors, parlez-vous d’écologie ou seulement de nature ?
- ZDB : Vous ne pouvez pas séparer le terme d’élément naturel à la conception d’écologie puisque l’écologie fait partie de la nature. De nos jours, l’écologie est quelque chose dont nous sommes de plus en plus conscients. Les aspects les plus divers liés à la nature sont montrés lors d’expositions. Je crois que de plus en plus de personnes prennent conscience qu’ils s’inscrivent dans cette nature qui se meure. J’évoque tous ces aspects dans mon travail sans pour autant « prêcher la bonne pensée » auprès du public.
plutôt que de montrer, je préfère proposer.
- L’écologie commence à devenir un thème fort dans les institutions muséales. Qu’en pensez-vous ?
- ZDB : C’est assez important, en effet. Je vais vous raconter une autre anecdote sur mon installation actuelle « People I saw but I never met » (Les gens que je vois mais que je ne rencontre jamais). J’ai décidé de prendre les promeneurs en photographie (à distance pour qu’ils ne me remarquent pas) puis, je les dessinais pour ainsi en faire cette grande installation. Jusqu’ici, j’ai fait quasiment 1000 personnes. Cette œuvre parle d’écologie d’une manière un peu différente des autres. Avec l’arrivée des nouvelles technologies, on a cru pouvoir augmenter le lien entre les gens. Ce qui est arrivé est tout le contraire puisqu’à chaque fois que j’étais dans la rue à la recherche d’un nouveau passant, la plupart étaient sur leur téléphone. Croyez-moi, ce phénomène est également lié à l’écologie puisque la technologie a séparée les hommes entre eux et de facto de la nature.
Vous pourrez retrouver l’actualité de Zadok Ben David sur son site internet ou sur son compte instagram .
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Elise Roche
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Publié le 12/11/2018, mis à jour le 22/06/2022